Pourquoi les groupements d’employeurs se cherchent un second souffle

Le magasin de vente directe de la ferme Schalenbourg, dans lequel travaille la vendeuse salariée par le groupement. © PG

Pour bon nombre de PME, sauter le pas de l’engagement d’un collaborateur n’est pas simple. Le coût important que cela représente est parfois dissuasif. Pourtant, le groupement d’employeurs, un système méconnu en Belgique, pourrait, selon ses défenseurs, être la solution dans plus d’une situation.

Le groupement d’employeurs est loin d’être un dispositif révolutionnaire. Très peu connu, le système permettant à plusieurs entreprises de se partager les services d’un même salarié existe pourtant depuis 2000. Et autant se l’avouer, c’est loin d’être une réussite. Si certains groupements sont aujourd’hui terminés ou ont débouché sur un engagement classique de personnel, il existerait en Belgique seulement une vingtaine de ces structures.

Afin de populariser le dispositif, une réforme vient donc d’être mise en place il y a quelques mois. Son objectif ? Simplifier le parcours administratif permettant à plusieurs employeurs d’engager une même personne. Désormais, les autorisations attribuées par le ministre ont une durée indéterminée, ce qui n’était pas le cas sous l’ancienne législation. Une évolution qui permet aux employeurs de pouvoir se présenter comme plus stables vis-à-vis de leurs futurs employés. Savoir que l’autorisation du groupement à l’engagement n’est plus limitée a de quoi rassurer les salariés.

L’autre modification importante est la réduction du délai de procédure pour obtenir la précieuse autorisation de lancer un groupement. De 100 jours, il passe à maximum 40 pour les groupements d’employeurs monosectoriels, soit la majorité des cas. Avec ces ajustements, le cabinet du ministre des PME Denis Ducarme, en charge du dossier, espère rendre le groupement d’employeurs enfin attractif et ainsi, en augmenter le nombre.

Cécile SchalenbourgElle s'est alliée avec deux autres agriculteurs, Raphaël De Nijs et Yves Cadiot.
Cécile SchalenbourgElle s’est alliée avec deux autres agriculteurs, Raphaël De Nijs et Yves Cadiot.© PG

A la recherche d’un statut attractif

Parmi les rares groupements actuellement en place, il en existe un en région liégeoise. Trois exploitations agricoles s’y sont associées pour pouvoir engager deux personnes actives sur les différentes exploitations. ” Avec les deux autres fermes, nous avions déjà des relations professionnelles, explique Cécile Schalenbourg, l’une des agricultrices du groupement et éleveuse de moutons. A chaque fois que l’on se réunissait, c’était le même constat : on manquait cruellement de temps par rapport à notre charge de travail sans avoir, chacun de notre côté, les moyens d’engager. De là est alors née l’idée de se regrouper pour recruter quelqu’un. ”

Aujourd’hui, un ouvrier agricole est actif sur deux des trois exploitations, tandis qu’une vendeuse a également été engagée pour soutenir les activités de vente directe à la ferme et effectuer une tournée de livraisons. Ils disposent aujourd’hui tous les deux d’un CDI, une condition essentielle pour l’agricultrice. ” On voulait vraiment proposer un statut attractif car ce sont des métiers qui demandent un réel investissement, précise Cécile Schalenbourg. On ne souhaitait donc pas passer par l’intérim, qui risquait de nous proposer les services de personnes qui changent souvent, alors que le travail est régulier. ”

La procédure est trop méconnue

Face au manque de popularité et de visibilité, difficile de s’y retrouver dans la façon de procéder pour lancer un groupement. ” On a reçu très peu d’informations au début, se souvient encore l’agricultrice. Par exemple, nous ignorions tout le long processus concernant les autorisations administratives. Nous avions d’ailleurs commencé à chercher quelqu’un lorsque l’on s’est rendu compte que nous n’avions en réalité pas encore effectué toutes les démarches pour être en ordre. ”

Néanmoins, Cécile Schalenbourg était loin d’être la seule à méconnaître les contours exacts de la réglementation. Ainsi, même au sein des services censés lui venir en aide, la désinformation était évidente. ” Il y a encore vraiment un travail à réaliser de ce côté-là. Quand on s’est lancés, il y avait tellement peu de personnes au courant que j’avais moi-même rédigé un document explicatif “, ajoute l’agricultrice, qui se trouvait régulièrement face à des fonctionnaires démunis.

Un manque d’information qui touche aussi les employés potentiels. Christine Chabottaux est comptable de formation et travaille désormais pour plusieurs sociétés tout en étant salariée. Active depuis 2009 sous cette modalité, elle ne connaissait rien de système avant son entretien d’embauche. ” J’ai simplement répondu à une petite annonce. A l’entretien, on m’a d’abord montré une vidéo, présentant le groupement d’employeurs. J’ai alors cru qu’il s’agissait d’un test pour le recrutement et que j’allais être interrogée sur ce que j’avais vu. Mais juste après, on m’a présenté les quatre entreprises pour lesquelles j’allais travailler. ”

Christine Chabottaux
Christine Chabottaux© PG

Une bonne dose de flexibilité

Aujourd’hui, Christine Chabottaux travaille pour trois employeurs différents dans la région de Liège. ” En tout, j’ai changé 17 fois d’employeurs, explique la comptable. Certaines expériences n’ont duré que quelques mois mais d’autres, beaucoup plus. L’un de mes employeurs actuels est d’ailleurs le même depuis plus de sept ans. C’est certain que cela ne pourrait pas plaire à tout le monde. Il faut une bonne dose de flexibilité. ”

L’employée a ainsi enchaîné les expériences dans une entreprise de construction métallique, une biscuiterie, une société d’événementiel, une autre d’informatique… ” Ma fonction évolue presque à chaque entreprise dans laquelle je travaille. Je fais de la comptabilité mais aussi du secrétariat ou de la gestion. En réalité, je m’adapte à la demande de manière assez rapide. A force de changer régulièrement de cadre de travail, je suis, par exemple, capable d’utiliser à peu près tous les logiciels de comptabilité qui existent “, poursuit Christine Chabottaux. Une façon de se former en permanence qui plaît à la travailleuse. Et si les employeurs changent, son emploi, lui, reste assuré car elle est engagée par la Chambre de commerce de Liège, qui se charge de lui trouver des entreprises pour lesquelles travailler.

Christine Chabottaux se dit aujourd’hui ravie de sa situation. De là à la préférer à un emploi à durée indéterminée dans une seule entreprise ? ” On ne me l’a pas encore proposé. Mais sincèrement, je ne sais pas si mon travail me plairait autant. ”

Xavier Ciechanowski (123CDI)
Xavier Ciechanowski (123CDI) ” Notre priorité est la mise à l’emploi. “© PG

La vocation sociale du groupement

Les groupements d’employeurs peuvent également prendre une dimension bien plus importante. Toujours en région liégeoise, il existe depuis 2014 un groupement baptisé 123CDI. Il fut fondé en 2014 à la suite des fermetures des phases à chaud d’ArcelorMittal, laissant sur le carreau plus de 200 travailleurs.

” L’objectif était de les engager chez nous et les placer ensuite pour des missions dans différentes entreprises, à qui nous facturons le service offert “, explique Xavier Ciechanowski, le directeur de 123CDI. L’initiative, menée avec la Région wallonne, est un succès : 71 % des 275 travailleurs ont trouvé un emploi. ” La démarche était d’autant plus difficile qu’il s’agissait, dans la majorité des cas, d’ouvriers assez âgés, peu qualifiés et avec une mobilité réduite “, ajoute le directeur.

Désormais, le groupement a élargi ses horizons. Il ne se limite plus au recrutement d’anciens d’ArcelorMittal et travaille depuis mars sans le moindre subside. 123CDI compte pour le moment une quarantaine de travailleurs, engagés à 90 % sous contrat CDI. ” L’intérim ne nous intéresse pas. On veut s’investir à plus long terme, explique Xavier Ciechanowski, qui ne se verrait pas travailler autrement. D’ailleurs, si nous trouvons une mission de plus de six mois pour un travailleur, nous l’engageons pour une durée indéterminée plutôt que de lui donner un CDD. A charge ensuite pour nous de lui trouver une autre mission si la première n’est pas renouvelée. Il est évidemment toujours possible de ne pas y parvenir, mais c’est très rare. Nous considérons que notre offre se situe entre les agences d’intérim et les boîtes de recrutement, en complément. Nous avons gardé une certaine dimension sociale. Aller demander un prêt hypothécaire avec un statut précaire, ce n’est pas évident. ”

Un réseau de 61 entreprises

Le groupement peut aujourd’hui s’appuyer sur 61 entreprises, toutes dans la région liégeoise. Un large réseau qui permet au responsable de nourrir des ambitions de croissance. ” On aimerait atteindre les 150 travailleurs fin 2020 même si, systématiquement, une partie de notre personnel est engagé ensuite par les sociétés. Mais ce n’est pas quelque chose qu’on va regretter. Nous sommes une ASBL, notre priorité est la mise à l’emploi “, sourit le responsable.

Par Arnaud Martin.

Le Voka n’est toujours pas convaincu

Tout le monde n’est pas unanime sur l’utilité des groupements d’employeurs. Malgré la réforme mise en place, le système laisse sceptique certains acteurs du monde du travail. C’est notamment le cas du côté flamand, où Hans Maertens, administrateur délégué du Voka, l’Union des entreprises flamandes, est loin d’être convaincu. ” Ce n’est pas la première réforme que l’on effectue par rapport à ce système, dit-il. Il y a déjà eu plusieurs tentatives pour l’améliorer mais pour moi, ce qui compte, ce sont les chiffres. Et clairement, cela ne fonctionne pas car la législation reste beaucoup trop compliquée. Les modifications qui ont été apportées il y a quelques mois ne changeront pas grand-chose. ” Selon lui, le groupement d’employeurs n’est d’ailleurs plus vraiment adapté à la réalité du marché du travail actuel. ” Ce système a de l’intérêt pour une économie en crise et aurait donc pu convenir juste après 2008. Mais aujourd’hui, en tout cas au nord du pays, le chômage est redescendu. Dans certaines régions, il est même d’environ 3 % et il y a des milliers d’emplois vacants. Le groupement d’employeurs n’est donc probablement plus une alternative très intéressante. ” Hans Maertens avoue néanmoins que le principe dispose d’un certain intérêt : ” Le groupement d’employeurs peut être une bonne idée, mais pour qu’il fonctionne en Belgique, il faudrait complètement le réinventer et repartir de zéro “.

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