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Paradise Papers: ‘Nike et les enfers fiscaux’

Sur la base de données informatiques volées,notamment, auprès d’un cabinet d’avocats des Bermudes, certains journaux présentent comme de grandes révélations des informations concernant le comportement des multinationales en matière fiscale.

On a ainsi décritla manière avec laquelle ” Nike évite de payer plusieurs milliards d’euros d’impôts en Europe grâce à une série de montages aux Pays-Bas “. Un tel titre donne immédiatement l’idée que des opérations douteuses ont été réalisées aux Pays-Bas pour éluder des milliards d’impôts qui auraient été légitimement dus.

Ce n’est qu’ensuitequ’on apprend que les ” montages ” sont en réalité des contrats conclus entre des sociétés du groupe Nike, que ces contrats sont connus des administrations fiscales concernées, et que celles-ci ne semblent avoir émis aucun reproche à l’égard du groupe. On devrait donc être rassuré quant à la légalité des opérations : rien n’a été caché.

Ceci n’empêche pascertains journalistes et parlementaires de s’indigner, sous prétexte que ” moralement ” éviter l’impôt serait condamnable. Cette question à elle seule mériterait de longs commentaires. Mais la question de Nike, comme de multiples autres entreprises, mérite d’être analysée de plus près. Le groupe n’a caché aucun revenu à aucune administration fiscale des pays d’Europe, alors qu’elle vend des produits partout. Elle a seulement considéré que les sociétés de son groupe qui ont le droit de vendre ses produits doivent payer des redevances aux sociétés qui sont titulaires ou licenciées de sa marque, et que des redevances sont dues pour l’usage de cette marque elle-même. Et elle s’est bien sûr organisée pour que l’essentiel des revenus de la marque reviennent à une société peu ou pas taxée, située aux Bermudes. Elle a donc décidé de faire le choix des Bermudes pour la localisation de son entreprise titulaire de sa marque ou de son logo, mondialement connu. En droit, cela ne pose aucun problème, sauf si ce choix ne correspondait pas à la réalité, c’est-à-dire si la marque et les droits de commercialisation n’étaient pas effectivement gérés depuis les Bermudes, ou encore si le niveau des redevances convenues entre les différentes sociétés du groupe ne correspondait pas à une valeur correcte de marché. On peut présumer que les intérêts en jeu ont amené les administrations fiscales concernées à effectuer de telles vérifications.

A partir de quel taux nos moralistes trouveront-ils que l’on paie suffisamment d’impôts ?

La question se ramènealors à celle de savoir si Nike pouvait choisir d’installer cette société aux Bermudes, ou si elle aurait dû le faire en Bulgarie, en Russie, en Slovaquie, en Suisse, en Espagne, ou si le respect de l’éthique devait même l’amener à choisir la Belgique, pour être certaine de payer 33,99 %. A chacun de ces pays correspond un taux d’impôt différent, et en tous ces lieux, on vend des chaussures Nike. A partir de quel taux nos moralistes trouveront-ils que l’on paie suffisamment d’impôts ?

Il se fait que les différents paystaxent les redevances à des niveaux différents et qu’aucun d’entre eux, y compris les Bermudes qui ne les taxent pas, n’est plus ou moins ” moral ” que les autres. Chacun a sa politique, et Nike bénéficie de la concurrence entre eux pour faire le seul choix logique du point de vue de la gestion : elle place les droits de marque et de commercialisation là où cela lui coûte le moins cher.

Il n’y a rien d’artificielà cela. Il se fait simplement que, ce qui donne de la valeur aux chaussures qu’elle vend, c’est la marque et le logo qui figurent dessus. Chacun sait que si la même chaussure était vendue sans ce célèbre logo, elle se vendrait infiniment moins bien ou moins cher. Ce sont les droits intellectuels, en ce compris la réputation acquise par la marque, qui donnent de la valeur au produit. Peu importe que la gestion de la marque n’implique que quelques membres du personnel, alors que les chaussures sont fabriquées par des milliers d’ouvriers et vendues par un grand nombre de vendeurs, la valeur du produit dépend essentiellement de la marque. Lorsqu’on dit alors que le groupe ne paie que 2 % d’impôts sur ses bénéfices en Europe, c’est tout simplement faux : l’essentiel des bénéfices sur les ventes en Europe n’est pas réalisé en Europe parce que la marque n’appartient pas à une société européenne.

Ce que cette histoire éclaire, ce ne sont donc pas les manipulations d’un groupe international pour payer artificiellement moins d’impôts. Cela montre simplement la réalité économique : l’Europe n’est plus un contient attrayant et les bénéfices les plus importants sont réalisés ailleurs parce que la valeur se trouve ailleurs.

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