Pour une liste noire des enfers fiscaux

Après un an de tergiversations et de conciliabules, les 28 membres de l’Union européenne ont fini par établir une liste ” noire ” des paradis fiscaux. En théorie, cette liste devait concerner les Etats qui ne prenaient pas les trois engagements suivants : se conformer aux standards d’échange automatique de données de l’OCDE, éviter de favoriser l’implantation de sociétés offshore et s’engager à accepter les lignes directrices de lutte contre l’évasion fiscale des multinationales de l’OCDE.

La liste finalement publiée n’est clairement pas inspirée par ces seuls critères. Elle n’est pas ” juridique “, parce qu’elle ne répond pas à des critères objectifs, et est clairement ” politique ” : son seul objet est de faire pression sur des Etats, de préférence pas trop importants sur le plan politique et économique, et le résultat est qu’on y trouve essentiellement des îlots et micro Etats, du style Samoa, île de Guam, Grenade, Sainte-Lucie, Trinité et Tobago ou encore La Barbade. On y a ajouté le Panama, les Emirats Arabes Unis, et, de manière plus étonnante, la Corée du Sud (mais pas celle du Nord ! ) et la Tunisie.

Il se fait que dans de nombreux Etats, dont une bonne partie de ceux qui figurent sur les listes noire et grise, la morale de l’autorité consiste précisément à réduire son rôle dans la mesure du possible.

Cette liste n’est évidemment pas sérieuse. Si l’on avait voulu y ajouter un Etat qui respecte fort peu les critères que l’on prétend appliquer, les Etats-Unis y figureraient en bonne place, mais l’on sait depuis La Fontaine que ” suivant que vous soyez puissant ou misérable “, les jugements vous rendront blanc ou noir …

C’est également suivant des critères tout à fait politiques que l’on a ajouté à cette liste noire, une liste ” grise ” d’une quarantaine de juridictions, qui ont pris des engagements, mais dont l’Union européenne attend qu’ils soient tenus. Et puis il y a aussi une liste ” ouragans ” contenant quelques Etats des Caraïbes, comme Antigua ou les îles Vierges britanniques, qui auraient pu se trouver sur la liste noire, mais auxquels on donne quelques mois de répit, parce qu’ils ont été victimes des ouragans. De plus, à part l’opprobre dont on entend accabler les Etats récalcitrants ainsi listés, l’Union ne précise pas quelles conséquences s’attachent au fait de figurer sur de telles listes.

On dirait que l’Union européenne cherche surtout à faire la morale à des Etats tiers pour faire valoir sa conception extrêmement étatiste du monde : les Etats doivent disposer du maximum de ressources possibles, et il est immoral d’aider, même passivement, des citoyens à y échapper, illégalement, par la fraude, ou même légalement, par le recours à des avantages fiscaux légaux accordés dans d’autres pays.

Cette morale est bien étrange et il faut, une fois de plus, s’interroger sur ce qui peut bien amener des Etats, qui prétendent être épris de liberté, à considérer qu’il existerait une morale universelle contraignant les individus à faire bénéficier le pouvoir dont ils dépendent du maximum de ressources, à consacrer le plus grande partie de leur temps à travailler pour les autorités et à n’avoir aucun secret pour celles-ci, même s’il s’agit de pouvoirs étrangers auxquels on ne devrait pas faire allégeance et qui souvent ne le méritent pas.

Il se fait que dans de nombreux Etats, dont une bonne partie de ceux qui figurent sur les listes noire et grise, la morale de l’autorité consiste précisément à réduire son rôle dans la mesure du possible, à ne pas accabler les citoyens de charges inutiles, et à tenter de préserver la ” sphère privée “, et donc les secrets, y compris bancaires, même envers les administrations fiscales. C’est ce que font encore aujourd’hui, mais seulement pour leurs résidents, des Etats comme la Suisse, et même le Luxembourg, membre de l’Union européenne. Pour ceux-ci, la protection de la vie privée est prioritaire par rapport aux intérêts matériels de ceux qui exercent le pouvoir et de leur clientèle électorale.

Les Etats membres de l’Union européenne figurent, pour la plupart, parmi les Etats les plus taxateurs au monde, et la Belgique figure d’ailleurs en très ” bonne ” place dans ce palmarès. Il faut une certaine arrogance de leur part pour tenter de donner des leçons à des Etats qui sont parfois infiniment plus libres qu’eux, notamment parce qu’ils ne croient pas utile d’accaparer plus ou moins la moitié des richesses provenant du travail et de l’épargne de leurs citoyens. Il serait temps d’établir une vraie liste noire, celle des Etats qui, suivant les termes du philosophe socialiste allemand Peter Sloterdijk, pratiquent du totalitarisme fiscal en exerçant un pouvoir sur la quasi-totalité des activités de leurs habitants, et en faisant prévaloir les intérêts d’Etats hypertrophiés sur les droits des gens et les valeurs humaines les plus fondamentales.

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