Paul Vacca

Le vocal représente-t-il vraiment un progrès ?

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Tout le monde en parle. C’est la prochaine révolution annoncée. Mieux, un changement de paradigme. Fini les écrans, le vocal, avec les enceintes intelligentes et les assistants virtuels, est le prochain horizon du numérique.

Il est assez savoureux de noter comment les géants technologiques, qui durant toutes ces dernières années ont tout fait pour nous éloigner du vocal – vous savez, la fonction téléphone de notre smartphone -, voudraient nous y faire revenir.

Révolution ? Pour l’instant cela ressemblerait plutôt à une vaste opération d’obsolescence programmée de l’écrit. Qu’est-ce que l’obsolescence programmée sinon le fait de vouloir remplacer une technologie qui fonctionne encore par une autre qui arrange. L’enjeu, ce n’est pas tant la vente d’enceintes que le nouveau canal que cela peut représenter et la plateforme qui pourrait s’y arrimer. Un nouveau bras-de-fer pour le contrôle de l’e-commerce, de la distribution de la musique et des contenus… Encore une histoire de domination mondiale. Think vocal, act global. Pas étonnant qu’Amazon, Google et Apple soient en première ligne. Mais en quoi le vocal représente-t-il un progrès pour nous ?

Car, jusqu’à plus ample informé, les usages liés à ces enceintes intelligentes n’ont vraiment rien de disruptif. Soit ils apportent une solution à un problème dont on s’acquittait très bien jusqu’à présent comme par exemple savoir le temps qu’il va faire ou connaître la liste des rendez-vous de la journée. Soit ils apportent une solution à un problème que nous n’avons pas, tel que commander la lumière du salon ou allumer la télévision par la voix alors que l’interrupteur faisait très bien l’affaire. Soit ils n’apportent aucune solution à un problème que nous pouvions résoudre facilement avant, tel que connaître la liste des films qui passent dans le multiplexe voisin et être obligé de faire répéter l’assistant virtuel et prendre note des horaires de séances avec un papier et un stylo. Le comble de la modernité.

Se joue avec ces majordomes virtuels une drôle dialectique du maître et de l’esclave où nous croyant maîtres, nous ne serions en fait que l’esclave de notre esclave.

Mais au-delà, et de façon plus profonde, le passage au vocal ne fait qu’amplifier des travers structurels déjà identifiés. D’abord, celui de l’épineuse question de l’exploitation des données, car ces assistants virtuels installés dans l’intimité de nos foyers pourraient placer les opérateurs encore plus au coeur de nos vies. Ensuite, celui de l’attention déjà aigu avec le smartphone, mais amplifié par une menace extérieure puisque les assistants virtuels peuvent interagir à n’importe quel moment sur nos vies. Et enfin, celui des bulles cognitives déjà présent sur le Web mais qui se verrait décuplé par ces enceintes intelligentes dans la mesure où, à une question posée, l’assistant fournira une réponse unique au lieu de proposer des choix.

Sans compter les nombreux incidents que peut générer structurellement un mode de communication comme la voix : quiproquos, lapsus ou dialogues de sourds. Et qui in fine se traduisent par une perte de contrôle sur les objets. Là où le smartphone nous obéissait au doigt et à l’oeil, la voix laisse un état de flottement. Se joue alors avec ces majordomes virtuels une drôle dialectique du maître et de l’esclave où nous croyant maîtres, nous ne serions en fait que l’esclave de notre esclave.

Reste alors une question : pourquoi, face à un tel désastre d’usage et les si maigres avancées que présente le vocal, les esprits s’échauffent-t-ils autant ? Encore une preuve de la force des Gafa qui réussissent à transformer en marché leurs propres fantasmes. Un marché où leur puissance devient auto-réalisatrice. Comme dans la blague où un bûcheron se demande si sa provision de bois pour l’hiver sera suffisante. Il se rend alors chez un vieux chef indien et lui demande si l’hiver sera rigoureux. L’hiver sera rude, lui répond laconiquement le chef. Alors le bûcheron retourne couper du bois. Encore et encore. Quelques jours plus tard, alors qu’il est en plein labeur, l’Indien passe à portée de voix du bûcheron et lui lance : l’hiver sera rude, très rude ! N’y tenant plus, le bûcheron lâche sa hache et demande au chef comment il fait pour savoir cela. Et l’Indien de lui répondre : ” Quand le bûcheron coupe beaucoup de bois, c’est que l’hiver sera rude ! ” Mais cette blague, ce n’est pas Siri qui aurait pu vous la raconter. De son propre aveu, il n’a pas d’humour. On le croit sur parole.

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