Le futur (très) proche d’Enki Bilal

Paris, jeudi 13 décembre 2041. Bords de Seine… Une jeune fille est en panique parce qu’elle est incapable de se connecter sur la Toile. Sa maman, guère plus rassurée, regarde la télévision et apprend que toutes les données numériques de la planète ont disparu. Ça tombe mal. Le papa est en mission sur Mars. Suivre son retour s’annonce éminemment compliqué. Bienvenue dans l’univers d’Enki Bilal. Qui signe rien de moins qu’un de ces chefs-d’oeuvre de la BD à l’instar de ses classiques Les phalanges de l’ordre noir ou Partie de chasse. Une bande dessinée qui, comme toujours chez le dessinateur et cinéaste, sort du cadre de la BD traditionnelle et interpelle. Comment l’humanité va-t-elle survivre alors que sa mémoire avec un grand M vient de s’évaporer à l’heure où la population est surconnectée ? Et surtout, on l’apprend assez vite à travers ce livre à l’incroyable beauté plastique, comment va se débrouiller cet homme, en mission dans l’espace, qui a récupéré malgré lui toutes les données envolées et désormais convoitées ?

Il va falloir revenir au papier, à l’encre et à la notion de mémoire… Pas vive, mais ‘vivante’, la mémoire… Celle de nos cerveaux.

” Demain, aujourd’hui, tout est mélangé, explique Enki Bilal rencontré récemment lors d’une escale promotionnelle à Bruxelles. C’est pour cela que ce n’est pas un livre spectaculaire sur le plan graphique, même si j’ose certaines choses comme dessiner une mosquée à côté de Notre-Dame de Paris parce que ça montre que les tensions sont apaisées. Et puis, la laïcité n’interdit pas les lieux de culte. Je suis pour le métissage, mais farouchement contre le communautarisme. Je n’avais pas envie d’écrire un space opera ou de l’heroic fantasy. Je voulais parler de notre monde et je préfère l’évoquer dans un futur proche parce qu’il me passionne autant qu’il m’inquiète. ” En titrant son ouvrage Bug, l’auteur de la récente trilogie Coup de sang joue sur l’ambiguïté linguistique. En anglais, bug signifie insecte, ce qui tombe plutôt bien puisque l’un des personnages principaux a une bestiole sous la peau. Tandis que, pour nous francophones, le bug caractérise un défaut affectant un programme informatique. Derrière ce thriller graphique se cache aussi une thématique chère à Bilal. Une thématique qu’il creuse depuis quasi ses débuts, à savoir la mémoire. ” C’est la situation de l’homme dans la société qui la fabrique, concède l’auteur. Notre vie est faite de mémoire. Comment peut-on échapper à cette thématique ? Je ne comprends pas. ”

Ce qu’on ne comprend pas non plus, c’est que, ni dans le cinéma ni dans la littérature, personne n’a encore imaginé ce scénario ultime où, avec la disparition de ces données, le monde se retrouverait en quelque sorte privé de parole. ” J’ai beaucoup lu dans la foulée de ma trilogie, poursuit Enki Bilal. Sur la possibilité que des hommes voyagent sur Mars dans 10 ans, sur l’intelligence artificielle, les robots. Je suis à fond dans ce futur technologique géré par le numérique et je pense aux bugs, celui de l’an 2000, à la signification anglaise de bug. Ensuite, il fallait commencer par quelque chose de direct avec cette gamine qui ne peux pas suivre le retour de son père qui revient de Mars. ” Parallèlement à l’écriture du deuxième volet, Enki Bilal développe actuellement un projet de série télé autour de Bug avec Dan Franck, prix Renaudot en 1991 pour La séparation et scénariste de Tykho Moon pour Bilal.

Philippe Manche

Enki Bilal, “Bug (Livre 1 )”, éditions Casterman, 98 p., 18 euros.

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