Qui est Ariane Khaida, la reine du négoce bordelais?

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Ariane Khaida est, depuis mars 2014, la directrice générale de Duclot, la première maison de négoce du vignoble bordelais. Pas du tout issue du sérail, elle bouscule les habitudes de cet acteur majeur de la puissante Place de Bordeaux. Avec un seul leitmotiv: être au plus proche du client.

Du haut de sa magnifique terrasse où une version miniature du célèbre miroir d’eau bordelais a été recréée, le groupe Duclot a une vue imprenable sur la mairie d’Alain Juppé et sur la cathédrale Saint-André. Symbole de son importance dans la fameuse Place de Bordeaux, un système unique au monde qui permet de vendre du bordeaux aux quatre coins de la planète à la vitesse de l’éclair. Duclot a rejoint son nouveau siège situé place Rohan l’été dernier. Trois années de conception et de travaux ont été nécessaires pour transformer les deux immeubles du 18e siècle. Outre la magnifique terrasse que les ingénieurs jugeaient infaisable, Ariane Khaida, la directrice générale, a fait percer les murs pour créer un véritable puits de lumière ainsi qu’une magnifique cave de dégustation. Ce coup de jeune est à l’image de l’impulsion que la Champenoise donne à Duclot depuis son arrivée en mars 2014.

“Je suis ingénieur de formation, raconte la quadragénaire. Je suis diplômée de Centrale à Paris. Je me voyais dans l’aéronautique, je me suis donc un peu perdue en chemin (rires…). Et en plus, je suis champenoise! Je ne suis donc pas issue du sérail bordelais. Ma liberté est donc totale et depuis mon arrivée à Bordeaux, elle m’a permis dans chacun des postes occupés de fournir un regard neuf et une analyse extérieure.”

De Vuitton à Ducru-Beaucaillou

Détentrice d’un brevet de pilote, elle commence par un stage chez Dassault à Mérignac. Avant de rejoindre Paris et de courir le monde pour Vuitton. Elle revient à Bordeaux en 2003 en décidant de tout abandonner pour suivre son mari qui vient d’y être nommé. C’est à ce moment-là que débute son parcours, sans faute, dans le vin. D’abord avec Bruno Borie chez Ducru-Beaucaillou, un saint-julien, deuxième grand cru au classement de 1855. Pendant quatre ans, elle va y apprendre toutes les facettes des métiers du vin. En 2006, Ariane Khaida se voit ensuite proposer de perpétuer la longue tradition féminine à la tête de la Maison Descaves, une société de négoce qui est aujourd’hui une filiale de Roederer. C’est là qu’en 2014, Jean-François Moueix viendra lui proposer la direction générale de Duclot, un poids lourd de la Place de Bordeaux. Si le groupe ne communique pas sur son chiffre d’affaires, on sait néanmoins qu’il possède 10 millions de bouteilles dans son nouveau chai de 20.000 m² près de l’aéroport de Mérignac et qu’il emploie 200 personnes dont 100 commerciaux. Il appartient à Videlot, le holding dirigé par Jean-François Moueix et ses trois enfants. Précisons que Videlot est aussi l’heureux propriétaire d’un charmant petit vin appelé… Petrus!

“Il n’y a qu’un seul lien entre Petrus et Duclot, confie Ariane Khaida. Nous le vendons en France et c’est tout. Mais il faut reconnaître que quand Duclot arrive sur de nouveaux marchés étrangers, la réputation de Petrus nous sert. Depuis sa reprise de Duclot dans les années 1970, Jean- François Moueix n’a eu de cesse de nous faire progresser dans les trois métiers: le B to C, le B to B export et la vente au secteur de la restauration. Nous sommes les seuls de la Place de Bordeaux à les combiner. Je poursuis ce travail en le modernisant. Notre activité export, autrefois appelée Bordeaux Millésime s’appelle désormais Duclot Export. Il faut afficher notre label. Toutes les bouteilles partent de Bordeaux mais nous avons aussi un bureau à Hong-Kong et un autre bientôt aux Etats-Unis.”

Je suis ingénieur de formation. Je me voyais dans l’aéronautique, je me suis donc un peu perdue en chemin…

En Belgique, le groupe Duclot possède le caviste bruxellois Chai & Bar, situé à Fort Jaco (Uccle). C’est l’un des six points de vente gérés par le négociant bordelais. Les autres sont Badie et L’Intendant, deux institutions bordelaises, mais aussi deux adresses en région parisienne et la grande cave de 400 m² des Galeries Lafayette à Paris. “Cette activité B to C se complète avec deux sites internet, explique Ariane Khaida. Chateaunet.com et Chateau primeur.com, le seul site 100% dédié aux primeurs (des vins vendus deux ans avant mise en bouteille et livraison, Ndlr) bordelais. Cette activité n’est pas la plus importante en termes de chiffre d’affaires mais elle est fondamentale pour le contact étroit qu’elle induit avec le client. C’est un laboratoire de tendances essentiel. Quant à notre adresse bruxelloise, nous sortons de deux très belles campagnes de primeurs. Elle se développe bien.”

En direct avec les sommeliers

Ces dernières années, le groupe Duclot a aussi considérablement développé son offre destinée à la restauration sous le nom de Duclot La Vinicole. Outre Paris, le groupe dispose d’une antenne à Bordeaux, à Nice ainsi que deux bureaux américains à New York et à Los Angeles. “Cette activité est essentielle pour construire une marque et pour comprendre les goûts des sommeliers, poursuit Ariane Khaida. C’est un vrai investissement qui, aujourd’hui, rapporte plus que le B to C. Mais c’est aussi un sacerdoce, notamment sur les paiements des factures. Mais il nous rend incontournable. En outre, vu notre catalogue, nous pouvons construire l’intégralité d’une carte. Nous n’envisageons pas cette activité en Belgique car nous avons des clients dont c’est le métier. Si nous devions un jour le considérer, il faudra d’abord bien en mesurer les conséquences.”

Depuis son arrivée à la tête du Duclot, Ariane Khaida, dont le jugement est respecté même si elle n’est pas oenologue et dont l’esprit analytique est unanimement loué, poursuit deux objectifs majeurs. “D’abord la précision de la distribution, confie-t-elle. Duclot doit avoir une extrême proximité avec ses clients et les marchés. Il faut placer chaque bouteille exactement où elle doit être. Ensuite, Duclot doit être une véritable caution. Nous avons une véritable légitimité: avec nous, pas de problème de traçabilité, de transport, de tromperie, de conservation des vins. Nous achetons tout aux châteaux en direct et nous conservons toutes les bouteilles dans notre chai dans des conditions optimales. Et quand, à la demande d’un client, nous achetons du vin sur la Place et pas en direct, il est labellisé Duclot Trading. Même si nous prenons toutes les précautions possibles, nous n’en garantissons pas la provenance. C’est juste une question de transparence et d’honnêteté.”

Un système unique au monde

Si, pour son activité B to C, le groupe distribue tous les vins et des spiritueux, les parties export et restauration sont à 90% bordelaises. Mais son savoir-faire attire aussi des fournisseurs d’autres régions. “La Place de Bordeaux est le plus fabuleux système de distribution au monde, s’exclame Ariane Khaida. J’ai travaillé chez Vuitton. Le modèle y est 100% intégré pour tout maîtriser. C’est parfait quand vous n’avez qu’une seule marque. Un château, seul, ne peut pas se permettre ça. La Place offre une visibilité mondiale quasi instantanée à un coût minime. Imaginez que quand les primeurs sortent, dans les 10 minutes, l’ensemble de notre profession touche 20.000 clients. Personne ne fait cela! Qui peut se targuer de déplacer, à leurs frais, 8.000 professionnels du vin du monde entier pour venir découvrir les primeurs pendant une semaine? Personne sauf nous! C’est une machine de guerre. En 2008, lors de la crise des subprimes, le marché américain s’est effondré. En un an, on l’a déplacé vers l’Asie. Demandez aux Champenois le temps qu’ils ont mis!”

Si son business est évidemment lié aux grands crus, Ariane Khaida n’oublie pas les autres vins de Bordeaux. “Les bordeaux dits de petits châteaux sont les meilleurs rapports qualité/prix au monde, conclut-elle. Nous avons les moyens de les distribuer et nous le faisons. Pas 500 mais 25 triés sur le volet avec lesquels nous pouvons construire une récurrence de qualité. J’en propose déjà au verre à Los Angeles, comme des crémants de Bordeaux d’ailleurs. Seule la grande distribution ne nous convient pas. Moi, brader des vins ou faire du 5+1 gratuit, je ne peux pas. J’ai d’ailleurs arrêté de distribuer des marques qui le faisaient.”

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