Le coupable parfait d’une justice imparfaite

" Le choc est dévastateur et la fissure n'est pas près d'être comblée. "

Mathieu Menegaux aime écrire à propos de ces jours où tout bascule. Dans Un fils parfait bientôt adapté en télévision, une femme apprenait les faits incestueux commis par son mari. L’héroïne de Je me suis tue cachait la vérité sur le viol dont elle avait été victime. Ces situations dramatiques ont pour point commun de bouleverser la vie de leurs protagonistes en quelques minutes. Et c’est ce qui arrive à Gustavo Santini dans Est-ce ainsi que les hommes jugent ? . ” Je me dis qu’une vie sur les rails, un mariage, des enfants, tout ça est d’une fragilité incroyable. Mes trois romans sont empreints de ça. Comment une vie exceptionnelle peut-elle devenir sombre ? “, s’interroge l’écrivain.

Au matin d’une présentation d’importance majeure dans son entreprise, le cadre, marié, deux enfants, va être emmené par la police à son réveil, accusé d’un délit de fuite trois ans plus tôt après avoir renversé et tué un jeune père. La machine judiciaire s’enclenche : perquisition, garde à vue, interrogatoire, confrontation au témoin. Il se sait innocent mais il est déjà coupable aux yeux de la police. Seule son épouse, Sophie, soutient Gustavo dans sa descente aux enfers. En moins de 10 heures, il passe de citoyen tranquille, presque banal (” une famille Ricoré “, sourit Menegaux), au coupable idéal, cynique dans ses mensonges.

Le romancier nous tient en haleine tout au long d’un roman qu’on lâche difficilement. La mécanique est imparable. Une journée chapitrée au rythme des heures qui passent, un compte à rebours de l’angoisse, d’un quotidien paisible qui s’effondre. Le doute et l’absence de preuves solides résonnent comme une sentence là où ils devraient renforcer la présomption d’innocence. ” A d’autre “, pense même le commandant Defils, chargé de l’enquête et proche de la retraite. Même l’accusé se demande s’il ne devrait pas avouer un crime qu’il n’a pas commis pour se sortir des sables mouvants de la justice des hommes.

Une justice des hommes qui n’est pas toujours humaine. Quelque chose ne fonctionne plus. Un Etat de droit digne de ce nom équilibre ses pouvoirs par un jeu de procédures et de principes, fonctionnant comme les poids et contrepoids d’une balance résistant à l’arbitraire. Mais voilà, Claire reconnaît en Gustavo l’assassin de son père. La messe est dite. ” Face à certaines paroles, la justice ne joue pas toujours son rôle, même si elle semble bien fonctionner dans le livre. Lors des investigations, elle révèle toutefois un soupçon de culpabilité dès le départ face auquel toute la bonne foi dont on peut faire preuve ne peut pas grand-chose. ” Menegaux pointe les usages abusifs de la garde à vue et de la détention préventive, mesures d’autorité exceptionnelles devenues courantes, par facilité parfois. Mais il relève aussi un certain air du temps quant au rôle donné aux victimes d’un crime ou d’un délit. ” Bien sûr, il faut avoir de l’empathie pour les victimes comme Claire. Mais doit-on en faire des tout-puissants ? Il y a aujourd’hui une espèce de sacralisation de la victime. C’est parfois insoutenable. Elle peut se transformer en bourreau en cherchant une audience et un statut, celui d’être reconnue comme victime. C’est justifiable et justifié. Mais est-ce que ça justifie toute forme de comportement ? ”

Et quand les réseaux sociaux – réceptacles des cancans et on-dit – prennent le relais de la loi, l’accusé, même disculpé, ne peut survivre à la vindicte populaire. La victime ne peut assouvir sa vengeance, ” son acharnement ne fait que nourrir une forme de ressentiment “, lit-on, effaré.

L’écriture concise de Mathieu Menegaux cisèle un thriller bien moins léger qu’il n’y paraît. Son livre nous laisse face à des questions qu’on ne peut trancher aisément. Sa force est de nous les poser. La condamnation est si simple, sa justification plus complexe.

Mathieu Menegaux, ” Est-ce ainsi que les hommes jugent ? “, éditions Grasset, 234 pages, 18 euros.

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