“No fail, no gain”, quand les entrepreneurs montent sur scène pour partager leurs échecs

No fail no gain. Ces conférences, au cours desquelles des entrepreneurs partagent leur expérience, rencontrent un joli succès. © Jérémy Jamar/PG
Bastien Pechon Journaliste

Non pas lors d’une mise au pilori, mais durant des conférences où les chutes et les leçons inspirent la communauté.

” Ce fut un gros coup, psychologiquement. C’était mon bébé depuis presque 10 ans “, confie Gregory Van Ass à propos de Cross-Roads, une de ses anciennes sociétés. Une entreprise de consultance informatique, de développement de sites web et d’applications mobiles. En faillite, elle a dû arrêter ses activités en juin 2013. ” C’était un des projets qui me tenaient à coeur et qui meurt d’une façon peu agréable, poursuit-il. Le jour où j’ai été au tribunal de commerce pour déposer le bilan, j’avais l’impression que je me rendais à une exécution capitale. ” Cet entrepreneur avait heureusement plusieurs sociétés à son actif. Malgré les pertes financières engendrées par sa faillite, il rebondit très vite en poursuivant ses missions de consultance pour plusieurs grandes entreprises. De cet échec, il en a tiré une source d’inspiration et plusieurs leçons (lire l’encadré ” Ce qui est intéressant, c’est ce qui se passe après l’échec ” plus bas).

Gregory Van Ass a toujours été très impliqué dans l’écosystème liégeois. En 2012, il organise un Startup Weekend à Liège avec Philippe Modard, Jeremy Corman et Nicolas Paris. Le principe est simple : les participants doivent constituer leur équipe et présenter leur business model devant un jury le dimanche soir. Un concept importé des Etats-Unis. Ils ont très vite l’envie d’organiser plus qu’un Startup Weekend par an. Ils se lancent donc dans l’organisation de plusieurs événements liés à l’entrepreneuriat les années suivantes. Le groupe s’élargit, certains partent, d’autres rejoignent l’équipe. Les événements se succèdent. En 2014, ce groupe de bénévoles décide de se structurer en ASBL pour encadrer ses activités : Gotoro est né. Gregory Van Ass est toujours dans l’équipe et songe à un nouveau concept d’événements : une conférence où l’on pourrait parler de ses échecs et des leçons que l’on en a tirées.

Je me suis rendu compte que l’on ne partageait pas nos expériences en Wallonie.” Gregory Van Ass

Une grande campagne en Flandre

” Je me suis rendu compte que l’on ne partageait pas ce genre de choses en Wallonie “, se souvient l’entrepreneur. Gregory Van Ass s’est notamment inspiré de Failing Forward, une conférence organisée une fois par an à Bruxelles par Startups.be. En novembre 2016, la dernière édition de cet événement avait notamment rassemblé des personnalités comme Jeff Colruyt, patron du groupe éponyme, ou Michèle Sioen, ancienne présidente de la FEB. En Flandre, Failing Forward est également décliné en une plus large campagne d’événements et de communication depuis novembre. En mai 2016, Sartups.be a signé un accord avec le gouvernement flamand pour organiser de plus petites soirées tout au long de l’année, à raison d’une conférence par mois et par ville. Durant ces conférences, trois speakers parlent de leurs échecs et des leçons qu’ils en ont tirées durant un exposé d’une quinzaine de minutes chacun. Entrepreneurs, restaurateurs, sportifs, etc., les orateurs viennent de multiples horizons. Un concept lui-même largement inspiré des Fuckup Nights, des soirées nées à Mexico en 2012, ou des Fail Con, un événement lancé à San Francisco en 2009. Ces conférences ont ensuite été organisées dans le monde entier. A Liège, Gregory Van Ass et ses collègues de Gotoro s’inscrivent dans ce même mouvement en lançant les No Fail No Gain en 2015. Une conférence annuelle d’une heure trente composée de speechs d’une vingtaine de minutes par intervenant. Trois éditions ont déjà eu lieu dans la Cité ardente.

En Flandre, Startups.be organise également une campagne de communication déclinée en publicités et relayée par des articles de presse. Soutenue par le gouvernement flamand, cette grande campagne publicitaire et événementielle est programmée jusqu’en 2020. L’objectif de ces initiatives reste le même : casser cette culture très européenne où échouer reste encore tabou. Dans le même état d’esprit, nous avons donné la parole à trois entrepreneurs, dont Gregory Van Ass, pour qu’ils nous racontent leurs propres échecs et les leçons qu’ils en ont tirées. Non pas pour les glorifier, mais pour les dédiaboliser. ” Echouer, c’est avoir la possibilité de recommencer de manière plus intelligente “, disait Henry Ford.

“Ce qui est intéressant, c’est ce qui se passe après l’échec”

En 2013, Cross-Roads, société active dans la consultance informatique, le développement de sites web et d’applications mobiles, fait faillite. Un choc pour Gregory Van Ass, son fondateur. Mais de cet échec, le Liégeois en tirera plusieurs leçons qu’il mettra à profit pour ses autres projets et pour la suite de sa carrière.

Mieux appréhender la viabilité d’une entreprise

La faillite de Cross-Roads l’a amené à remettre en question tous ses autres projets. Ceux qu’il voulait poursuivre, ceux qu’il voulait arrêter. Notamment en confrontant ses estimations de rentabilité réalisées au départ, la situation actuelle et les projections de développement qu’il pouvait espérer. “Je me suis posé des questions sur la viabilité de mes autres projets”, confie Gregory Van Ass. Notamment sur celle de Mapromo. Cette start-up géolocalisait les promotions des commerçants sur une application et sur un site web. “A mon sens, elle n’allait pas décoller, poursuit-il. Elle était donc vouée à l’échec.” Il décide donc de fermer cette seconde entreprise en janvier 2014.

Etre plus détaché psychologiquement de son entreprise

Gregory Van Ass le confie bien volontiers : des erreurs, il en a faites. Des erreurs que beaucoup d’entrepreneurs débutants commettent. “Je pense que Cross-Roads a grandi trop vite, reconnaît-il. Une des erreurs que j’ai faites, c’est d’avoir multiplié les apports propres en cash pour absorber cette croissance.” Une stratégie qui ne s’est finalement pas avérée payante. “Sur le moment même, tu n’as pas les capacités d’analyse suffisantes parce qu’il y a un attachement psychologique à ton projet, analyse l’entrepreneur. Tu ne vois pas clair.” Cet échec lui a donc appris à prendre de la distance par rapport à ses projets. “En tant qu’entrepreneur, tu mélanges un peu trop l’émotionnel et le business. Il faut avoir un attachement à son entreprise pour que ce soit passionnant et qu’elle avance, mais il faut être suffisamment détaché pour prendre des décisions éclairées.”

Apprendre à relativiser

Cet échec lui a permis aussi de relativiser : “Ce n’est pas parce que ton entreprise fait faillite que c’est la fin du monde pour toi, ta famille ou tes employés. C’est juste la fin de ton entreprise”. Gregory Van Ass a ensuite poursuivi sa route en multipliant les contrats de consultance informatique en tant que free-lance. Il s’est aussi impliqué dans l’ASBL Gotoro et a cofondé les No fail No Gain. Aujourd’hui salarié, le Liégeois est le nouveau responsable IT de Meusinvest depuis le 1er juin.

“L’entrepreneuriat, c’est avant tout une aventure humaine”

“Pour moi, être entrepreneur, c’était être riche”, s’amuse aujourd’hui Davy Courteaux. En 2012, le jeune homme participe à la deuxième saison de l’émission Starter de la RTBF, et rêve de la Silicon Valley. “C’est là que je découvre le métier d’entrepreneur, concède-t-il. C’est là que je découvre réellement ce que c’est.” Il ressort de cette émission avec un premier projet : Foxi.be, un site web qui rassemblait des activités originales et à intérêt pédagogique tels des cours de cuisine ou de bricolage, des initiations au kitesurf, etc. Il participe ensuite à toute une série de concours pour entrepreneurs comme NEST’up, NRJ Startup, etc. A l’occasion de ces concours, Davy Courteaux rencontre David Theijs, graphiste, et Jonas Thiry, développeur. Ils s’associent et lancent la première version de Foxi en 2014. Mais le trio ne parvient pas à convaincre. “Les seuls concours que je ne gagne pas, ce sont les concours pour investisseurs. Je n’arrive pas à lever des fonds”, explique Davy Courteaux. Ils décident alors de lancer une agence de communication : Phenomen. “Et ça cartonne”, nous raconte-t-il.

Une nécessaire introspection

Ce matin-là, Davy Courteaux nous reçoit dans les bureaux de NRJ, à Bruxelles. Visite des studios, “Coucou” par-ci, “Salut” par-là, si Davy collabore aujourd’hui avec cette radio, c’est grâce à sa participation à la première édition des NRJ Startup, en 2013. Il coordonne et anime notamment le concours qui l’a fait entrer au sein de la radio musicale. Mais il ne fait par contre plus partie de Phenomen depuis 2015. “Mes associés m’ont demandé d’arrêter Foxi et NRJ pour me concentrer à 100 % à Phenomen”, explique-t-il. L’entrepreneur décide finalement de poursuivre la radio, d’arrêter Foxi et de quitter l’agence de communication. Jonas étant parti depuis plusieurs mois, la séparation entre les deux derniers associés ne fut pas simple. Aujourd’hui, Phenomen existe toujours et Foxi n’a pas été mis en faillite. Le projet s’est simplement arrêté par manque d’énergie. “Foxi, j’en ai fait une overdose”, confie Davy Courteaux, qui n’avait pas envie de poursuivre le projet seul. De cette expérience, l’entrepreneur en a tiré plusieurs leçons : “On dit souvent qu’il faut s’associer avec des gens qui sont complémentaires au niveau de la discipline et de l’humain. Avec eux, ça l’était. Mais par contre, ce que l’on ne dit pas, c’est qu’il faut s’associer avec des gens qui partagent les mêmes ambitions que toi. Moi j’étais un bulldozer. Je voulais avancer. Je voulais aller vite”.

Le feu des projecteurs

Mais l’humain va aussi les rattraper. “Je me suis laissé dépasser par cette aventure entrepreneuriale, confie Davy Courteaux, Ça m’a apporté énormément de reconnaissance. Venant d’un milieu difficile, j’en avais besoin à ce moment-là. Et donc je finissais par rechercher la visibilité, non plus pour mon projet, mais pour moi. C’était toujours moi qui étais sous les projecteurs. Mais si j’ai réussi à lancer cette start-up, c’était aussi grâce aux autres. Mais je n’en parlais jamais.” Or ses associés avaient aussi besoin de cette reconnaissance. Davy Courteaux s’est rendu compte que l’entreprise, c’est d’abord une aventure humaine, faite de relations et de sentiments. “La première chose à faire, avant une étude de marché, avant un business plan, c’est de faire une introspection, de revivre des situations du passé, conseille-t-il. Quand ton père t’abandonne, quand ta copine te quitte, quand un ami te rejette, etc., ce sont des expériences que tu revis quand tu es entrepreneur. Quand tu fais cette introspection et que tu te demandes comment tu t’es relevé de tout ça, tu te crées alors une boîte à outils.” Une introspection qui permet aussi d’analyser ce qui nous définit, de mettre le doigt sur les complexes qui peuvent nous déstabiliser.

Sa propre introspection, Davy Courteaux l’a faite sur scène début 2017 à travers son spectacle Je lance ma boîte. Mais le Bruxellois de 28 ans veut aller au-delà du partage d’expérience. Il veut populariser sa passion d’entreprendre. “L’entrepreneuriat doit être accessible à tous, clame-t-il. Elle n’est pas réservée qu’aux fils à papa ou à une certaine élite.”

Mes trois leçons du monde digital

La démocratisation des téléphones intelligents a ouvert un nouveau territoire pour les développeurs : celui des applications mobiles. Un créneau dans lequel se sont engouffrés les marques, les entreprises, les start-up, les studios de jeux vidéos et les publicitaires. Mathieu France, managing partner Mediafield et MediaExpo, a cru dans cette ruée vers l’or. Ce Belge de 43 ans est à la tête d’une société active depuis 2002 dans la vente d’espace d’affichage. Principal terrain de jeu : les rues et lesnight-shops. “Je voyais que tout le monde se lançait dans le digital”, explique l’entrepreneur. En septembre 2014, il lance donc l’application Figibox. “C’était une application de chasse au trésor, détaille-t-il. L’idée était de permettre aux gens de cacher des messages digitaux dans le monde réel. Des messages que l’on trouvait grâce à son smartphone. Ils se révélaient quand on se trouvait à l’endroit où une autre personne les avait placés. En cas de succès, elle pouvait se décliner en une application de chasse au trésor, sponsorisée par des annonceurs pour trouver des boissons gratuites, par exemple.” Figibox rassemble jusqu’à 6.000 utilisateurs. Trop peu pour être rentable, Mathieu France met un terme à l’appli huit mois après son lancement. Mais il a déjà une autre idée en tête. Quelques mois plus tard, en 2015, il lance Yiha, une application qui permet de partager des messages digitaux anonymes dans un rayon de 20 kilomètres autour de soi. Cette fois, cette appli séduit 80.000 utilisateurs en quatre mois. Mais pour un annonceur, cette communauté n’est pas encore assez importante pour être exploitée. “Les annonceurs veulent toucher minimum 500.000 personnes”, ajoute-t-il. Yiha meurt également quelques mois après son lancement. Mathieu France a tiré trois grandes leçons de ces expériences.

1. Une “dream team”

“Il faut s’être entouré d’une équipe de feu”, lance l’entrepreneur. Une équipe au sein de laquelle au moins un développeur doit être capable de modifier rapidement l’appli sans que ça ne coûte quoi que ce soit à la société. “Un des associés doit être compétiteur en termes d’applications ou de sites web”, reconnaît Mathieu France.

2. Direction l’Amérique

Pour Mathieu France, les Etats-Unis sont le réel eldorado du monde digital. “Si vous ne vous lancez pas à San Francisco ou à New York, vous risquez de vous casser la figure”, clame

l’entrepreneur. L’entreprise peut alors potentiellement toucher un marché de 250 millions de consommateurs. Un pays qui a un leadership certain dans ce domaine et qui influence donc le reste du monde. Le Belge prend pour exemple Pokémon GO. Grâce à la réalité augmentée, ce jeu permet d’attraper de petites créatures avec l’appareil photo de son téléphone. Un succès qui s’explique par une campagne marketing

rondement menée des mois auparavant grâce au soutien de journalistes et d’influenceurs américains. “On ne les connaît pas si on n’est pas basé là-bas”, estime l’entrepreneur.

3. Un million d’euros en poche avant de créer une appli

“La troisième condition, nécessaire mais pas suffisante, pour réussir dans le monde du digital est de lever un million d’euros avant de lancer votre application sur l’App Store ou de lancer votre site web”, poursuit Mathieu France.

Il faut convaincre un investisseur, américain de préférence, d’investir dans votre idée. Avant même que le code de l’application ou du site ne soit écrit. Une somme nécessaire pour recruter

les meilleurs experts IT et mener une campagne marketing. “Et quand votre projet fait un énorme buzz – ce qui n’est pas gagné -, vous devez lever 5 ou 6 millions derrière. C’est impossible si vous n’avez pas eu une bonne valorisation de départ.”

Mathieu France pose un regard lucide sur ses expéditions “en territoire digital” : “J’ai appris que ce n’était pas mon monde”. Il se consacre aujourd’hui exclusivement à l’affichage traditionnel. Un marché qui, malgré l’essor d’Internet, a plus que jamais sa raison d’être : “A Paris, je regardais les affiches sur les bâtiments et je voyais Deliveroo qui faisait de la pub. Place Louise, à Bruxelles, je voyais un grand tram avec Take Eat Easy, qui venait de lever des millions d’euros”. Mathieu France se rend alors compte qu’il est bien trop risqué de chercher de nouveaux filons numériques. Il a une meilleure carte à jouer : proposer ses solutions d’affichage aux start-up qui se lancent sur cet espace 2.0. Vendre des pioches aux chercheurs d’or. Il est sans doute là, son véritable eldorado.

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