Les secrets de famille de Douglas Kennedy

Alice Burns est une brillante éditrice new-yorkaise qui vient d’acquérir un manuscrit d’un psychanalyste et professeur à la fac de médecine de Harvard. L’auteur s’y attaque aux “fondamentaux : famille et culpabilité “.

Cet éblouissant premier volet de la trilogie de l’Américain Douglas Kennedy ne s’appelle pas La symphonie du hasard pour rien. Plongée dans sa lecture, Alice doit se farcir les trois heures de trajet entre son bureau et la prison où séjourne son jeune frère Adam. D’habitude, elle y va toutes les deux semaines, mais cette fois, elle a reçu un courrier de son frangin qui la sollicite en urgence. ” Adam reste mon frère “, écrit Alice, la narratrice de ce roman enjoué et engagé. ” Même si nos visions du monde sont radicalement opposées – comment une même famille peut-elle produire deux enfants si différents en termes de conscience et de sensibilité ? -, mon indéfectible instinct fraternel est une garantie de ma loyauté. ” Sachant, ajoute-t-elle ” que derrière toute loyauté familiale, se cache une bonne dose de culpabilité “.

Une famille où tout le monde a quelque chose à cacher. Je n’en peux plus. Est-ce qu’on peut essayer de ne pas garder de secrets ?

Comme de juste, Adam confie à sa grande soeur un secret qui est bien parti pour la hanter à jamais. Ensuite, c’est l’intelligence de la plume de Douglas Kennedy et sa profondeur qui font le reste. Le lecteur découvre la famille Burns qui vivait dans une demeure cossue du Connecticut au début des années 1970. La période choisie par l’auteur de L’homme qui voulait vivre sa vie et de La poursuite du bonheur est loin d’être anodine. L’Amérique des années 1970 est fracturée comme jamais avec cette saloperie de guerre du Vietnam. Richard Nixon succède à Lyndon B. Johnson et la plaie s’agrandit.

L’écriture de ce nouveau Douglas Kennedy – qui trône déjà en bonne place dans les meilleures ventes – a débuté en janvier 2016, dans la foulée de l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. L’écrivain reconnaît que la nomination à la tête de l’Etat de celui qu’il nomme ” Le Monstre ” l’a profondément affecté. ” Dès le début, j’ai cherché à comprendre comment mon pays pouvait être si divisé “, avoue-t-il. De fil en aiguille, l’idée a germé d’une fresque familiale, comme dans le roman français du 19e siècle, située dans les années 1970, période charnière de l’Amérique et de ses inégalités afin de faire écho au monde d’aujourd’hui. Pas manichéen pour un sou, Kennedy a l’art comme personne de construire des personnages qui sont aussi complexes et nuancés que son pays regorge de contradictions. Le tout cristallisé par la famille Burns dans laquelle le lecteur se reconnaîtra à bien des égards.

A travers le personnage d’Alice, une jeune femme hippie qui découvre la sexualité, les opiacés, mais qui a surtout une soif de culture au sens large et une conscience politique aiguë, il n’est pas interdit de penser que Douglas Kennedy a créé son double. Comme le père d’Alice d’ailleurs, celui d’un New-Yorkais s’est aussi retrouvé au Chili à l’époque du coup d’Etat qui a renversé Salvador Allende le 11 septembre 1973, date à laquelle se clôture ce premier opus emballant de bout en bout, éminemment politique et pertinent. A lire en écoutant la bande-son de l’époque soit Grateful Dead, Joni Mitchell ou James Taylor.

Douglas Kennedy, ” La symphonie du hasard, livre 1 “, traduit par Chloé Royer, éditions Belfond, 362 p., 22,90 euros.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content