Les héros de guerre oubliés

Le 1er décembre 1944, la caserne de Thiaroye, au Sénégal, est le théâtre d’une contestation des soldats. L’état-major tire, aucun ” indigène ” ne survit. Une mutinerie, voilà pour la version officielle de ce qui constitue l’un des lourds secrets de la colonisation française. Depuis 20 ans, l’historienne Armelle Mabon tente de découvrir la vérité sur un massacre dont la mémoire reste silencieuse et opaque. La chercheuse est aujourd’hui l’héroïne d’une bande dessinée retraçant son combat et mettant au jour un véritable scandale d’Etat.

Le scénariste Pat Perna (auteur de l’excellent Darnand) a perçu un bon terreau narratif dans cette histoire des tirailleurs sénégalais. Cette histoire véhicule du romanesque. Une femme seule contre tous persévère à fouiller dans la boue de l’héritage colonial pour que la justice soit rendue. Mais pour l’ancien journaliste, il fallait recouper le seul récit d’Armelle Mabon. C’est pourquoi, encouragé par son éditeur, il n’a pas hésité à se rendre à Thiaroye embarquant le dessinateur Nicolas Otero. ” Le voyage a servi à s’imprégner des lieux, des gens et de l’atmosphère “, nous explique ce dernier qui s’est investi avec passion dans le projet. ” On ne pouvait pas se contenter d’une seule source, poursuit Pat Perna. En allant sur place, on a rencontré plein de gens : le fils d’un des tirailleurs morts là-bas, un historien officiel, un militaire haut gradé, un politicien, etc. ” Le récit du voyage fait l’objet d’un article paru dans la revue XXI et inclus en fin d’album.

La vérité est comme la vie, elle trouve toujours son chemin.

Au fil des témoignages, les confrontant aux recherches de Mabon, les deux auteurs recomposent le puzzle. Mobilisés par la France, les tirailleurs sénégalais sont envoyés en Europe pour compléter les rangs français contre l’Allemagne nazie. Au même titre que les soldats européens, les combats et l’enfer des camps de prisonniers seront leur quotidien, le racisme en plus. A la Libération, ces hommes embarquent en Bretagne et pensent être accueillis en héros au pays et prétendre à une retraite militaire méritée. Mais les promesses ne sont pas tenues. Maintenus en caserne, ils réclament leur paye et leur démobilisation. Les échanges s’enveniment. La tuerie laisse un bilan incertain. “Nous sommes allés sur les lieux présumés des fosses communes, indique Pat Perna. On s’est fait arrêter par des militaires. On s’est bien rendu compte qu’on approchait de la vérité. Dans un cimetière, on nous parle de 35 morts puis de 70. Pourtant, il y a plus de 200 tombes, dont beaucoup ne portent pas de nom. Ça n’a pas de sens. ” Perna ” fictionnalise “, mais les principaux éléments sont véridiques et notamment la confrontation aux historiens officiels, ” représentants de la parole d’Etat “, qui ont été plusieurs à minimiser le drame de Thiaroye. ” L’histoire est une compagne de voyage intransigeante et parfois impitoyable. Elle vous fait emprunter des chemins escarpés, des sentiers semés de pièges, d’embûches et de déceptions. ” Ces mots d’Armelle Mabon témoignent de la lourde tâche de l’historienne.

” Le combat pour la vérité ne fait que commencer “, confirme Pat Perna laissant une fin ouverte à son album. Les archives officielles apporteront les preuves du mensonge français mais elles restent inaccessibles. Depuis la parution de la BD, l’affaire a pourtant évolué. ” Une requête du fils de Mbap Senghor, l’un des tués de Thiaroye, a été enfin prise en compte le 14 mai par le tribunal de Paris, indique le scénariste. C’est la justice française qui doit statuer sur la remise des archives complètes au Sénégal et l’obtention de la mention ‘morts pour la France’. Une enquête va s’ouvrir. ” Un premier soulagement pour les familles sénégalaises des tirailleurs abattus, peu soutenues par leur pays toujours maintenu dans un rapport de forces défavorable vis-à-vis de la France. Celle-ci a promis d’aider à déterrer les corps restés anonymes de ces héros de guerre oubliés. Cette bande dessinée donne sans doute les premiers coups de pelle, pour la mémoire collective.

Pat Perna et Nicolas Otero, ” Morts par la France. Thiaroye 1944 “, éditions Les Arènes BD, 146 pages, 20 euros.

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