L’Homme doit penser son devenir

Depuis quelques années, de nouveaux gourous nous prédisent un avenir où de nouvelles technologies (numériques, robotiques, génétiques) viendront soulager les maux de l’humanité et apporteront des réponses aux défis démographiques, environnementaux et socio-économiques. Face aux prédicateurs des grandes catastrophes, ces nouveaux inspirateurs préparent, le sourire aux lèvres et les milliards en poche, l’avenir en conquérant l’espace, en perfectionnant nos corps ou en investissant en masse dans des technologies qui relevaient de la science-fiction il y a 10 ans encore. Qu’ils s’appellent Elon Musk, Mark Zuckerberg ou Jeff Bezos, ils sont les visages les plus médiatiques de ce qu’on appelle les transhumanistes. Leur foi, c’est en la technologie qu’ils la placent, persuadés que les nouvelles découvertes (corps et objets connectés, robots, etc.) délivreront l’humanité de toutes ses contraintes. Y compris, dans leurs rêves les plus fous, de la mortalité.

L’ennui est que les dieux ne s’entendent pas sur les affaires humaines.

De l’immortalité, Pascal Picq n’en parle pratiquement pas dans Le nouvel âge de l’humanité. Loin de vouloir jouer le jeu des transhumanistes, le paléoanthropologue leur reconnaît toutefois la qualité de soulever des questions majeures. Son dialogue fictif mené avec une lycéenne d’Afrique nous invite à mettre en perspective notre devenir. Pourquoi l’Afrique ? Parce les humains y partagent une origine commune et qu’étant donné son explosion démographique, le futur de l’Homme pourrait s’y jouer. ” Que l’humanité disparaisse entièrement, je n’y crois pas. Mais qu’une partie de cette humanité soit lourdement impactée, certainement “, nous confie le maître de conférence au Collège de France. ” Le rôle des anthropologues et des sociologues est de contribuer à la compréhension de ce qui se passe dans le monde pour pouvoir construire un nouveau projet de société. Pour l’instant, à l’échelle mondiale, il n’existe pas, on est complètement en panne. ” Comme alourdi par un passé qu’il connaît de mieux en mieux, l’être humain aurait ainsi peur d’agir pour sa survie ? ” Plus une civilisation a du succès, plus elle se repose sur celui-ci. Et plus on a du succès, plus on influe sur notre environnement. C’est là où nous en sommes. Nous vivons dans des environnements dégradés. Serons-nous assez rapides pour nous y adapter ? ”

Et le paléoanthropologue de nous ramener à un minuscule point dans l’histoire de l’humanité. Au cours de son histoire, l’être humain a connu de grands chocs. Le néolithique en fut le majeur, avec notamment des modifications corporelles importantes et l’invention de l’agriculture. Il les a surpassés. D’autres espèces animales aussi. C’est qu’on appelle la coévolution. ” Si nous ne comprenons pas les intelligences animales, dont certaines sont proches de nous (les grands singes, par exemple), nous ne nous en sortirons pas avec les intelligences artificielles. Il y a un vrai travail coévolutif, à réaliser, sans hiérarchiser. ”

Pour y parvenir, Pascal Picq, à l’image de son confrère et ami Yves Coppens, plaide pour une réflexion articulant les sciences humaines et exactes trop souvent ségréguées dans les mondes francophones. ” Le transhumanisme est une affaire de technologie mais aussi de philosophes. ” Les nouvelles technologies comportent de belles promesses. ” Grâce à la fée numérique, il devient possible de libérer les humains de leur condition de chenille bipède encore engluée dans les fils de l’évolution “, écrit-il. Doit-on pour autant les déployer au point qu’elles nous dépassent ? Peut-on croire en la fin des maladies et de la dégénérescence des corps ? Y réfléchir déterminera le monde auquel nous aspirons.

Pascal Picq vulgarise dans cet essai à la fois vertigineux et accessible les clés d’une réflexion qui dépasse les délais politiques et les calculs à moyen terme. Il y a urgence, si l’homme veut rester maître de son destin. S’il veut rester humain, en somme.

Pascal Picq, “Le nouvel âge de l’humanité”, éditions Allary, 336 pages, 22,90 euros.

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