Évasion fiscale: les grands classiques, selon l’économiste Éric Dor

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Vous voulez des preuves concernant les pratiques d’évasion fiscale ? Penchez-vous sur les comptes nationaux, suggère l’économiste Eric Dor.

1. Qu’est-ce qui vous a frappé dans les statistiques nationales ?

L’idée générale est toujours de faire migrer l’argent de là où il serait fortement taxé vers là où il l’est peu. Parmi les stratégies, il y a quelques grands classiques, comme celui sur les droits de marque ou de propriété intellectuelle. Les entreprises qui vendent des logiciels ou des services informatiques s’organisent, par exemple, pour que leurs clients contractent avec une filiale logée dans un pays comme l’Irlande, où l’impôt des sociétés est plus faible. Les exportations irlandaises de services télécoms ou informatiques représentent 23,6 % du PIB du pays ! Parfois, cet argent repart vers des structures offshores, ce qui explique les énormes redevances (72 milliards, soit 26 % du PIB) versées par l’Irlande pour le droit d’usage intellectuel.

Autre grand classique : c’est une filiale luxembourgeoise qui prête de l’argent à une filiale opérationnelle étrangère pour faire migrer l’argent vers le Luxembourg. Et cela se reflète dans le montant élevé des intérêts reçus par le Luxembourg en provenance du reste du monde : 71 milliards d’euros, soit plus de 134 % du PIB luxembourgeois !

Eric Dor, IESEG School of Management.
Eric Dor, IESEG School of Management.© PG

2. Très curieux aussi : 26 % des importations d’avions de taille moyenne de l’Union européenne se situent au Royaume-Uni…

Beaucoup de célébrités créent une société sur l’île de Man pour acheter leur jet. Cette société achète l’avion, puis le loue à cet utilisateur unique. La location étant une activité commerciale, cet achat est exonéré de TVA. Un montage similaire s’observe à Malte pour les yachts.

3. Qu’est-ce que tout cela vous inspire ?

Il y a d’abord une question morale. Ces multinationales utilisent les infrastructures et les services des pays où elles sont opérationnelles mais ne veulent pas y payer d’impôt.

En outre, ce n’est pas un hasard si ce sont des petits pays, parfois excentrés, qui présentent ces pratiques. Dans un marché unique, leurs producteurs locaux sont rarement compétitifs. Que leur proposer comme modèle économique de substitution ? Certains vont jusqu’à imaginer de mettre en place des transferts en échange d’une harmonisation fiscale.

Enfin, il y a la question du financement de la sécurité sociale et des infrastructures… Dans un monde où beaucoup d’activités sont mobiles, et donc difficilement taxables, la fiscalité s’allège sur ce qui est mobile (le capital mobilier, le travail très qualifié) et se reporte sur ce qui est fixe (le travail non qualifié, l’immobilier, la consommation, etc.). Un rapprochement des taux de l’impôt des sociétés et une harmonisation de la base taxable, au niveau européen puis mondial, paraît plus que nécessaire.

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