Les nouveaux vins de Bordeaux : la révolution verte est en marche dans le vignoble de France

Dans les chais du Château Pré LalandeUne partie des vins sont élevés dans des amphores en terre cuite. © PG

Depuis des années, le vignoble bordelais est accablé de reproches : utilisation intensive de pesticides, vins conçus pour plaire au guide Parker, folie des prix, arrogance des grands crus, etc. Le ” Bordeaux bashing ” fut multiforme. Si certaines critiques se comprennent, il ne faut pas passer sous silence le travail de fond entamé par de très nombreux vignerons pour glorifier leur terroir et magnifier le fruit dans leurs vins.

“Les bordeaux dits de petits châteaux sont les meilleurs rapports qualité/prix au monde “, nous déclarait récemment Ariane Khaida, patronne de la maison de négoce Duclot. On pourrait aisément lui rétorquer qu’à prix égal pour le consommateur, le Languedoc ou le Rhône ne se défendent pas mal non plus. Ceci dit, Allan Sichel, le président du Conseil Interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), ne veut plus entendre parler de bordeaux à moins de 5 euros. Le coeur de la campagne de promotion de ce puissant organisme des vins de Bordeaux est de pousser les vins entre 5 et 15 euros, là où d’excellents rapports qualité/prix existent en effet. La Belgique francophone et le bordeaux forment un vieux couple avec des hauts et des bas suivant les millésimes mais sans jamais que l’amour ne disparaisse. En 2017, notre pays est demeuré le deuxième pays importateur de bordeaux derrière la Chine mais devant les Etats-Unis, avec une progression de 5 % en volume (200.000 hectolitres) et de 7,6 % en valeur (113 millions d’euros).

Le Château Pontet-Canet (Pauillac), cinquième grand cru classé (classement de 1855), est passé en biodynamie dès 2004.

L’environnement au coeur du sujet

Le CIVB est résolument engagé sur le front de l’environnement. Notamment via le SME (Système de management environnemental), une démarche collective qui a pour but de modifier durablement les pratiques, de respecter le terroir et de placer l’humain au coeur des préoccupations. Disons-le tout de go : le changement est en marche. En 2017, près de 800 entreprises viticoles étaient engagées dans ce SME. Dont près de 200 en conversion en haute valeur environnementale (HVE), une certification exigeante qui examine les résultats. Sans oublier plus de 500 domaines exploités en bio et près de 50 en biodynamie (une approche sans produits phytosanitaires qui considère le vignoble comme un organisme vivant. Elle intègre tant la faune que la flore et prend en compte le rythme des saisons et l’influence du cosmos – soleil, lune, planètes – dans sa gestion, Ndlr). La révolution verte prend corps dans le plus grand vignoble de France. La plupart des vignerons se disent concernés par l’environnement, mais il y a de solides nuances et le combat entre les anciens et les modernes est encore très prégnant.

Au Château Larrivet Haut-Brion, le maître de chai a recours à des oeufs en béton pour les vins blancs et des amphores en terre cuite pour les vins rouges. Certains oeufs ont été décorés par une école de stylisme.
Au Château Larrivet Haut-Brion, le maître de chai a recours à des oeufs en béton pour les vins blancs et des amphores en terre cuite pour les vins rouges. Certains oeufs ont été décorés par une école de stylisme.© PG

A Francs, dans l’appellation Francs, Côtes de Bordeaux, Joseph Arbo – dont la cuvée Arbo Malbec vaut le détour – s’est résolument engagé dans le SME. Il est d’ailleurs détenteur du label ISO 14001, une norme ultra stricte. Il a créé un couloir pour les chauves-souris, a replanté des haies pour favoriser la biodiversité dans son vignoble et laisse l’herbe pousser entre ses rangs de ceps. Il a une gestion pointue de ses déchets, notamment de ses eaux usées. Mais pas question de bio. Il veut se garder la possibilité de pulvériser au cas où le climat bordelais compliqué l’impose. Pire même, il accuse certains viticulteurs en bio d’être moins verts que lui…

A quelques kilomètres de là, dans la même appellation des Côtes de Bordeaux mais en Sainte-Foy, Michel Baucé, qui se définit comme un artisan vigneron, ne tient pas le même discours. Cela fait 12 ans que cet audacieux est en bio. En 2016, il s’est même lancé dans la biodynamie. Mais ce n’est pas tout, Michel s’est aussi risqué dans le ” sans sulfites ajoutés ” et dans l’élevage en amphores de terre cuite. ” Il y a deux avantages à cet élevage, explique-t-il. D’une part, vu la forme, il y a un mouvement de convection naturel qui fait que le vin est en permanence en mouvement dans une amphore, contrairement à une barrique classique. Ensuite, l’oxygénation est meilleure. J’en ai acheté 12. Quant à la biodynamie, elle a indéniablement apporté de la fraîcheur à mes vins et une acidité qui autorise de belles gardes. ” A la dégustation, force est de constater que les différentes cuvées du Château Pré La Lande valent le détour. La cuvée sans sulfites 2017 est un vrai glouglou de potes où le fruit explose en bouche. La 2016 Terra Cotta est gouleyante et soyeuse. Enfin, la Cuvée Diane 2015 avec ses belles notes de griottes est une vraie réussite.

L’exemple à suivre

D’amphores, il est en aussi question au Château Pontet-Canet (Pauillac), cinquième grand cru classé (classement de 1855) passé en biodynamie en 2004 ! Certains vous rétorqueront que le prix de la bouteille autorise la prise de risque mais force est de constater qu’Alfred Tesseron, le propriétaire, et Jean-Michel Comme, le régisseur, sont allés au bout de leur démarche. Et elle force le respect car la dégustation du Château en version primeurs 2017 donne des frissons. Il est déjà magnifique. D’une finesse et d’une élégance rares pour un vin pas encore fini mais dont le fruit est d’une pureté incroyable. Impossible la biodynamie dans le Bordelais ? Ici, on vous démontre, avec classe, le contraire. ” Je dis simplement mais fermement : la seule vérité est la certification, explique Jean-Michel Comme. Tous ceux qui vous prétendent qu’ils font tout comme nous mais ne sont pas certifiés ne disent pas la vérité. Ils ont juste le droit de se taire. Chez nous, il n’y a plus de deuxième vin. Toutes les vignes ont droit à prétendre au grand vin. Il y a derrière un gros travail de remise à niveau. Il n’y a pas une biodynamie mais plusieurs types de biodynamie en fonction du terroir et des besoins de la vigne. C’est comme à l’école en fait : à chacun son style d’éducation. Les maladies dans les vignes ne sont pas plus agressives qu’avant. Ce sont les vignes qui ont changé. Et si elles souffrent plus, c’est notre responsabilité. La maladie est la conséquence d’un problème, pas le problème lui-même. Quand vous avez assimilé cela, vous pouvez commencer à travailler. ”

Clos de l'EchauguettePlanté de vignes depuis 1974, ce petit vignoble situé à la citadelle de Blaye, est exploité en bio. Le labour se fait avec le cheval et des poules se baladent dans les vignes pour éliminer les escargots.
Clos de l’EchauguettePlanté de vignes depuis 1974, ce petit vignoble situé à la citadelle de Blaye, est exploité en bio. Le labour se fait avec le cheval et des poules se baladent dans les vignes pour éliminer les escargots.© PG

A Pontet-Canet, Jean-Michel Comme et son équipe ont érigé le respect du terroir en vertu cardinale. Ils ont ” engagé ” trois vaches bordelaises. Elles broutent tranquillement l’herbe du domaine. A elles trois, elles fournissent 700 ” cornes de bouse ” qui seront pulvérisées sur les vignes selon les principes de la biodynamie. Impossible de trouver circuit plus court… La moitié de la propriété de 81 hectares est désormais travaillée par 10 chevaux plutôt que par des tracteurs. Le travail a été adapté en circonstance et 10 chevaux supplémentaires devraient arriver sous peu. Jean-Michel Comme veut aussi bannir l’électricité autant que faire se peut tant à la vigne que dans les chais. Le château a ainsi mis au point une nouvelle table de tri. Enfin, depuis 10 ans, le régisseur travaille avec des amphores. ” Un grand vin est un vin d’émotions qui fait vibrer et trembler, conclut-il. Nous avons le terroir pour cela, c’est lui l’artiste pas nous. Nous voulons magnifier la pureté du vin et la sincérité du terroir. Alors, nous nous posons des questions. Cette sincérité est-elle compatible avec un élevage en barrique ? Nous avons essayé des oeufs en béton. Le fruit était respecté mais les tanins ne s’exprimaient pas bien. En amphore de terre cuite, c’est beaucoup mieux. Nous en avons 100 aujourd’hui. Actuellement, 35 % du vin y est élevé. ”

Sur un bateau et dans la mer

Au Château Larrivet Haut-Brion, beau cru de Pessac-Léognan, Frédéric Gaudichon, le maître de chai, a aussi recours à des oeufs et des amphores. Certains de ces oeufs ont même été décorés par une école de stylisme. Ils servent aux blancs tandis que les amphores en terre cuite sont destinées aux rouges, mais pas encore au premier vin du domaine. ” Une partie du merlot du Château pourrait y aller, confie-t-il. Histoire de lui apporter plus de fruit. Nous travaillons et testons différentes choses pour apporter plus d’élégance et de finesse à nos vins. Nous avons aussi réalisé une expérience avec trois barriques. L’une a été immergée dans un parc à huîtres au Cap-Ferret, une autre aurait dû simuler la route des Indes et passer six mois sur un voilier mais l’expérience a tourné court à cause d’une avarie. Dans la troisième, le vin y est simplement resté six mois plus longtemps. Nous avons été étonnés de la qualité du vin qui avait été immergé. Le sodium qui est passé à l’intérieur de la barrique a agi comme un exhausteur de goût. Le vin était plus complexe sur un plan aromatique. ”

Clos de l'EchauguettePlanté de vignes depuis 1974, ce petit vignoble situé à la citadelle de Blaye, est exploité en bio. Le labour se fait avec le cheval et des poules se baladent dans les vignes pour éliminer les escargots.
Clos de l’EchauguettePlanté de vignes depuis 1974, ce petit vignoble situé à la citadelle de Blaye, est exploité en bio. Le labour se fait avec le cheval et des poules se baladent dans les vignes pour éliminer les escargots.© PG

Larrivet Haut-Brion est l’un des 118 domaines où intervient Stéphane Derenoncourt, le consultant que tout le monde s’arrache. Mais le Ch’ti possède aussi avec son épouse le Domaine de l’A, une petite propriété d’11,5 hectares en Castillon, Côtes de Bordeaux. C’est l’appellation la plus bio du Bordelais avec près de 25 % de vignerons évoluant soit en bio, soit en biodynamie. Même s’il applique ces préceptes depuis son installation en 1999, Stéphane Derenoncourt s’est décidé à demander la certification. ” Histoire qu’on arrête de m’embêter avec cela, mais je ne le mettrai pas sur l’étiquette, explique-t-il. Nous voulions nous installer dans l’appellation Saint-Emilion mais les banques ne nous ont pas suivis . Alors, j’ai réussi à lever un million de francs français via le crowdfunding ! Je n’ai acheté que des parcelles qui regardent vers le sud. Mes pieds de cabernet franc sont des clones de la Loire issus d’une sélection massale (lorsque le vigneron crée de nouveaux ceps en prélevant des sarments de ses propres vignes, Ndlr) d’avant 1956. Chaque année après la vendange, je plante des céréales entre mes rangs. C’est l’idéal pour lutter contre les sols trop compacts. Les miens ont une structure en couscous, il n’y a quasi pas de mottes. Je dispose mes pieds de vigne très bas pour profiter de la réverbération du sol. Enfin, je viens de planter du chardonnay en échalas. Très serré. Evidemment, nous allons le sortir en Vin de France puisque ce n’est pas autorisé ici. ” Nul doute que l’on va s’arracher ces quelques centaines de bouteilles de blancs. Quant aux rouges disponibles, entre autres, chez Etiquette (19, avenue Emile De Mot à 1000 Bruxelles – 02/ 644 64 11), nous en sommes fans depuis longtemps. Les 100 % merlot et 100 % cabernet franc 2017 dégustés à même la barrique dans l’incroyable cave voûtée réalisée par deux compagnons du devoir sont terriblement prometteurs avec un fruit d’une pureté rare qui explose en bouche.

A chacun son Castillon

L’appellation Castillon, Côtes de Bordeaux est extrêmement dynamique pour faire connaître ses vins. Notamment via l’opération ” J’irai déguster chez vous ” où des vignerons se rendent chez des particuliers pour faire découvrir leurs cuvées. Elle a eu un succès colossal tant à Paris qu’à Bordeaux. Lille est la prochaine sur la liste et Bruxelles serait aussi envisagée. Pour qui veut découvrir les pépites de la région, le Comptoir de Genès (à Saint-Genès de Castillon, à 8 km de Saint-Emilion) est le lieu idéal. Anne-Marie Galineau y dirige un endroit remarquable qui fait office de restaurant, de cave à vin et d’épicerie. Quatre-vingt des 230 domaines que compte l’appellation y sont disponibles au même prix qu’à la propriété.

Les nouveaux vins de Bordeaux : la révolution verte est en marche dans le vignoble de France
© PG

Dommage que l’appellation ait été touchée par l’orage dévastateur du 26 mai dernier. Tout comme, un peu plus au nord, où 2.000 hectares sur les 6.000 que compte l’appellation Blaye, Côtes de Bordeaux ont été détruits par la grêle. Notre dernier passage dans la région nous avait fait découvrir une curiosité : Le Clos de l’Echauguette. L’échauguette est une logette située en encorbellement dans un château ou une fortification. En l’occurrence ici la citadelle de Blaye, classée à l’Unesco. Ce clos est planté de vignes depuis 1974, 737 pieds exactement. Aujourd’hui planté exclusivement de merlot orienté est-ouest, ce petit vignoble (qui appartient au syndicat de l’appellation) est exploité en bio. Le labour se fait avec le cheval et des poules se baladent dans les vignes pour éliminer les escargots. Ce vignoble se visite l’été et a une vocation pédagogique. Le vin produit est commercialisé depuis l’an dernier à la Maison du Vin de Blaye située Cours Vauban au pied de la citadelle. On y propose 300 références d’une appellation toujours très prisée des Belges.

Sans sulfites ajoutés

Un vin sans sulfite n’existe pas. Et pour cause, le raisin en produit naturellement lors de la fermentation. Par contre, depuis quelques temps, les vins sans sulfites ajoutés abondent sur le marché. Cela signifie que le vigneron n’en rajoute pas de la vendange à la mise en bouteille. Les sulfites jouent de multiples rôles, notamment antibactériens et antioxydants. S’en passer oblige le vigneron à travailler plus précisément et implique une bonne conservation des bouteilles.

Bordeaux n’est pas en reste et nos pérégrinations nous ont amenés à découvrir de solides pépites tout en fruits. Comme le Sans pour Sens de Christian Gourgourio dans son Clos du Mounat en Côtes de Bourg, le Gourmandise (un rouge) et le Jean Le Grognard, un assemblage de colombard et de sauvignon très ample et généreux par Ludovic Barthe dans son Château Valrose. Ou encore Le Natur du Château Penin où le nez de cerise vous explose en pleine face. Vieille connaissance du marché belge avec son rosé ou son clairet, la version sans sulfites du Château Penin est disponible, entre autres, chez Domi Vins (Ottignies – 0492/70 22 10) ou auprès des Compagnons du Bien Boire (Liège – 04/252 12 21).

Le retour en force du petit verdot

Château MeyneyLe pourcentage d'encépagement en petit verdot y est très élevé.
Château MeyneyLe pourcentage d’encépagement en petit verdot y est très élevé.© PG

Le réchauffement climatique pousse les vignerons à réfléchir à l’avenir, notamment en termes de cépages. Cette poussée de température est totalement bénéfique au petit verdot. Un cépage à maturité lente dont le raisin reste vert très longtemps. Il avait été abandonné par de nombreuses propriétés en raison de son caractère capricieux à la maturité mais aussi par les soins nombreux qu’il demande. Aujourd’hui, le vent tourne et il se replante dans le Médoc, son territoire de prédilection d’origine mais aussi dans les graves. Dans les assemblages, c’est un cépage qui apporte de la structure, de la puissance, du musc et une sacrée dose d’épices.

Au Château Meyney, un beau domaine en Saint-Estèphe, propriété du Crédit Agricole, le pourcentage d’encépagement en petit verdot est historiquement élevé pour le Bordelais : près de 15 % ! ” Nos ceps ont près de 50 ans, explique Marine Lemmens, responsable marketing et communication de CA Grands Crus. Ils sont issus d’une sélection massale. Le pourcentage dans le vin varie d’une année à l’autre, avec notamment une pointe à 18 % en 2016. ” Le retour en force du petit verdot, cépage indigène, renforce l’identité des vins de Bordeaux. Dans le cas de Meyney, notamment sur les millésimes 2014 et 2016, il permet des vins très charnus, épicés, puissants et avec énormément de matière.

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