Le “shapership” ou l’art de donner forme au futur

Aline Frankfort et Jean-Louis Baudoin, directrice et " senior partner " de Creative ConsulTeam " Il faut apprendre à naviguer dans ce monde incertain et imaginer des possibilités qui ne sont pas des répétitions du monde d'hier. " © PHOTONEWS

Dans leur dernier ouvrage, Aline Frankfort et Jean-Louis Baudoin proposent un changement de perspectives afin de donner de nouvelles formes à la réalité. Une manière originale d’aborder l’avenir qui devrait interpeller entrepreneurs et managers.

Nous vivons une époque de rupture à de multiples égards. Que ce soit avec l’émergence d’Internet, la chute du mur de Berlin ou encore l’inexorable montée en puissance de la Chine. Sans oublier les enjeux écologiques dont le réchauffement climatique n’est pas le moindre. Autant de défis parmi d’autres auxquels sont confrontés au quotidien managers et entrepreneurs sur fond de grosses incertitudes quant à l’avenir de leur business. Un futur incertain mais également plein de promesses et de nouvelles pistes porteuses de changement bénéfique pour la société et leur société. Tel est le credo d’Aline Frankfort et Jean-Louis Baudoin, développé dans leur livre Shapership. L’art de donner forme au futur. La première est fondatrice et directrice de Creative ConsulTeam ; le second en est senior partner. Depuis plus de 25 ans, ils dispensent leurs conseils en innovation stratégique à de multiples entreprises. ” Nous aidons ces dernières à inventer des futurs possibles, souligne Aline Frankfort. Il faut apprendre à naviguer dans ce monde incertain et imaginer des possibilités qui ne sont pas des répétitions du monde d’hier. Nous ne faisons pas de prédictions mais proposons des hypothèses. ”

De la résistance créative à…

” Pour partir en voyage dans l’inconnu, il faut débloquer les peurs, ajoute Jean-Louis Baudoin. Et l’inverse de la peur, c’est le désir. ” C’est dans cet esprit que s’inscrit le concept que les auteurs ont développé et qu’ils ont nommé shapership. Il s’agit de l’art de transformer la réalité et lui donner de nouvelles formes. Le concept associe, d’une part, le verbe to shape au sens de donner une forme comme on taille un diamant, et d’autre part, le leadership, pris ici dans le sens de ” mener à bien une initiative “. ” Mais le shapership n’est ni le leadership, ni l’ entrepreneurship, précisent-ils. Même s’il existe bien entendu des liens et si des enrichissements croisés sont possibles. Le shapership ouvre des perspectives plus appropriées pour nous permettre de naviguer dans le monde tel qu’il devient. ” Ce qui est important également, selon eux, est que ” dans le monde hyper connecté d’aujourd’hui, il ne faut pas obligatoirement avoir un ‘titre’ ou une ‘position de leader’ pour réaliser des choses importantes et avoir un impact durable sur la société. Bref, il ne faut pas être quelqu’un ‘d’important’ pour prendre position. ”

Trois éléments constituent l’ADN du “shapership” : la résistance créative, la vision transformatrice et l’expérimentation anticipatrice.

Trois éléments constituent l’ADN du shapership : la résistance créative, la vision transformatrice et l’expérimentation anticipatrice. Ils génèrent ce qu’Aline Frankfort et Jean-Louis Baudoin ont baptisé ” The Altitude Attitude “. Abordons plus spécifiquement ces trois éléments. Premièrement, la résistance créative qui est le grand ” non “. ” Tout commence par une manière de voir ce qui est, de regarder la réalité en face et de ressentir un ‘non’ sincère et profond vis-à-vis d’une situation considérée comme acquise et normale par une vaste majorité de personnes. Les shapers sentent le besoin de quelque chose d’autre. Le statu quo doit être challengé. La résistance créative génère un mouvement disruptif. ” C’est une résistance aux clichés, habitudes, aux vieux principes, à la sagesse conventionnelle et plus largement à des suppositions du genre ” c’est la seule et la meilleure manière de faire “. Aline Frankfort demande régulièrement à ses clients de réfléchir aux choses de leur vie auxquelles ils disent non et à celles auxquelles, ils disent oui. Faites l’exercice, il est instructif. Car il ne suffit pas de dire non à quelque chose, encore faut-il aussi dire oui à autre chose. Comme le rappelle le futurologue américain Buckminster Fuller, cité dans l’ouvrage, ” on ne peut jamais changer les choses en combattant la réalité existante. Pour réussir un changement, construisez un nouveau modèle qui rend le modèle existant obsolète “.

Aline Frankfort et Jean-Louis Baudoin,
Aline Frankfort et Jean-Louis Baudoin, “Shapership, l’art de donner forme au futur “, éditions Universitaires Européennes, 140 pages, 34,90 euros.

… l’expérimentation anticipatrice

Dire oui nous amène à la deuxième étape : la vision transformatrice ou le grand ” oui “. ” C’est une manière de regarder ce qui pourrait être : une reconstruction créative de la réalité, au-delà des ego qui génèrent une histoire du futur. La vision que les shapers formulent et incarnent réoriente totalement la manière dont les gens donnent du sens à la réalité et à ce qui est possible. Elle ouvre de nouvelles pistes vers le futur qui devient alors la cause du présent, une cause que les gens veulent défendre et servir. ” Cette vision est, par exemple, celle du chirurgien ophtalmologue indien Govindappa Venkataswamy, plus connu sous le nom de docteur V, qui a été exprimée en quelques mots : ” éliminer la cécité inutile parmi les populations pauvres du pays “. ” La réalité à laquelle il est confronté en Inde est terrible : 12 millions de personnes sont atteintes de cécité et 80 % de ces dernières sont ‘inutiles’, c’est-à-dire qu’elles pourraient évitées par la prévention et des soins appropriés “, explique Aline Frankfort.

Il décide alors de fonder un hôpital pour soins ophtalmiques, Aravind. C’est le troisième élément : l’expérimentation anticipatrice qui entre en mouvement. ” Il s’agit d’explorer créativement. Une vision transformatrice exige des approches et des actions transformatrices cohérentes. Les shapers inventent le chemin vers une nouvelle réalité, souvent en réinventant les approches traditionnelles. L’expérimentation anticipatrice se fait au travers de la collaboration et de la cocréation, avec un formidable écosystème de partenaires. ” Dans le cas du docteur V, il s’agissait de bâtir un écosystème contre la cécité inutile. En 1976, lorsqu’il démarre Aravind, il ne dispose que de 11 lits. Son inspiration est McDonald’s. Si l’on peut délivrer le même hamburger partout dans le monde, il doit être possible de former les gens et d’offrir une chirurgie ophtalmique de qualité à tous ceux qui en ont besoin dans le monde. Aujourd’hui, le système Aravind permet d’assurer chaque année 2,5 millions de visites de patients et 300.000 opérations chirurgicales.

“Shapership” et entreprise

Outre le docteur V, le livre donne de multiples exemples de shapers parmi lesquels on peut pointer Maria Montessori (nouvelles formes d’éducation), Martin Luther King (nouveau rêve d’égalité raciale et sociale), Muhammad Yunus (nouvelle économie via le microcrédit), Ricardo Semler (démocratie industrielle), Rob Hopkins (mouvement des villes en transition) ou encore Michel Onfray (université populaire). Autant de cas qui permettent de mieux appréhender le concept de shapership. Un concept qui peut également se décliner au sein de l’entreprise. Les auteurs pointent toutefois trois transformations ( shifts) indispensables pour passer d’un ” ego-système ” à un écosystème : le shift des émotions (passer de la peur et du fatalisme au courage et à l’optimisme), le shift de la réflexion (passer de la pensée linéaire et cartésienne à la pensée complexe et créative) et le shift des intentions (passer de la critique et de la préservation de la situation au désir de créer de nouvelles possibilités). ” Comme disait le philosophe français, Henri Bergson, ‘le possible est plus riche que le réel’ “, concluent les auteurs.

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