Les freelances sont-ils délaissés par les entreprises?

Jan Laurijssen et Ans De Vos " Mieux vaut essayer de garder plus longtemps les freelances aux compétences rares. " © FRANKY VERDICKT

Face à la contraction du marché du travail, les entreprises ont de plus en plus recours à des freelances. Seules trois entreprises belges sur dix disposent d’une politique RH adaptée au cas de ces travailleurs, nous apprend une enquête. “Les entreprises risquent de se tirer une balle dans le pied”, affirme Jan Laurijssen, de SD Worx.

Si le contrat d’emploi traditionnel demeure encore la norme, de plus en plus d’entreprises utilisent les services de freelances ou travailleurs intellectuels indépendants. En Belgique, 97 % des entreprises travaillent avec des freelances et, parmi leurs collaborateurs, un sur dix est un freelance. Il s’agit en premier lieu d’informaticiens, mais le travail indépendant concerne aussi fréquemment des tâches commerciales.

Les freelances ont la cote parce que les entreprises, vu le resserrement du marché du travail, éprouvent des difficultés à trouver des employés adéquats et se mettent donc en quête de travailleurs pouvant être déployés rapidement et de manière flexible. Une enquête réalisée par le prestataire de services de ressources humaines SD Worx et l’Antwerp Management School montre que 28,8 % seulement des entreprises belges ont aménagé la gestion RH pour tenir compte des free-lances. En Allemagne, la proportion est de 37,1 % et en Grande-Bretagne de 35,9 %. Les entreprises belges investissent également moins dans leurs collaborateurs freelances. Moins de quatre travailleurs indépendants sur dix (38,8%) bénéficient d’une formation spécifique donnée par l’entreprise. Chez nos voisins, le pourcentage oscille autour des 50 %.

Une tradition plus ancienne

Il est vrai que six entreprises belges sur dix tentent d’intégrer les freelances dans leur culture d’entreprise, leurs méthodes et façons de travailler. Mais là encore, nous sommes en deçà des autres pays couverts par l’enquête (67,7 % en moyenne). Les freelances sont également moins impliqués (53,8%) dans les activités organisées pour le personnel permanent, la moyenne se situant à 68 % dans les autres pays. Selon Jan Laurijssen, managing consultant chez SD Worx, ces différences sont liées au fait que dans les autres pays, il existe une plus longue tradition de collaboration avec les free-lances. ” En Grande-Bretagne, par exemple, le droit du travail est plus souple, ce qui facilite le choix d’une carrière de free-lance. C’est plus difficile en Belgique. Chez nous, un travailleur indépendant ne peut pas se trouver sous l’autorité de l’employeur. Il faut prendre garde à ne pas utiliser de faux indépendants. Et donc de nombreuses entreprises reculent devant l’élaboration d’une politique RH pour leurs collaborateurs indépendants. ”

Plus le turnover est important, plus on fait appel à des freelances.

Cela permet d’éclairer un résultat frappant de l’enquête : concernant le feed-back sur les prestations, 53 % des entreprises belges ne font pas de distinction entre salariés et free-lances, contre 70 % en moyenne dans les autres pays.

Aménager la gestion RH

Une autre raison qui explique la faible priorité d’une politique RH pour les free-lances concerne le lien manifeste entre rotation du personnel et recours aux free-lances. Plus le turnover est important, plus on fait appel à des free-lances. L’entreprise dont le taux de rotation est élevé doit rapidement trouver des remplaçants et le fait de recourir aux free-lances permet de remplir les effectifs plus vite qu’en lançant une procédure de recrutement. De plus, les entreprises font le raisonnement que les free-lances ne seront pas employés longtemps et elles n’investissent donc pas dans leur formation ou leur encadrement professionnel.

Un mauvais calcul, estime Jan Laurijssen. ” Les entreprises doivent modifier leur politique concernant les freelances. Sinon, elles se tirent une balle dans le pied. Certes, les freelances ne relèvent pas de l’autorité de l’employeur, mais ils font partie de l’équipe et il est préférable de les impliquer le plus possible dans l’entreprise. Notamment en les incluant dans des formations et en les faisant participer à des activités hors du cadre de travail. C’est très bénéfique pour la motivation et la productivité. ”

Ans De Vos, professeure à l’Antwerp Management School, souligne l’importance d’une politique RH pour les freelances, car les entreprises les utilisent de plus en plus souvent pour des tâches essentielles ou des missions de long terme. ” Ce n’est pas seulement pour l’entreprise qu’une politique RH dans ce domaine est importante. Pour la carrière durable du free-lance aussi, il faut qu’il puisse avoir un feedback sur ses prestations et des entretiens sur son développement professionnel et ses perspectives de carrière. ” L’absence ou la rareté d’une véritable politique RH pour les freelances tient aussi, explique-t-elle, au fait que le département RH n’est qu’indirectement impliqué dans leur recrutement. L’enquête montre que près de la moitié des entreprises belges n’informent qu’après coup l’équipe RH de la décision de travailler avec des free-lances.

” Une politique RH doit communiquer clairement les objectifs de l’entreprise, ce qu’elle veut faire avec le free-lance, ajoute Jan Laurijssen. Il faut que les choses soient claires : le freelance doit savoir pourquoi on fait appel à lui. Pour combler l’une ou l’autre lacune ? Pourquoi devrais-je alors y employer toute mon expertise ? se dira-t-il. Si les freelances ne sont là que pour comprimer les coûts ou en raison d’un besoin temporaire de capacité supplémentaire, il ne s’agit évidemment pas d’une relation stable. Mais on a aujourd’hui une pénurie de compétences souvent rares, dont l’expertise dans le domaine du numérique. Il faut alors un autre type de relation. Parce que les freelances possédant ces compétences, mieux vaut essayer de les garder plus longtemps. L’étroitesse du marché du travail force les entreprises à y réfléchir. ”

Le cadre réglementaire est-il suffisant ?

Avec la progression du travail free-lance, certains juristes et experts du marché du travail ont plaidé plus d’une fois en faveur d’un troisième statut, entre le salarié et le travailleur indépendant. Un free-lance aurait alors davantage de droits sociaux, par exemple, qu’un indé-pendant. Selon Jan Laurijssen, ce dont on a besoin avant tout, ce sont de bons accords dans le cadre du système actuel. ” On peut déjà faire beaucoup. Si on passe de bons accords, il n’y aura pas de problème avec des règles telles que l’autorité de l’employeur, indique le consultant. Tout élément qui induit un lien de subordination et l’autorité de l’employeur est à proscrire dans le cas d’un indépendant. Le freelance est plus libre dans l’organisation du travail et le temps de travail qu’un salarié permanent. Mais le contexte évolue et la frontière entre indépendants et salariés s’amenuise. Le salarié a souvent plus de liberté que par le passé pour accomplir son travail, par exemple avec des horaires de travail flexibles. ”

” Pourquoi nous faudrait-il un troisième statut alors que nous savons que les free-lances ne forment toujours qu’un groupe limité ? interroge Ans De Vos. La protection sociale est importante, mais on rencontre de plus en plus de personnes qui ont des compétences spéciales et qui ne veulent plus intégrer le personnel salarié. Elles veulent pouvoir changer d’emploi plus rapidement. ”

Surtout dans l’informatique

Les départements IT sont les plus enclins à utiliser des free-lances. En Belgique, 31 % des départements IT recourent à des travailleurs indépendants, suivis par les ventes (23%), le marketing et les projets transversaux (20 % chacun) et la production (19%). Les freelances sont moins présents dans les ressources humaines (16%), la recherche & développement (14%) et l’administration (13%).

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