Quel futur pour le quotidien “L’Avenir” ?

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La situation financière des Editions de l’Avenir est désastreuse et la restructuration s’avère donc nécessaire. Mais au-delà du sauvetage du journal, c’est surtout son futur qui se joue aujourd’hui dans un paysage médiatique en pleine ébullition. Les scénarios sont multiples, au sein et en dehors du groupe Nethys, et c’est le monde politique liégeois qui tranchera.

L’avenir est difficile à figer dans un dossier où se mêlent politique et économique, groupes de presse et syndicats, Région wallonne et télécoms, plan social et intercommunale. Pour les Editions de l’Avenir, le challenge n°1 reste toutefois la pérennité du journal. C’est d’ailleurs l’argument principal qui a été mis en avant par son conseil d’administration pour justifier, le 23 octobre dernier, le sacrifice de 60 équivalents temps plein sur un effectif d’environ 280 employés : ” A l’instar de tous les autres grands quotidiens francophones, les Editions de l’Avenir se voient contraintes à leur tour de mettre en oeuvre un plan de redéploiement pour garantir leur futur “, précise ainsi le communiqué rédigé par Nethys, propriétaire du groupe de presse depuis septembre 2013.

Pour analyser cette situation critique, nous avons repris les statistiques des exercices fiscaux de 2009 à 2017 ( voir tableau en page 47). Si le chiffre d’affaires de l’entreprise a constamment progressé ces dernières années pour flirter avec les 50 millions d’euros en 2016 (avant de retomber à 47 millions l’année dernière), le résultat net a en revanche chuté au fil des ans, passant de 3 millions d’euros de bénéfices en 2010 à une perte de 1,2 million en 2017. Et ce ne sera sans doute pas mieux pour 2018 où le déficit pourrait atteindre 1,5 million d’euros au terme de l’exercice.

Une restructuration indispensable

Deux facteurs expliquent en grande partie ces mauvais résultats : l’inexorable baisse des ventes de journaux sur le marché – plus de 90.000 exemplaires de L’Avenir s’écoulaient il y a 10 ans à peine contre 77.000 aujourd’hui – et la chute des revenus publicitaires de la presse écrite, désormais vampirisée par les géants du Net tels que Facebook et Google. Peu évoqué, un troisième facteur donne pourtant un autre éclairage sur la situation financière de l’entreprise : comme le révèlent les chiffres disponibles, le nombre d’employés des Editions de l’Avenir n’a paradoxalement jamais cessé d’augmenter depuis 2011, passant de 216 équivalents temps plein cette année-là à quasi 270 emplois en 2017, sans compter les postes créés en 2018 puisque le groupe de presse affirme employer aujourd’hui quelque 280 personnes. ” Cette augmentation constante du personnel plombe le résultat, constate l’analyste Pascal Flisch de Trends Business Information. La restructuration est donc devenue indispensable. S’ils ne le font pas, ils vont plonger, c’est certain ! ”

L’Avenir et Sudpresse se complètent à merveille et pourraient continuer à fonctionner chacun en toute liberté.” Pierre Leerschool (Sudpresse)

Il n’est pas étonnant, dès lors, que le plan de transformation des Editions de l’Avenir prévoie la suppression de 60 emplois, un chiffre très proche du nombre d’équivalents temps plein qui se sont ajoutés au payroll de l’entreprise depuis 2011 (dont une cinquantaine sous l’ère Tecteo-Nethys). ” Cette hausse de personnel est incompréhensible, déplore ce cadre qui souhaite garder l’anonymat. Dans toutes les rédactions, il y a eu un dégraissage. Or, ici, on a continué à engager alors que la sonnette d’alarme était déjà tirée. Je ne me l’explique pas, d’autant plus qu’une analyse menée sur la productivité en interne a démontré de sérieux déficits. ”

La faute au management des Editions de l’Avenir ? Sans doute. Un autre acteur du dossier, lui aussi quémandeur de discrétion, ajoute toutefois : ” Il y a une grande incompétence de gestion opérationnelle chez Nethys. Ils mettent en place des stratégies et font des acquisitions grâce à l’argent de Resa ( le distributeur d’énergie liégeois qui leur appartient, Ndlr) mais au niveau opérationnel, ça ne suit absolument pas. ” Et un autre de rétorquer, en guise de contre-feu : ” Nethys a bien jeté les bases d’une transformation, mais c’est le management de L’Avenir qui n’a pas assuré ces cinq dernières années. ” Bref, difficile de trancher…

Quelles synergies ? Quelle stratégie ?

En cinq années d’activités de presse, force est toutefois de constater que Tecteo devenu Nethys/Publifin/Enodia n’a pas vraiment tenu les promesses de synergies pourtant évoquées lors de l’achat des Editions de l’Avenir en septembre 2013. A l’époque, Tecteo stipulait en effet dans un communiqué : ” Les contenus deviennent un enjeu majeur du secteur et cette acquisition est une formidable opportunité pour Tecteo qui pourra les valoriser au mieux “. Cinq ans plus tard, les prémices de cette révolution se font toujours attendre. Mais cette révolution est à nouveau citée dans le communiqué du 23 octobre annonçant la suppression de 60 équivalents temps plein au sein du quotidien : le plan de transformation et de croissance validé par le conseil d’administration annonce en effet ” le développement d’une offre digitale d’information de qualité et la concrétisation des synergies entre les pôles télécom et média “.

Pour marquer cette apparente volonté de changement, l’ancien administrateur délégué des Editions de l’Avenir Eric Schonbrodt a été remercié en février dernier et remplacé par Jos Donvil, CEO de l’opérateur Voo, également propriété de Nethys et dont il est le vice-président. Flamand pure souche, l’homme fut le patron de l’opérateur mobile Base de 2012 à 2016 et sa nouvelle double casquette d’administrateur délégué des Editions de l’Avenir et de directeur général de Voo semble être le signe que, chez Nethys, on va enfin passer à la vitesse supérieure dans l’intégration d’un contenant (l’opérateur télécom) et d’un contenu (les articles de presse). Comment ? Avec quelle stratégie ? Quels moyens ? Et quelles ambitions ? Mystère. Jos Donvil refuse toute interview à ce sujet.

François Le Hodey (IPM)
François Le Hodey (IPM)© BELGAIMAGE

Un mariage avec Rossel ?

Embryonnaires chez Nethys, des synergies concrètes ont en revanche été déployées entre les Editions de l’Avenir et son concurrent Rossel ces derniers mois. En septembre 2017, les deux groupes de presse ont ainsi racheté ensemble l’activité ” presse magazine ” de la régie publicitaire de RTL Belgique et conclu également un accord de collaboration commerciale prévoyant de promouvoir les marques Le Soir, Sudpresse et L’Avenir sur l’ensemble du territoire wallon. Outre ce rapprochement des forces de vente sur le terrain, Rossel et les Editions de l’Avenir ont aussi prévu de renforcer leurs liens au niveau de l’impression des quotidiens puisque le plan de transformation voté récemment prévoit que ” le quotidien L’Avenir sera imprimé chez Rossel dès le début 2019 “. Le communiqué se pressant d’ajouter : ” Il s’agit d’une décision purement opérationnelle, aucune reprise des Editions de l’Avenir par le groupe Rossel n’est à l’ordre du jour “.

Pour la grande majorité des salariés de L’Avenir, le choix de ce nouvel imprimeur est considéré comme un ” véritable gâchis ” puisqu’il implique à très court terme un changement de format du journal – l’adoption du format dit ” berlinois ” (celui du Soir) – et donc une nouvelle maquette qui va sans doute bouleverser les habitudes du lecteur et peut-être avoir un impact négatif sur les ventes. Le personnel l’a d’ailleurs fait savoir par une opération spectaculaire au lendemain de l’annonce des licenciements avec un journal rempli seulement à 75%, le reste étant remplacé par des carrés blancs évoquant la proportion de travailleurs sacrifiés sur l’autel de la restructuration.

Mais au-delà du plan de transformation et du nouveau format imposé, c’est surtout l’ombre d’une absorption pure et simple des Editions de l’Avenir par le groupe Rossel qui, selon certains observateurs, se profile à l’horizon. ” La machine est enclenchée pour que, dans un futur relativement proche, Sudpresse et L’Avenir ne fassent plus qu’un seul et même journal en Wallonie, note cette source en interne. La presse écrite est en crise et le marché est beaucoup trop petit pour que ces deux titres régionaux subsistent avec les coûts de fabrication et de distribution qu’ils supposent aujourd’hui. L’absorption n’est qu’une question de mois. ”

L’option IPM

Si ce scénario se réalise, on verrait alors émerger un duopole dans le paysage de la presse francophone en Belgique avec, d’une part, le groupe IPM ( La Libre et La Dernière Heure/Les Sports) qui représenterait 30% du marché des quotidiens généralistes et, d’autre part, le pôle Rossel-Editions de l’Avenir qui occuperait quasiment les 70 % restants. C’est précisément pour éviter l’émergence de ce déséquilibre que François Le Hodey, administrateur délégué du groupe IPM, est monté au créneau dans les jours qui ont suivi l’annonce du plan de licenciements à L’Avenir, en proposant à Nethys de racheter le quotidien régional. Avec une telle redistribution des cartes, le nouveau duopole apparaîtrait de manière beaucoup plus équilibrée puisque chaque force en présence aurait alors des parts de marché presque égales sur le terrain des ventes.

Ou bien Rossel rachète ‘L’Avenir’ et on se retrouve dans un marché déséquilibré. Ou bien IPM rachète ‘L’Avenir’ et l’équilibre concurrentiel est respecté.” François Le Hodey (IPM)

” Le rapport McKinsey initié par le ministre des Médias Jean-Claude Marcourt a démontré, en 2015, la nécessité de consolider les groupes de presse et d’investir dans le digital, rappelle François Le Hodey. En Belgique francophone, le marché est trop petit pour trois acteurs et l’expérience Nethys a démontré qu’il n’y a pas de synergies significatives entre les Editions de l’Avenir et un opérateur télécom. Il n’y a donc pas 36 solutions. Ou bien Rossel rachète L’Avenir et on se retrouve dans un marché déséquilibré 70%-30% avec une potentielle fusion de Sudpresse avec L’Avenir. Ou bien IPM rachète L’Avenir et l’équilibre concurrentiel est respecté. Nous venons clairement avec un projet complémentaire entre presse nationale et régionale et avec une stratégie davantage orientée vers le digital ( IPM a une longueur d’avance sur “L’Avenir” en ce domaine, Ndlr). Mais quel que soit le futur actionnaire, il faut absolument poursuivre, dans l’intérêt de l’entreprise, avec le format actuel, c’est-à-dire le tabloïd. Le projet de format berlinois avec une maquette inadaptée est un suicide commercial. ”

Quand le politique s’en mêle

Du côté de Nethys, on répète dans toutes les langues que le journal n’est pas à vendre. Le débat pourrait être définitivement clos si la société ne dépendait pas de l’intercommunale Publifin, récemment rebaptisée Enodia et détenue à quasi 100% par la Province de Liège et 76 communes wallonnes. L’importance de l’actionnariat public explique que le dossier de L’Avenir se soit finalement invité dans l’arène politique et qu’il suscite toujours le débat parmi des élus ébranlés par le scandale des rémunérations outrancières de l’affaire Publifin. Il y a deux semaines à peine, le Parlement wallon a même voté, à l’unanimité, une motion demandant la sortie des Editions de l’Avenir de Nethys/Publifin/Enodia, ce qui met aujourd’hui sous pression les membres du conseil d’administration de l’intercommunale liégeoise.

Soutenue par les salariés du journal, l’idée d’un portage temporaire des Editions de l’Avenir par la Région wallonne fait donc son chemin, avant une revente éventuelle de l’entreprise aux groupes de presse Rossel ou IPM, ou à un autre candidat investisseur, flamand ou étranger. Mais encore faut-il s’entendre sur le prix à payer. Il y a cinq ans, Tecteo, devenu Nethys, avait acheté le titre de presse pour 25 millions d’euros, un montant considéré à l’époque comme surévalué. Aujourd’hui, les Editions de l’Avenir ne vaudraient plus la moitié de cette somme et il nous revient que l’offre déposée par IPM ne dépasserait d’ailleurs pas ce prix revu nettement à la baisse. Le portage par la Région wallonne poserait toutefois question si, d’aventure, L’Avenir était racheté au prix fort avant d’être bradé à un groupe de presse, car le solde serait alors à charge du contribuable wallon…

Vues sur la France

En coulisses, d’aucuns affirment pourtant que Stéphane Moreau, CEO de Nethys, fera tout pour éviter cette vente et pour maintenir à flot son projet de presse. Car les ambitions de l’ancien bourgmestre d’Ans dans le secteur de l’information dépassent depuis longtemps les frontières de la Wallonie. En 2015, Nethys est en effet entré au capital du groupe de presse français La Provence (éditeur des quotidiens La Provence et Corse-Matin) à hauteur de 11 %, avant d’investir, au printemps 2016, dans la société Nice-Matin, un autre groupe du sud de la France (propriétaire des titres Nice-Matin, Var-Matin et Monaco-Matin) dont il détient aujour-d’hui 34% des parts. Ce dernier accord de prise de participations stipule également que Nethys deviendra actionnaire majoritaire de Nice-Matin avec 51% des parts avant le 1er janvier prochain, mais la pression de l’actionnariat public de Publifin, devenu Enodia, pourrait changer la donne.

La question est en effet récurrente : quel est l’intérêt, pour une société qui fonctionne avec des capitaux publics, d’investir à l’étranger dans une industrie en difficulté – les ventes de la presse quotidienne ne cessent de chuter – alors que cet argent pourrait être dédié à des projets qui rejaillissent davantage sur le quotidien des Liégeois ? Du côté de Nethys, on affirme qu’il y a toujours eu une réelle volonté d’élargir le pôle média du groupe pour développer de nouvelles synergies avec le pôle télécom, mais certains observateurs avancent toutefois une autre hypothèse : cette présence dans les journaux du sud de la France ferait sens dans le cadre du rapprochement enclenché avec Rossel. Le groupe de presse belge qui possède Le Soir et Sudpresse est aussi actif dans le nord de la France – il possède plusieurs titres dont La Voix du Nord et Le Courrier picard – et le tandem Nethys-Rossel pourrait dès lors renforcer cette alliance afin de proposer, ensemble, une offre enrichie de presse régionale et nationale, tant en Belgique qu’en France, et qui pourrait aussi passer par des plateformes de distribution digitale et la télévision.

Il faudra toutefois attendre la prochaine réunion du conseil d’administration de Publifin/Enodia pour connaître la nouvelle stratégie de l’intercommunale et son (dés)investissement dans le pôle médias. La réunion doit se tenir au plus tard le 15 décembre conformément à la mise en demeure de la ministre wallonne des Pouvoirs locaux Valérie De Bue. Et c’est donc le monde politique liégeois – parti socialiste en tête – qui tranchera.

Quel futur pour le quotidien

Indépendance et mutualisation

En attendant cette mise au point stratégique et une éventuelle revente des Editions de l’Avenir au groupe IPM, d’autres voix s’élèvent pour imaginer cependant un autre avenir au journal du même nom. Ainsi, du côté de Rossel, si on répète que L’Avenir n’est pas à vendre et qu’il n’y a donc aucune raison de se déclarer preneur, des pistes de synergies renforcées sont toutefois évoquées. ” Il y a de la place pour garder des rédactions indépendantes avec leur positionnement respectif, explique ainsi Pierre Leerschool, directeur général de Sudpresse. L’idéal serait de mutualiser tout une série de choses en maintenant l’indépendance rédactionnelle de chaque titre. L’Avenir et Sudpresse se complètent à merveille et pourraient donc continuer à fonctionner chacun en toute liberté, mais en diminuant les coûts respectifs dans certains départements puisqu’on pourrait imaginer une mutualisation du système informatique, de l’imprimerie ou d’autres services encore. Chaque lecteur continuerait ainsi à avoir son journal et cela s’inscrirait dans les synergies nécessaires évoquées dans le rapport McKinsey sur l’état de la presse en Belgique francophone. Car notre principal concurrent n’est pas celui qu’on croit : le danger vient aujourd’hui des Gafa ( Google, Apple, Facebook, Amazon, Ndlr) et nous devons donc nous unir avec intelligence pour les affronter. ”

Dans cette optique, le plan de transformation de L’Avenir pourrait alors n’être qu’une étape significative dans un projet de collaboration renforcée avec Rossel et donc plus le préambule à une absorption pure et simple du titre. Cette hypothèse est d’autant plus envisageable qu’un accord est intervenu entre la direction et les syndicats des Editions de l’Avenir concernant les volets social et organisationnel du plan de restructuration. Le nombre d’emplois sacrifiés a été revu à la baisse – on parle désormais de 45 départs volontaires ou liés à la prépension au lieu de 60 licenciements secs. Cette transition en douceur pourrait donc signifier le début d’une nouvelle aventure journalistique, toujours au sein de Nethys. Affaire à suivre…

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