L’hommage d’Eric Plamandon aux Amérindiens de Gaspésie

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“Ma vision de la littérature, c’est que c’est le seul endroit où tu peux avoir la totalité des discours et des points de vue sur un même sujet “, concédait le Québécois Eric Plamandon dans les colonnes de nos confrères de La Presse. Et d’ajouter : “Celaa permet d’en montrer la complexité et de renvoyer le lecteur à cette complexité, de la mettre sur la table, de la faire exister “.

La thématique que l’auteur (désormais domicilié près de Bordeaux) aborde dans son nouveau roman se rapporte à des événements réels qui se sont déroulés en 1981 aux abords de la rivière Restigouche, fleuve canadien mondialement connu pour ses saumons. C’est ce même poisson, dont la pêche est plutôt rock’n’roll, qui donne son titre à ce roman choral étonnant et atypique puisque taqawan est le nom donné au saumon par le peuple amérindien des Mi’gmaq. Pour faire court, cette tribu jetait ses filets dans l’estuaire de la Restigouche grâce à des droits de pêche faisant partie des droits ancestraux octroyés par le gouvernement fédéral. Sauf que le 9 juin 1981, le ministre québécois du Loisir, de la Chasse et de la Pêche Lucien Lessard, piqué par Dieu sait quelle mouche, exigea le retrait des filets.

En peu d’années, la réalité fit du songe prémonitoire un cauchemar pour les uns et une conquête pour les autres.

Comme l’écrit l’auteur en page 28 : ” Le matin du 11 juin 1981, un pilonnage de tambour assourdissant court dans le ciel bleu de la Gaspésie. L’ange annonciateur prend la forme d’un hélicoptère des forces de l’ordre qui ouvre la marche de 300 hommes armés. Casqués, matraques en main, ils avancent sous la bannière de la Sûreté du Québec “. Pas la peine de perdre ses dollars chez une diseuse de bonne aventure pour deviner que ce conflit sera d’une violence et d’une brutalité irrationnelles.

Sachez qu’il n’est pas nécessaire de connaître l’histoire du Québec avec un grand H pour apprécier le récit sec, poétique et implacable de l’auteur de la trilogie 1984. Déjà parce que la lutte pour les droits légitimes et ce combat pour la dignité des Mi’gmaq peut se transposer un peu partout dans le monde et qu’en prime, Eric Plamandon resitue les événements dans le contexte de l’époque.

C’est bien en 1981 ” que Céline Dion a fait irruption dans le Québec des années 1980 “. C’est aussi la même année que Gilles Villeneuve remporte le Grand Prix d’Espagne sur le circuit de Jarama. Et si l’écrivain suit quatre protagonistes – dont Océane, une jeune Mi’gmag savatée par les policiers – qui cristallisent à leur façon la complexité ou l’absurdité du conflit, il distille avec beaucoup d’habileté et de finesse des éléments purement informatifs sans prendre le lecteur pour le dernier des béotiens.

On apprend au détour de chapitres courts que le roi des poissons a déjà été exterminé dans l’Ouest des Etats-Unis, que lorsque le taqawan remonte la rivière, ” il ne se nourrit pas, il fait le plein en mer ” ou que lorsque Cléopâtre allait à la pêche, il était hors de question ” qu’elle rentre bredouille “.

Toutes ces petites informations recontextualisent ce symbole de lutte, de résistance et de survie qu’est le saumon, métaphore parfaite des Amérindiens.

Le récit a beau se rapprocher du thriller par sa forme, Taqawan est au final une magnifique ode à la nature et à la liberté qui ravira les fans de Jim Harrison, Rick Bass ou Tony Hillerman.

” Taqawan “, Eric Plamandon, Quidam éditeur, 208 p., 20 euros.

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