Quand les robots deviendront mous

Conçu à l'université de Harvard, ce robot est dépourvu d'électronique et de batterie. Une réaction chimique, qui libère un gaz mis sous pression pour servir de propulseur, lui permet de se déplacer. © PG

L’utilisation de matériaux mous pourrait révolutionner la robotique, notamment pour la santé et l’industrie. Mais le contrôle de leurs mouvements pose encore des défis aux chercheurs.

Oubliez le métal, la rigidité et les mécanismes qui grincent. Le robot du futur sera… mou. La soft robotics constitue le champ le plus novateur et peut-être le plus prometteur de la recherche en robotique. Historiquement destinés aux usines et à leurs chaînes d’assemblage, les robots ont été fabriqués à partir de matériaux durs. Et, depuis une cinquantaine d’années, alors qu’ils sont sortis des usines pour se muer en serviteurs zélés, leurs descendants ont gardé ces caractéristiques. Même les auteurs de science-fiction leur ont généralement conservé leur armure.

L’apparition de nouveaux matériaux souples, les difficultés des robots classiques face à certaines tâches et, surtout, la vogue du biomimétisme ont tout changé. Dans la nature, les organismes vivants, même ceux ayant un squelette ou une structure rigide, ne sont-ils pas pour l’essentiel constitués de tissus ? ” Ces recherches sur les robots sont aussi liées aux espoirs qu’on place en eux, explique Cecilia Laschi, professeur de biorobotique à la Scuola Superior Sant’Anna à Pise et pionnière de la robotique ‘molle’. Il paraît évident qu’ils pourront interagir plus facilement et plus efficacement dans le monde réel. A l’image d’un animal, dont les tissus souples absorbent les chocs et épousent différentes surfaces. ”

Les premières applications concrètes concernent principalement deux domaines. D’abord l’industrie, avec Soft Robotics Inc., l’une des premières entreprises actives sur ce marché balbutiant. Cette start-up de Boston, qui exploite les recherches du professeur George Whitesides, de l’université de Harvard, a mis sur le marché en 2015 des pinces souples en élastomère fonctionnant avec de l’air comprimé. Elles s’adaptent aux robots industriels destinés aux chaînes de conditionnement dans l’industrie agroalimentaire. ” Le matériau utilisé est agréé pour la nourriture et permet de saisir délicatement aussi bien des fruits ou des légumes que des donuts ou des croissants “, explique Carl Vause, PDG de Soft Robotics Inc. Son entreprise, qui a levé 4,5 millions de dollars, travaille déjà à un nouveau design de pinces.

Ensuite, le marché le plus prometteur serait celui de la santé. Un laboratoire de Harvard travaille ainsi sur des prothèses destinées aux malades souffrant d’un déficit moteur. Un gant robotisé permet par exemple à une personne, pourtant incapable de bouger les doigts, d’attraper un objet. Un autre laboratoire de l’université a développé un dispositif destiné aux pathologies cardiaques. En entourant le coeur, il aide l’organe à fonctionner en battant à la même cadence. En Grande-Bretagne, le King’s College mène le projet Stiff Flop autour d’un endoscope flexible permettant d’opérer en passant par les voies naturelles et sans incision. ” C’est une discipline tellement nouvelle qu’il existe des challenges à relever dans plusieurs domaines : modélisation, détection et retour d’efforts, contrôle, fabrication, indique le docteur Hongbin Liu, du Centre for Robotics Research. Il peut se passer cinq années avant de voir un tel produit sur le marché. ”

Une infinité de mouvements

Il y a encore quelques années, les scientifiques butaient sur le manque de dispositifs de préhension. Ce n’est plus le cas. A Harvard, on a par exemple travaillé sur des actionneurs en forme de trompe d’éléphant, associant élastomères et fibres, et capables de produire des mouvements étonnamment naturels : étirement, torsion, contraction. Le mouvement peut être produit par des câbles, par effet piézo-électrique, ou encore par de l’air comprimé. A l’image du Glaucus, un petit quadrupède sans aucune partie mécanique, conçu par l’entreprise américaine Super-Releaser et qui rampe grâce à de l’air qui gonfle alternativement ses pattes. A l’inverse, faire le vide dans une structure remplie de granulés permet de lui donner toutes sortes de formes avec différents degrés de rigidité. Les matériaux dits intelligents, à mémoire de forme, sont également prometteurs.

Restent deux problèmes majeurs. Celui de l’énergie, d’abord : les robots souples sont aujourd’hui condamnés à avoir un fil à la patte, à moins de transporter à la fois une batterie et un compresseur sur leur dos. En milieu d’année dernière, une autre équipe de Harvard a pourtant décrit dans le journal Nature son Octobot : le premier robot mou, mobile et ne comportant aucune partie électronique. Ce petit poulpe, fabriqué grâce à une combinaison de procédés (moulage, impression 3D et lithographie) simples à mettre en oeuvre, est surtout autonome en énergie. Le gaz lui permettant de se mouvoir est produit en interne grâce à une réaction chimique.

L’autre défi à relever est celui du contrôle de ces engins, qui doivent par exemple être capables de suivre une trajectoire. Cela dépend de l’environnement mais aussi de leur morphologie. ” Un robot avec des structures déformables peut en théorie réaliser une infinité de mouvements, impossibles à modéliser avec les mêmes méthodes que pour un robot classique, explique Christian Duriez, spécialiste de l’intelligence artificielle à l’Inria, qui pilote un des rares projets français de soft robotic, Defrost (pour deformable robotic software). Tant que l’on n’aura pas résolu ce problème du contrôle, les applications seront limitées. ” Comme le résume Cecilia Laschi, ” avec des robots mous, le savoir-faire d’une cinquantaine d’années de robotique ne sert plus à grand-chose “.

Le travail sera long et le poulpe, qui fascine tant les roboticiens, est loin d’avoir livré ses secrets. Pour Cecilia Laschi, les progrès passeront par une compréhension accrue des animaux. ” L’immense défi à relever, c’est de rendre nos robots non seulement plus habiles, mais aussi plus intelligents : savoir quand allonger un tentacule, ramper ou réduire sa taille, assure-t-elle. Nos robots sont si limités qu’il est urgent de travailler avec les biologistes et d’en savoir plus sur ces animaux si fascinants qui disposent d’une infinie quantité de mouvements et de stratégie d’adaptation jusqu’à changer de couleur. C’est la raison pour laquelle la soft robotics est très interdisciplinaire. ”

Frank Niedercorn (Les échos – 9/5/2017)

Il y a encore quelques années, les scientifiques butaient sur le manque de dispositifs de préhension. Ce n’est plus le cas.

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