Mithra tourne la page des génériques

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La société liégeoise a assis son succès sur la pilule contra-ceptive générique. Pourquoi, alors que tout semble lui réussir, cède-t-elle aujourd’hui son portefeuille de génériques à Ceres Pharma pour 40 millions d’euros ?

“Nous arrivons au bout d’un parcours “, lâche François Fornieri, fondateur et CEO de Mithra. Ce parcours, c’est la transformation d’une société pharmaceutique en une société de biotechnologie. Dès l’origine, Mithra se rêvait en biotech, c’est-à-dire en entreprise innovante, capable de développer de nouveaux médicaments, en l’occurrence à base d’estétrol, un oestrogène naturel. C’était l’ambition de François Fornieri et de son partenaire Jean-Michel Foidart, professeur de gynécologie à l’Université de Liège. Pour financer les recherches nécessaires, Mithra a commercialisé des produits de santé hors prescription (crèmes, compléments alimentaires, etc.) et des médicaments génériques, en particulier les pilules contraceptives Desorelle et Daphne.

Deux blockbusters potentiels

Vingt ans plus tard, Mithra est en passe de réaliser son ambition initiale en amenant sur le marché deux médicaments à base d’estétrol. La phase III d’expérimentation (la dernière) pour la pilule contraceptive Estelle se termine : la dernière volontaire aura achevé les tests le 3 novembre. Après, ce sera la procédure administrative en vue d’un lancement en 2020, dans le monde entier. Le traitement hormonal contre la ménopause Donesta entre, lui, en phase III et peut ambitionner une mise sur le marché vers 2022. Avec cela, Mithra dispose de deux blockbusters potentiels (médicaments à plus d’un milliard de dollars de recettes), ce qui a fait exploser son cours de Bourse depuis le début de l’année. ” Nous sommes de plus en plus perçus comme une biotech innovante, explique François Fornieri. Notre portefeuille de génériques crée alors une certaine confusion. En outre, nous avions déjà vendu nos filiales de distribution en France, au Brésil et ailleurs, ce que le marché savait très bien. ”

Un matelas financier déterminant pour Mithra

D’où cette question : ne faudrait-il pas vendre aussi le portefeuille de génériques belges et luxembourgeois ? Certes, celui-ci rapporte 4,8 millions d’euros avant impôts. Mais les marges diminuent d’année en année et plusieurs licences arriveront bientôt à échéance. ” Nous étions au bout d’un processus “, résume le patron de Mithra. Il a préféré concentrer tous les efforts de l’entreprise sur ses deux produits innovants, si proches d’une commercialisation, plutôt que de réinvestir dans le volet des génériques. Ceux-ci seront donc vendus à Ceres Pharma, qui acquiert aussi la distribution de l’anneau vaginal Myring et de la future pilule Estelle pour la Belgique et le Luxembourg. Le deal apporte immédiatement 20 millions d’euros à Mithra, montant qui devrait être doublé en fonction des chiffres de vente de Ceres Pharma. Soit au total presque huit fois le profit annuel de ce portefeuille. Cette transaction renforce la position de trésorerie de Mithra, déjà garnie du fruit de la récente augmentation de capital (78 millions d’euros). Ce matelas financier constitue un élément déterminant pour l’avenir de l’entreprise. ” Nous n’allons pas distribuer Estelle nous-mêmes, explique François Fornieri. Nous négocions avec des géants de la distribution de médicaments. Ils observent notre trésorerie, ils voient que nous avons du cash en réserve et que nous pouvons prendre le temps de conclure un bon accord. ” En d’autres termes, Mithra ne bradera pas son trésor dans la précipitation, juste pour pouvoir payer ses factures à court terme. Précisons que l’accord avec Ceres est non exclusif et qu’il ne ferme donc pas la porte à un éventuel deal avec un groupe pharma pour la distribution d’Estelle en Belgique.

Un partenaire pour Donesta ?

L’impact d’une trésorerie renforcée se fera aussi sentir sur l’autre blockbuster potentiel de Mithra. L’entreprise avait annoncé l’an dernier sa recherche d’un partenaire pour achever le développement de Donesta. Les liquidités dont elle dispose désormais lui permettent de se passer de partenaire ou, à tout le moins, de négocier le partenariat dans des conditions nettement plus confortables. Quand vous parlez d’un médicament à 1 milliard d’euros, ça vaut la peine de pouvoir discuter à 10 % près… ” La vente de notre portefeuille de génériques nous permet de discuter en étant bien relax, conclut François Fornieri. Nous sommes en mesure d’obtenir le maximum de nos produits innovants. Mithra a clairement les moyens de ses ambitions. ”

L’ombre de Marc Coucke

Marc Coucke et François Fornieri
Marc Coucke et François Fornieri© PG

Qui est donc ce Ceres Pharma qui apporte si opportunément de l’argent frais à Mithra ? Il s’agit d’une jeune société créée et détenue à 80 % par Marc Coucke, le président de Mithra (dont il possède 16 % des parts). Cela sent le conflit d’intérêts à plein nez. ” Marc n’a jamais participé aux discussions sur ce dossier, ni d’ailleurs l’autre administrateur représentant d’Alychlo (le holding de Marc Coucke) chez Mithra, assure François Fornieri. En conseil d’administration, la décision de vente a été prise par les seuls administrateurs indépendants. En outre, depuis le début, la FSMA a été avisée de la situation et elle a suivi le processus de décision. ”

Ceres Pharma et Marc Coucke ont-ils payé le juste prix pour ce portefeuille de produits génériques ? Les estimations des analystes oscillaient entre 15 et 35 millions, mais dans L’Echo, Degroof-Petercam a évoqué le chiffre de 70 millions d’euros. ” Le marché savait que nous songions à vendre, explique François Fornieri. Depuis un an, nous avons reçu des offres de partout, de France, des Etats-Unis, de Belgique. Mais elles étaient toujours largement inférieures aux 40 millions de Ceres. ” Explication : les uns voyaient juste un volume de ventes supplémentaires quand la firme de Marc Coucke,en phase de démarrage, avait aussi besoin d’un porte-drapeau pour entrer sur le marché pharmaceutique belge. ” Ils ont acheté une position sur le marché, avec la délégation médicale et l’image de nos produits, analyse François Fornieri. Ils savent très bien qu’ils devront ensuite renouveler la gamme mais, en attendant, ils auront d’emblée une vraie force commerciale. ”

Ceres Pharma a été fondée l’an dernier par Marc Coucke et Mario Debel, un ancien manager d’Omega Pharma. Ses principaux produits sont les compléments alimentaires pour sportifs de la marque Etixx. Celle-ci faisait partie de l’ensemble Omega Pharma que Marc Coucke a vendu au groupe américain Perrigo en 2015 pour 3,6 milliards d’euros. Marc Coucke a racheté Etixx en 2016 pour un montant qui n’a pas été divulgué. Ceres Pharma emploie une quarantaine de personnes et a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros. Avec le portefeuille générique de Mithra, elle va plus que doubler son chiffre d’affaires.

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