Lavaux, entre ciel et lac

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Classés par l’Unesco, les vignobles en terrasses de Lavaux, près de Lausanne, se dressent à la verticale au-dessus du lac Léman. Un dénivelé à couper le souffle que les acteurs économiques mettent habilement à profit pour attirer les amateurs d’oenourisme, de grand air et même d’architecture moderniste.

“N’oubliez pas vos lunettes de soleil et la crème solaire “, insiste la guide. Pascale Fesquet, professionnelle de la grimpette, cheveux courts et silhouette noueuse, a l’habitude des omissions et de l’incrédulité des néophytes. Contre toute attente, les vignes de Lavaux qui s’étendent sur 15 kilomètres entre Lutry, aux portes de Lausanne, et les hauteurs de Vevey, riment par beau temps avec écran total et Ray-Ban.

” C’est grâce aux trois soleils “, poursuit un rien goguenarde l’accompagnatrice qui pointe un index vers le ciel puis désigne sous ses pieds l’immense étendue réverbérante du lac Léman et achève l’inventaire de la sainte trinité en posant la main sur l’un des murets de pierre encore tiède. Ces ” charmus ” (comme on les appelle dans le canton de Vaud) qui serpentent entre les ceps forment un ruban de 450 kilomètres qui renvoie la lumière avec l’éclat d’un réflecteur de cinéma. La nuit venue, la pierre chaude restitue à la terre la chaleur emmagasinée le jour. Un calorifère qui, associé à l’effet régulateur thermique du lac, peut sauver les agriculteurs du désastre en préservant les vignes étagées du gel destructeur. Un risque qui perdure même au printemps comme les viticulteurs valaisans et vaudois en ont pu récemment faire les frais.

” Les terrasses réparties sur 40 niveaux permettent d’aménager des parcelles viticoles moins pentues et plus adaptées à la culture de la vigne “, explique Constant Jomini, vigneron installé depuis trois générations dans le village de Chexbres, à 600 mètres d’altitude, l’un des points de départ traditionnel des randonnées. Exploitant et encaveur, comme son père, Jean-Louis, qui habite à quelques mètres de la maison familiale, organise fréquemment des dégustations de ses différents cépages répartis entre merlot, gamay, pinot noir et chasselas, le raisin star de la région qui concerne trois quarts des plants à Lavaux.

Gueuleton sur la terrasse d’une ” capite ”

Avec l’engouement touristique pour cet incroyable dénivelé, le jeune viticulteur accueille des visiteurs européens, chinois et américains qui n’hésitent pas à écourter leur visite au Château de Chillon, le monument le plus couru de la confédération, pour arpenter les sentiers sinueux et goûter aux vins de soif. Les inconditionnels peuvent même acquérir quelques pieds de vigne du domaine Jomini. Une formule de cadeau originale qui cartonne et permet pour 340 francs suisses de s’octroyer trois ceps pour une durée de quatre années renouvelables à volonté, le tout agrémenté d’une plaque nominative plantée à l’ombre des grappes pour remercier ” l’oenophile ” (et flatter son ego). Une manière de célébrer le terroir et de se retrouver entre propriétaires VIP durant les beaux jours autour d’un gueuleton sur la terrasse de la capite, un cabanon typique de vigneron en bois, planté au milieu des parchets.

Ces modestes remises à outils avec vue plongeante sur le Léman sont de plus en plus souvent transformées en gargotes éphémères pour vivre au plus près l’expérience vinicole. Une idée qui a été reprise par d’autres confrères, tentés eux aussi par le filon de l’oenotourisme en plein développement dans la région. Les idées ne manquent pas. Pour attirer une clientèle peu sportive, la société eBiker organise même des tours en vélo électrique pour jouir sans effort de la beauté du paysage lacustre et minéral, magnifié à la fin du 19e siècle par les toiles du peintre Ferdinand Hodler et vanté par Charlie Chaplin qui vécut 25 ans sur les hauteurs, à Corsier-sur-Vevey.

Pépites architecturales

Les hôtels de luxe et les tables chics se sont multipliés dans les villages ou au coeur des vignes depuis l’inscription de Lavaux au patrimoine mondial de l’Unesco en 2007. Il y a cinq ans, des promoteurs ont ainsi rénové à grands frais un ancien motel immaculé construit en 1965 par Alberto Sartoris. Seul bémol : l’Hôtel Lavaux donne directement sur la route cantonale et la voie de chemin de fer.

Cofondateur avec Gerrit Rietveld et Le Corbusier des CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne), ce fils d’émigré italien, disparu en 1998, est l’un des chantres du style international. Enchâssé à flanc de coteaux, l’ancien établissement inspiré par les modèles d’hébergement à l’américaine, fonctionnel et orthogonal, est devenu un quatre étoiles design respectant en grande partie le dessin original.

Le bâtiment, monté sur pilotis, crée un saisissant contraste avec les étroites maisons vigneronnes à volets du 18e siècle et leur débauche de géraniums. L’Hôtel Lavaux n’est pas le seul ” écart ” stylistique des environs. A Epesses, on compte, du même architecte moderniste, le Cercle de l’Ermitage (1935), dont la réhabilitation à l’identique a été achevée il y a quelques mois, tandis qu’à Corseaux, on peut visiter la villa Le Lac. Cette petite habitation confidentielle et sommaire, imaginée les pieds dans l’eau mais dos aux vignes, porte la signature de Le Corbusier. Edifiée en 1923 pour ses parents, la construction à toit plat, accessible au public depuis sa remise en état en 2015, constitue un témoignage précieux sur la radicalité de l’homme au noeud papillon, adepte de la table rase.

Pour une immersion plus nature et le charme de la patine, le domaine de Burignon, situé juste avant Saint-Saphorin, se révèle une halte indispensable. Ce bed and breakfast d’à peine trois chambres est tenu par la compagne d’un vigneron, fervent défenseur de la culture biologique devenue en quelques années la préoccupation de la nouvelle génération d’exploitants. Trente pour cent des producteurs de Lavaux travailleraient aujourd’hui sans chimie. Le Burignon est également doté d’un bar à vins d’été – ouverture de la nouvelle saison le 19 mai prochain – où l’on sirote chasselas et crus du domaine accompagné d’une tartine de truite fumée et raifort, face aux Alpes françaises.

Randonnées dans les vignes

Décidé par le Conseil d’Etat vaudois en 2012, la mise en valeur du patrimoine viti-vinicole passe par la découverte ludique des vignobles mais également par le soutien à des outils de connaissance comme le Vinorama, à Rivaz, l’un des 14 villages de Lavaux. Ce centre de découverte des vins et du vignoble en terrasses permet de comprendre la spécificité des pratiques locales.

En raison de la géographie escarpée du terrain, les récoltes ne peuvent pas être transportées par les moyens traditionnels. Au moment des vendanges, en octobre, les caisses sont chargées à certains endroits sur des wagonnets et acheminées jusqu’à la route goudronnée par un monorail à crémaillère qui se faufile entre les ceps, ou sont parfois directement évacuées par hélicoptère.

Le meilleur moyen de vivre Lavaux est évidemment d’emprunter les chemins de randonnée qui traversent les vignobles et les villages pittoresques, comme ceux qui mènent de Lutry à Saint-Saphorin, ou de Grandvaux à Cully. La balade qui relie la gare de Chexbres à Saint-Saphorin en bordure de lac permet de faire le trajet – un peu plus de 10 kilomètres – dans le sens de la descente. Les excursions qui comportent de nombreux points d’entrée, ne demandent pas une grande condition physique. Le dénivelé le plus important se situe à Puidoux, tout autour des coteaux du Dézalay, une appellation prestigieuse qui compte 53 hectares de vignes.

Ici, tout semble avoir été conçu pour prendre son temps et admirer la perspective qui s’ouvre en certains points sur les cimes enneigées des Dents du Midi. Ne négligeant aucune piste touristique, des moniteurs de parapente proposent même une découverte de Lavaux à la verticale. Un must. Et n’en déplaise aux amateurs de saint-julien ou de médoc qui ne jurent que par l’oenotourisme en terre bordelaise en snobant les crus helvètes, question émotion, un lever du jour sur le lac Léman vaut bien un coucher de soleil sur l’estuaire de la Gironde.

Antoine Moreno

Le meilleur moyen de vivre Lavaux est d’emprunter les chemins de randonnée qui traversent les vignobles et les villages pittoresques.

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