Berceau “simulateur de voiture”, baskets connectées… Le “productising” secoue la pub

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Réveil olfactif, casquette anti-sommeil, etc. Les marques rivalisent d’originalité pour faire parler d’elles sur les réseaux sociaux. Bienvenue dans l’ère du “productising”, une tendance marketing qui consiste à créer des produits éphémères pour s’offrir davantage de visibilité publicitaire.

C’est un énième mot-valise dont les rois du marketing ont le secret. Fusionnant les termes anglophones product (produit) et advertising (publicité), le productising monte en puissance dans les tendances publicitaires du moment. Concrètement, il s’agit pour une marque de concevoir un objet inédit afin d’augmenter considérablement sa visibilité publicitaire. Non pas un objet qui s’ajouterait à la gamme ” classique ” des produits habituellement commercialisés par l’entreprise, mais bien un produit disruptif, unique et éphémère censé doper le capital sympathie de la marque, tout en s’inscrivant dans ses codes et son univers.

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Exemple concret épinglé il y a trois semaines à peine : le constructeur automobile Ford a présenté une casquette connectée pour mieux lutter contre la somnolence au volant. Truffé de capteurs intelligents, ce couvre-chef high-tech calcule en permanence les mouvements de la tête de l’automobiliste et déclenche trois types d’alerte lorsque le conducteur pique du nez : un signal sonore, des vibrations sur le crâne et un rayon lumineux qui émane de la visière. Révolutionnaire, cette casquette siglée Ford n’est pourtant qu’un prototype et elle n’est donc pas, pour l’instant, disponible en points de vente. Qu’importe. L’objectif, pour la marque de voitures, est d’éveiller la curiosité du public et de se positionner comme une entreprise innovante qui s’investit dans la sécurité routière, histoire de briller dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Visant à faire briller la marque dans “l’infobésité” ambiante, le “productising” permet surtout aux marketers de sortir des sentiers battus de la publicité classique à moindre coût.

” Le productising travaille principalement l’image et la notoriété d’une marque, explique Grégory Defay, managing director de l’agence créative Buzz in a Box. D’abord l’image, car lorsque Ford crée une casquette pour ne pas s’endormir au volant, il est évident que son objectif n’est pas la vente de ce produit, mais bien de souligner l’importance que donne la marque à la technologie et à la sécurité. Ces deux mots-clés sont alors associés à Ford. Ensuite la notoriété, car la probabilité que les médias relaient l’info et que les consommateurs en parlent entre eux est plus grande que si le constructeur avait simplement communiqué sur ce thème de manière classique. En réalité, le productising consiste à créer une histoire à raconter : c’est du storytelling à travers un produit inédit. ”

A boire et à manger

En matière de storytelling audacieux, les exemples de productising se sont multipliés ces derniers mois, offrant parfois à l’internaute des moments de franche rigolade. Ainsi, en 2016 déjà, l’éditeur de jeux vidéo Ubisoft a mené une petite révolution technologique pour promouvoir la sortie de South Park, un jeu tiré de la série d’animation éponyme pour adultes qui se veut délibérément vulgaire et scatologique. Ouvert à l’audace et à la nouveauté, Ubisoft s’en est remis à l’agence française Buzzman et à son laboratoire d’idées Productman qui ont imaginé le Nosulus Rift, clin d’oeil à peine voilé à l’Oculus Rift, le masque de réalité virtuelle développé par Facebook. Mais l’expérience, ici, se voulait davantage olfactive : le masque inédit d’Ubisoft permettait en effet au joueur de savourer (si l’on ose dire) les odeurs de pets distillés par les héros du jeu South Park

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Tout aussi dispensable, le productising mis en place par Pizza Hut au printemps dernier a également ” buzzé ” sur les réseaux sociaux. Innovante, la chaîne de restauration rapide a en effet créé des Pie Tops, un modèle de baskets connectées qui permettent à l’utilisateur de se faire livrer une pizza où bon lui semble en appuyant simplement sur la languette de la chaussure. Certes, ces sneakers n’étaient pas non plus commercialisées, mais pour s’assurer un maximum de visibilité médiatique, Pizza Hut avait toutefois pris soin de fabriquer 64 paires de Pie Tops pour les distribuer à une série d’influenceurs hautement suivis sur les réseaux sociaux. Forcément rares et convoitées, certaines de ces baskets made in Pizza Hut se sont rapidement retrouvées sur eBay et l’une d’entre elles a même été cédée pour la somme de 1.250 dollars…

” Il y a à boire et à manger dans le productising, note Salma Haouach, fondatrice de Content Fabrik, une société spécialisée en consultance marketing et en production de contenus. Quand la démarche est pertinente et que le produit est en lien avec l’audience, cette stratégie de communication peut se révéler efficace car elle peut booster l’image de marque. En revanche, quand il s’agit d’un simple gadget qui, comme pour Pizza Hut et ses baskets connectées, se résume à un buzz, on peut alors se poser la question du bénéfice client : quel est-il vraiment ? Qu’est-ce que ça apporte finalement à la marque, si ce n’est un peu de notoriété éphémère ? Dans ce cas, cela a très peu d’intérêt. ”

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De la pub bon marché

Visant à faire briller la marque dans ” l’infobésité ” ambiante, le productising permet surtout aux marketers de sortir des sentiers battus de la publicité classique à moindre coût. Certes, la mise au point d’un produit original et généralement technologique nécessitera quelques dépenses en recherche et en développement, mais le buzz généré ” naturellement ” par l’audace de la démarche créative permettra à la marque d’économiser un vaste plan média lié à une campagne de pub traditionnelle. C’est ce qu’on appelle la dimension earned dans le jargon marketing, c’est-à-dire les points de contact gagnés gratuitement par la marque, en opposition au paid que sont les espaces publicitaires achetés par une entreprise dans différents médias (télé, radio, Web, presse écrite, affichage, etc.) pour vanter ses produits. Exactement comme lorsqu’une marque ou une association fait le buzz sur les réseaux sociaux avec un événement spectaculaire – Red Bull est champion en la matière – ou avec un canular, à l’instar de CAP48 et de sa récente action mettant en scène un homme prêt à vendre sa prothèse comme espace commercial. Médiatisation et pub gratuite garanties.

A priori unique et éphémère, le fruit du “productising” peut, dans certains cas, se muer en vrai produit de consommation, sous la demande pressante des clients potentiels.

Pour faire parler de soi sur les réseaux sociaux à moindre prix, rien de tel donc qu’un produit original et parfois un jeu concours qui renforce la notion d’exclusivité auprès du public auquel on s’adresse. C’est exactement ce qu’a fait Cadum, marque bien connue pour ses savons et autres produits d’hygiène à destination des enfants. Le mois dernier, son agence créative Brand Station a ainsi présenté ” un réveil olfactif au parfum ‘merveilles de miel’ conçu spécialement pour réveiller bébé tout en douceur ” (sic). Comme Pizza Hut, la marque Cadum a joué la carte de l’édition limitée et distribué ses cadrans high-tech à quelques privilégiés qui étaient cette fois, non pas des influenceurs, mais bien les lauréats d’un jeu concours. Pour remporter les ” réveils olfactifs “, les internautes étaient en effet invités à photographier leur enfant en plein sommeil, dans ” une position rigolote “, et à publier le cliché sur la page Facebook de Cadum, qui compte près de 100.000 fans.

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” Personnellement, je considère le productising comme une forme de lifting de la distribution de gadgets, tranche Jean-Claude Jouret, professeur de marketing à l’Ichec. Au même titre que les porte-clés et autres objets publicitaires dans les années 1960, ils sont avant tout destinés à promouvoir la marque. Les seules différences se situent au niveau du recours à la technologie dans ces gadgets et de l’utilisation des médias sociaux pour promouvoir l’opération commerciale. Même si un lien avec le produit de base existe, il faut reconnaître que, dans certains cas, les produits éphémères relèvent du produit inutile ou du produit à la longévité limitée et qu’ils peuvent donc être relégués au rôle de primes publicitaires. ”

Du concept au vrai produit

Salma Haouach, fondatrice de Content Fabrik.
Salma Haouach, fondatrice de Content Fabrik.© PG

S’ils sont effectivement condamnés à vivre le temps d’un buzz éphémère, il arrive cependant que les objets nés du productising connaissent un destin étonnant. C’est par exemple le cas d’un produit développé par Renault qui, pour un spot destiné au marché sud-américain, avait imaginé un produit séduisant avec la complicité de l’agence Publicis Worldwide. Dans ce film publicitaire, le constructeur automobile avait en effet mis en scène un berceau doté d’un mécanisme qui imitait à la perfection les mouvements d’une Renault pour endormir bébé à la maison. Amusant, le spot rappelait le calvaire de nombreux parents contraints de faire plusieurs fois le tour du pâté de maisons en voiture pour calmer l’enfant et tenter de gagner son sommeil.

Partagé sur les réseaux sociaux, le spot a finalement conquis les consommateurs européens qui se sont adressés à la marque française pour l’inciter à commercialiser ce berceau révolutionnaire initialement conçu pour la publicité. D’abord surpris, le constructeur automobile a fini par céder à la demande pressante et croissante de ses clients, et s’est tourné vers Chicco, une marque italienne spécialisée dans les accessoires pour bébés, afin de développer ensemble ce produit miracle. Baptisé The Dream Cradle, ce berceau de rêve sera mis en vente l’année prochaine au prix de 100 euros en Italie, puis en France, avant de gagner d’autres pays européens et, pourquoi pas, le marché sud-américain où le produit avait vu le jour de manière totalement artificielle. Cerise sur le gâteau : ce ” simulateur de voiture pour bébé ” pourra même reproduire un trajet spécifique enregistré précédemment par les parents via une application mobile !

A priori unique et éphémère, le fruit du productising peut donc, dans certains cas, se muer en vrai produit de consommation, sous la demande des clients potentiels ou d’autres acteurs du marché. Il n’est donc pas improbable que la casquette anti-sommeil présentée par Ford le mois dernier connaisse, elle aussi, le même sort si d’aventure les professionnels de la route réclament sa commercialisation. En revanche, il y a très peu de chance que cette autre invention signée par une marque de chips américaine apparaisse un jour dans les rayons des supermarchés. A l’occasion du Super Bowl, la finale du championnat de football américain, la société Tostitos avait créé The Party Safe Bag, un paquet de chips capable de détecter la présence d’alcool dans l’haleine du consommateur et de commander, le cas échéant, un taxi Uber pour l’empêcher de prendre le volant. Du pur buzz pour un produit qui a aujourd’hui complètement disparu du site Internet de la marque…

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