La social-démocratie a-t-elle perdu ?

On affirme souvent qu’en Europe la social-démocratie est en train de disparaître. A l’appui de cette affirmation, on se fonde sur des résultats électoraux. Les partis sociaux-démocrates réformistes sont tombés, lors des élections récentes, à des niveaux historiquement bas, dans des pays comme la Grèce, l’Espagne, et tout récemment l’Allemagne. En France, il en est de même, même si nombre d’élus se sont recyclés dans le parti de la République en marche du président Macron.

Les sondages prédisent un sort semblable aux socialistes belges, et le Labour anglais ne survit précisément qu’en abandonnant la social-démocratie pour adopter un discours de gauche beaucoup plus radical.

Ces mauvais résultats des sociaux-démocrates aux élections cachent toutefois leur victoire écrasante sur le plan des politiques concrètes. Ils ont toujours défendu des principes qui combinent le maintien et le développement d’un Etat providence, chargé de s’occuper de la plupart des besoins économiques et sociaux de la population, une très lourde fiscalité rendue nécessaire par le poids énorme de la protection sociale, et une combinaison d’une économie de marché avec un rôle interventionniste de l’Etat et une politique économique keynésienne. Pour eux, l’Etat intervient rarement comme opérateur économique mais les entreprises sont soumises à de multiples règles et à des systèmes de régulation si stricts que leur indépendance est souvent factice.

Ils ont ainsi obtenu que l’Europe adopte comme modèle ” l’économie sociale de marché ” et qu’en pratique la quasi-totalité des gouvernements d’Europe continentale mettent en place, quel que soit le parti au pouvoir, des politiques conformes aux dogmes sociaux-démocrates. Ainsi, l’Europe, avec de faibles nuances entre les chrétiens démocrates allemands et les socialistes français, se fonde sur un système de dépenses publiques massives, qu’aucun gouvernement ne parvient jamais à réduire, et de très lourds impôts qui ne cessent d’augmenter.

Bien plus, les sociaux-démocrates ont réussi à ce que les autres partis dominants, sauf au Royaume-Uni, aient, de fait, adopté leurs principes. Lorsque Charles Michel dit que son gouvernement veut ” sauver la sécurité sociale ” en diminuant le rythme d’augmentation des dépenses (sans réduire celles-ci), son discours n’a rien de libéral, mais est purement social-démocrate. Il en est de même d’Emmanuel Macron, dont la politique fiscale et sociale ne se distingue pas de manière claire de celle des socialistes français, purement étatistes, ou même de Sarkozy.

Sur le plan doctrinal, les nuances entre la social-démocratie et la démocratie chrétienne sont très difficiles à discerner : il s’agit toujours de systèmes étatistes lourds, grands taxateurs et très dépensiers, où l’Etat est omniprésent, même si, dans la théorie, ils cherchent leur légitimité, dans l’ordre divin pour les uns, dans la notion de ” peuple ” pour les autres. Même ceux qui parfois se réfèrent encore au libéralisme à titre doctrinal, se fondent en général sur les idées du philosophe américain John Rawls, qui sont en réalité très proches de la doctrine social-démocrate. Lorsque, par hasard, un parti qui n’est pas entièrement acquis à ces idées arrive au pouvoir, il adopte une politique étatiste de droite, qui diffère à peine des conceptions sociales-démocrates dont, sauf au Royaume-Uni, on ne remet jamais en cause les fondements.

Les partis sociaux-démocrates perdent les élections, les uns après les autres, essentiellement parce que leurs opposants ont repris leurs idées et pratiquent la même politique. Ils n’ont plus rien à proposer qui diffère sérieusement des idées de leurs concurrents, puisque ceux-ci ont repris les leurs. Il n’y a plus de réel débat sur la politique économique et sociale dans la quasi-totalité des pays européens. C’est ce qui permet l’éclosion de partis extrémistes, de gauche et de droite, qui proposent des politiques qui remettent souvent en cause les principales libertés, y compris la liberté d’entreprendre : la France insoumise de Mélenchon et le Front National de Le Pen ont des programmes économiques semblables, fondés sur l’autorité de l’Etat dans le plus grand nombre de domaines possibles. Ils sont dangereux pour les libertés civiles, ils remettent en cause les droits individuels beaucoup plus fondamentalement que la social-démocratie mais leur credo sur le plan économique reste celui d’un Etat fort. Comme le disait Ayn Rand, ” la différence entre un Etat providence et un Etat totalitaire n’est qu’une question de temps “.

Thierry Afschrift

Les partis sociaux-démocrates perdent les élections les uns après les autres parce que leurs opposants ont repris leurs idées et pratiquent la même politique.

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