Le bitcoin, cette monnaie qui affole la planète

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Innovation majeure, arnaque du siècle, ou bombe à retardement ? Huit ans après son invention par un groupe de programmeurs informatiques japonais, la monnaie électronique virtuelle enchaîne les records mais divise toujours les esprits.

Le bitcoin est une monnaie numérique, un simple code informatique. Le système a été créé par ” Satoshi Nakamoto “, un groupe de programmeurs informatiques dont l’identité n’est pas avérée. A l’instar de l’argent papier, il n’a pas de valeur intrinsèque. La principale différence avec la monnaie classique est l’absence de contrôle par les autorités ou une banque centrale quelconque. Le nombre de bitcoins en circulation dépend du ” minage “, une activité qui nécessite la puissance de calcul des ordinateurs et devient de plus en plus difficile. De ce fait, le nombre maximum de bitcoins est limité à 21 millions d’exemplaires. A l’heure actuelle, 16,5 millions de bitcoins circulent dans le monde.

Le bitcoin, cette monnaie qui affole la planète
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Plusieurs légendes de la finance en sont des opposants farouches (lire aussi l’éditorial en page 3). Warren Buffett, ” l’oracle d’Omaha “, y voit un risque de spéculation facile comparable à la bulle Internet de 1999. Le patron de la banque américaine JP Morgan, Jamie Dimon, va jusqu’à qualifier le bitcoin d'” escroquerie “, menaçant même en septembre de licencier ” dans la minute ” tout trader tenté d’investir dans la monnaie numérique virtuelle.

Le clan des méfiants rassemble encore l’ancien patron de la Fed, Ben Bernanke, le fondateur de Wikipedia, Jimmy Wales, et Ray Dalio, le fondateur de Bridgewater Associates, le plus gros fonds spéculatif américain. Le patron de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, s’est pour sa part déclaré agnostique, rappelant que le remplacement de l’or par la monnaie-papier avait, en son temps, suscité le même scepticisme.

La vraie question est de savoir si la technologie qui a permis l’émergence des bitcoins, la blockchain, peut favoriser la généralisation d’une monnaie numérique décentralisée universelle. Et à quel niveau les gouvernements reconnaîtront-ils la valeur de la crypto-monnaie par rapport à son cours actuel (11.603 dollars en date du 5 décembre dernier).

Pour Mohamed El-Erian (Allianz), l’ancien gérant de Pimco, la valeur intrinsèque du bitcoin est largement surestimée (environ des deux tiers) par rapport au cours potentiellement acceptable par les gouvernements, et va forcément chuter. Signe d’une certaine nervosité : le gouvernement russe a annoncé en octobre, sa décision de réguler la circulation des crypto-monnaies face aux risques de fraude et d’utilisation dans le financement du terrorisme. A titre d’information, le marché global des crypto-monnaies est passé de 18 à 165 milliards de dollars en huit mois.

1. Qui sont les utilisateurs du bitcoin ?

A un bout de la chaîne, il y a les particuliers. Dans leur majorité, ces dizaines de millions d’utilisateurs achètent des bitcoins pour investir et profiter d’un ” nouveau moyen de paiement “. Ces achats se font sur Internet et dans des boutiques spécialisées en direct, contre des commissions, qui oscillent entre 5 % et 10 % du montant de la transaction. Il existe des dizaines de sites qui vendent des crypto-monnaies, notamment contre des euros et des dollars.

A l’autre bout de la chaîne, il y a les acteurs financiers, comme les banques d’affaires, les opérateurs boursiers, et les fonds d’investissement. Ceux-ci veulent avant tout se positionner sur un nouvel actif financier. Le marché n’est pas encore stabilisé pour ces acteurs, mais plusieurs initiatives sont déjà en cours. La Bourse de Chicago doit lancer en décembre un contrat à terme sur le bitcoin, tandis que le fonds français Tobam a déjà décidé de proposer à ses clients d’investir dans la crypto-monnaie.

2. Que peut-on payer avec cette devise ?

Actuellement, environ 100.000 sites internet, comme l’agence de voyages en ligne Expedia ou le site de ventes événementielles Showroomprivé, acceptent les monnaies virtuelles. De nombreuses entreprises à l’instar de Microsoft acceptent également les paiements en monnaie virtuelle. Le géant américain propose notamment l’achat de jeux, de films et d’applications via ses comptes utilisateurs.

Globalement, le bitcoin est accepté beaucoup plus régulièrement que les autres monnaies virtuelles, même si le montant global des achats en crypto-monnaies ne dépasse pas, selon les estimations, une centaine de millions de dollars par jour.

3. Le bitcoin est-il encadré ?

Contrairement aux monnaies traditionnelles (euro, dollar, etc.), le bitcoin ne dépend d’aucune institution, comme une banque centrale ou même une entreprise. Il est totalement décentralisé et ne repose que sur un programme informatique, sécurisé par une blockchain, et codé par une communauté de 10.000 développeurs.

Mais la croissance exponentielle du bitcoin, qui est devenue la 30e monnaie mondiale (180 milliards de dollars), commence à susciter l’intérêt des régulateurs nationaux et des banques centrales. Ceux-ci s’inquiètent notamment des questions de droit soulevées par l’usage d’une telle monnaie. La Fed, tout comme la Banque d’Angleterre, ont ainsi pointé les enjeux de sécurité posés par une éventuelle reconnaissance officielle du bitcoin. De son côté, la Banque de France a soulevé le ” risque ” de la généralisation de son usage, expliquant qu’aucun système n’était prévu en cas d’effondrement.

4. Le bitcoin est-il une bulle ?

La question est légitime, vu les performances récentes de la monnaie virtuelle. Depuis le début de l’année, le cours du bitcoin a en effet été multiplié par plus de 10, pour passer de 900 à 11.000 dollars. Rares sont les actifs financiers à connaître de telles progressions. Seules quelques valeurs boursières et les penny stocks, ces valeurs dont l’action ne vaut que quelques centimes, affichent des progressions comparables.

Le nombre d’investisseurs dans le bitcoin a également explosé, en dépit de sa très forte volatilité, avec des séances à plus de 20 % de variation. Cette croissance s’est retrouvée dans les chiffres des levées de fonds en monnaies virtuelles, qui ont dépassé 3 milliards de dollars en 2017, et dans ceux des créations de comptes et de portefeuilles de bitcoin, qui atteignent aujourd’hui 13 millions aux Etats-Unis. Rien qu’en novembre, l’une des principales plateformes du secteur, Coinbase, a enregistré 100.000 utilisateurs supplémentaires.

5. Quelles sont les autres monnaies virtuelles ?

Le bitcoin est un peu l’arbre qui cache la forêt des monnaies virtuelles. Au total, le secteur compte environ 1.300 monnaies virtuelles, même si le bitcoin représente plus de 50 % de la capitalisation globale, évaluée aux alentours de 320 milliards de dollars.

Seules deux ou trois crypto-monnaies comme l’ether et le ripple tiennent tête au bitcoin. Lancé fin 2013, l’ether est surtout utilisé par les entreprises parce qu’il a un champ d’application plus large que le bitcoin. Lui aussi a atteint un plus haut historique, à un peu moins de 500 dollars (422 euros), pour une capitalisation de près de 50 milliards de dollars (42,2 milliards d’euros).

Jean Tirole, Prix Nobel d'économie
Jean Tirole, Prix Nobel d’économie© Belgaimage

” Le bitcoin n’a aucune valeur intrinsèque “

Pour Jean Tirole, qui signe une tribune dans le Financial Times, le bitcoin est un ” un actif sans valeur intrinsèque ” et ” sans réalité économique “. L’économiste français, prix Nobel d’économie en 2014, s’inquiète, comme d’autres grands noms de la finance, de la montée en puissance de la crypto-monnaie et de la frénésie qui s’est emparé des particuliers, un phénomène qu’il qualifie de ” pure bulle ” financière, rappelant que sa valeur a été multipliée par 30.000 depuis 2011. Jean Tirole estime d’ailleurs que ” son prix pourrait carrément tomber à zéro si la confiance dans le système venait à disparaître “.

Autre prix Nobel d’économie qui s’inquiète de la folie bitcoin, Joseph Stiglitz, qui plaide quant à lui pour que la monnaie soit carrément bannie. Selon l’économiste américain, on assiste à une privatisation de la monnaie, alors que les banques centrales tardent à réagir. Peut-être parce qu’elles songent elles aussi à créer leur monnaie cryptée, à l’image de la banque centrale de Suède qui pourrait être la première à lancer sa propre crypto-monnaie, l’Ekrona.

Koen De Leus (BNP Paribas Fortis)
Koen De Leus (BNP Paribas Fortis)© Dieter Telemans

” Les banques centrales n’ont aucun contrôle “

Une monnaie a trois fonctions : c’est un moyen d’échange, un outil de comptage et un moyen de stockage de la valeur, rappelle l’économiste en chef de la banque BNP Paribas Fortis. Comme moyen d’échange, on pourrait encore utiliser le bitcoin, oui. Mais vu les énormes fluctuations, cela ne convient plus du tout comme unité de compte. Au moment de régler vos achats, vous courrez le risque de payer jusqu’à 20 % de plus ou de moins pour un même produit si vous l’achetez le matin ou le soir. Cette volatilité rend le bitcoin également totalement inefficace comme outil de stockage de la valeur. ”

” On entend dire aussi que le bitcoin serait de nature à rendre le système monétaire plus sain, qu’il serait une alternative à la planche à billets des banquiers centraux, poursuit-il. Mais c’est oublier qu’une quantité fixe de monnaie peut être, comme cela a déjà été le cas par le passé, à l’origine de douloureuses périodes de déflation. Par ailleurs, l’ancien président de la Fed, Ben Bernanke, a clairement démontré que des systèmes monétaires avec des taux de change fixes, et surtout avec des quantités de monnaie fixes, sont de nature à rendre l’économie et le secteur bancaire plus volatiles. Le bitcoin et les autres crypto-monnaies représentent enfin un problème pour les Etats et les banques centrales dans la mesure où ils sapent leur droit de créer de la monnaie. Elles n’ont aucun contrôle sur le bitcoin et les crypto-monnaies. ”

Geert Noels (Econopolis)
Geert Noels (Econopolis)© Belgaimage

” Ceux qui voient dans le bitcoin un phénomène insignifiant se trompent ”

” Dans un récent rapport, la Fed indiquait que le système bitcoin pouvait à terme jouer un rôle important dans le système financier et les échanges internationaux. Le fait que la banque centrale américaine se penche sur le phénomène lui donne, ainsi qu’aux autres crypto-monnaies, une certaine crédibilité “, estime l’économiste (Econopolis). Cela étant, Geert Noels juge également que le bitcoin présente pour le moment toutes les caractéristiques d’une devise hyper-spéculativepouvant d’effondrer du jour au lendemain. ” C’est pour le moment loin d’être une devise forte, tout cela me fait penser à la fameuse crise de la tulipe aux Pays-Bas. ” Alors, invention majeure ou arnaque du siècle ? ” Ceux qui disent pouvoir valoriser le bitcoin se trompent complètement, tout comme ceux qui disent qu’il s’agit d’un phénomène insignifiant “, conclut Geert Noels.

Paul Jorion (sociologue et anthropologue)
Paul Jorion (sociologue et anthropologue)© Belgaimage

” C’est un jeu de Monopoly ! “

Pour Paul Jorion, le bitcoin n’est rien d’autre qu’une ” caricature de monnaie ” visant à ” miner les Etats ” et les autorités publiques au sens large. ” Les porte-paroles du bitcoin sont en effet des militants : ils s’affirment libertariens. Ce qu’ils cherchent, c’est abattre les Etats qui sont pour eux l’ennemi. Le bitcoin est un symbole de leur combat “, dit-il. Au-delà de cette lecture politique du phénomène, ” le bitcoin ne présente pas les caractéristiques fondamentales d’une monnaie, ajoute Paul Jorion. Il n’est pas adossé à une richesse économique clairement déterminable, ce sont surtout des circuits criminels qui l’alimentent. Par ailleurs, le bitcoin n’est absolument pas liquide, il faut attendre plusieurs jours pour qu’une transaction soit enregistrée. Ce temps de transaction est beaucoup trop élevé, de même que les frais de transaction sont eux aussi beaucoup trop élevés. Bref, le problème du bitcoin, c’est exactement celui du jeu de Monopoly. Tant que les joueurs décident de jouer le jeu et de régler leurs transactions avec des billets de Monopoly, cela marche. Mais le jour où il y en a un qui arrête de jouer le jeu, la partie est terminée “.

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