Lorsqu’un conseil en investissement s’avère une escroquerie

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Des victimes d’organisations criminelles qui se font passer pour des sociétés d’investissement se confient. Ne les blâmons pas: personne n’est à l’abri.

” Vous avez trop d’argent ? Pensez à moi ! “, s’est vu répondre il y a quelques mois la victime d’une fraude à l’investissement par un policier auprès de qui elle souhaitait déposer plainte. L’agent s’est ouvertement réjoui d’apprendre que son interlocuteur s’était fait escroquer de 175.000 euros dans le cadre de ce que l’on appelle une fraude boiler room (pour ” bouilloire “), qui consiste à exercer des pressions de plus en plus intenses sur l’investisseur pour qu’il place des sommes toujours plus importantes.

” La réaction de ce policier est inqualifiable, s’indigne Geert Lenssens, avocat et auteur de l’ouvrage intitulé Belogen en bedrogen, consacré aux arnaques. Il est urgent de faire évoluer les mentalités au sein du public. La société n’a aucune compassion à l’égard des victimes de fraude à l’investissement. A tort : les personnes ainsi flouées sont traumatisées ; elles perdent non seulement leur dignité, mais aussi leur sécurité d’existence. ”

Cette victime n’accepte de témoigner que sous le couvert de l’anonymat. ” J’ai honte. C’est compréhensible…, confie- t-elle. Je veux bien que vous racontiez mon histoire dans votre magazine, mais pas en y mentionnant mon nom et ma photo. ” Elle a une autre raison encore de se montrer discrète : les menaces dont elle a fait l’objet après avoir osé traiter, par téléphone, l’organisation de criminelle. ” Si nous étions une organisation criminelle, ne pensez-vous pas que nous vous enverrions quelqu’un pour vous imposer le silence ? Nous avons votre adresse “, a rétorqué son interlocuteur. C’est la raison pour laquelle nous appellerons notre témoin Monsieur X.

C’est par le biais du site internet Reddit que Monsieur X est récemment entré en contact avec trois autres victimes du même système de fraude. Toutes avaient été appelées sur le numéro de leur société, ce qui suggère que les escrocs visent les entrepreneurs. Un banquier indépendant belge, victime d’à peu près la même mésaventure que Monsieur X, n’ose même pas témoigner de façon anonyme, de peur d’être reconnu et d’entacher sa réputation.

” Ne croyez surtout pas que seuls les gens stupides se font avoir : on compte parmi les victimes des avocats, des ingénieurs, des médecins et d’autres diplômés encore, avertit Geert Lenssens. Cette perception tronquée engendre une stigmatisation, qui décourage les témoignages. C’est exactement ce sur quoi comptent ces bandes organisées. ”

” Elles misent également sur la méfiance que ressent une grande partie de la population à l’égard des banques classiques, soupire la victime d’une autre organisation encore. Elles prétendent que ces dernières engrangent des milliards au détriment de leurs clients ; elles affirment que, contrairement aux banques, elles ne conservent pas les bénéfices, mais en font profiter le consommateur. Elles ont réponse à tout. ”

Coup de téléphone inattendu

Quand nous le rencontrons, Monsieur X est vêtu d’un costume sur mesure. C’est un as de l’informatique, pas vraiment des investissements. Jusqu’ici, il s’est surtout attelé à faire prospérer sa société, dans laquelle il a réinvesti tout son argent. Sa mésaventure commence le 7 octobre 2016, lorsqu’il reçoit l’appel d’un vendeur de la société Orix Capital Trading.

” Il parlait un anglais impeccable, prétendait travailler pour un gestionnaire de fortune japonais. Il était parfaitement crédible, se souvient Monsieur X. Il avait accès à des informations qui n’avaient pas encore été dévoilées. Google aurait eu l’intention de faire une offre sur une entreprise située à Hong Kong, cotée au Nasdaq, appelée Phoenix Satellite Television Holdings. L’offre allait immanquablement entraîner une multiplication par deux, voire plus, de la valeur des actions. ”

Il a fallu cinq mois à la plainte pour arriver au parquet.” Monsieur X

Heureux que ces informations exclusives lui tombent du ciel, Monsieur X verse un peu plus de 10.000 euros sur un compte ouvert à Hong Kong. Quelques semaines plus tard, il apprend que son investissement a doublé de valeur et qu’il a à présent l’opportunité de céder ses titres, pour réinvestir les fonds dans une affaire qui lui rapportera plus encore. Son contact prétend vouloir engager une relation à long terme et lui recommande pour cette raison de se contenter de prendre son bénéfice, tout en réinvestissant systématiquement son apport initial chez Orix Capital Trading.

200 % de gain

Cette nouvelle opportunité est elle aussi située à Hong Kong. Il s’agit de l’entreprise Lithium Energy Technology, alors sur le point, affirme son interlocuteur, d’entrer en Bourse. Lithium Energy Technology développe la prochaine génération de batteries. Monsieur X peut espérer réaliser très vite un bénéfice de 200 %. Il n’y a qu’une seule difficulté : les actions ne peuvent être vendues que par blocs de 200.000 euros. Mais comme le hasard fait bien les choses, un autre client d’Orix Capital Trading se dit disposé à investir lui aussi, de sorte qu’il suffit à Monsieur X de mettre, en plus de son apport initial, 60 000 euros sur la table.

” J’ai hésité, avant de décider de verser l’argent, fin octobre, admet Monsieur X, qui reçoit alors par courriel un certificat attestant qu’il est propriétaire d’actions Lithium Energy Technology. J’ai fait quelques recherches sur Internet. L’entreprise dispose d’un site ; tout semblait parfaitement professionnel. ”

Trois semaines plus tard, on fait croire à Monsieur X que le client en compagnie duquel il a investi est en faillite et a un urgent besoin d’argent. On lui propose donc de racheter, moyennant décote, les actions que ce client détient dans Lithium Energy Technology. Comme il ne réagit pas tout de suite, son contact, un certain Steve Rogers, l’avertit qu’il risque de tout perdre. Acculé, Monsieur X verse 105.000 euros.

Au même moment, il apprend qu’Orix Capital Trading passe dans l’escarcelle de Sino Link Japan. Michael Richmond, senior vice president de Sino Link Japan, lui adresse une brève lettre d’explications. Monsieur X trouve sur Internet plusieurs articles qui qualifient Michael Richmond de sommité. Mais au cours de la deuxième semaine de décembre, il tombe sur un avertissement publié par l’AFM, l’autorité des marchés financiers néerlandaise, qui révèle qu’Orix Capital Trading se livre probablement à une fraude boiler room et recommande aux consommateurs de ne surtout pas s’y fier. Monsieur X commence à se demander dans quel piège il est tombé.

Steve Rogers multiplie alors les excuses pour expliquer pourquoi Monsieur X n’a pas encore touché son bénéfice. ” Un des dirigeants de Lithium Energy Technology aurait eu des problèmes familiaux, ce qui aurait retardé l’introduction en Bourse, relate Monsieur X. Les vacances de Noël étaient proches, d’où l’obligation de reporter toute l’opération à la mi-janvier. ” Au cours de la troisième semaine du mois de janvier, notre témoin est averti par téléphone que les choses avancent enfin.

” Mais pour récupérer mon argent, voilà qu’il me fallait payer une sorte de garantie, représentant 40 % de mon investissement, à une banque de dépôt, relate-t-il. Cette condition n’avait jamais été évoquée, de sorte que j’ai refusé. Ils ont tenté de me faire croire qu’il s’agissait d’une procédure habituelle. Après moult discussions, la banque a diminué la caution à 7,5 %, mais n’a jamais pu, ou voulu, l’annuler. Je n’ai pas payé, et j’ai continué à réclamer mon argent. Ils ont prétendu chercher une solution, mais je ne vois toujours rien venir. ”

La société n’a aucune compassion à l’égard des victimes de fraude à l’investissement.” Geert Lenssens, avocat

Police

C’est là, seulement, que le chemin de croix de notre témoin commence. Il prend contact avec la Hang Seng Bank, l’établissement hongkongais qui gère le compte sur lequel il a effectué les paiements. La banque lui répond qu’elle ne peut rien faire sans un ordre de police. Quelques heures plus tard, Sino Link Japan lui demande par téléphone pourquoi il salit sa réputation auprès de sa banque. Monsieur X a la désagréable impression que ces deux institutions sont de mèche.

Le 2 février, il fait intervenir la police de Hong Kong. Il mandate un avocat local, à qui il paie plusieurs milliers d’euros. L’avocat prétend qu’il a 50 % de chances de récupérer une partie des fonds. Las ! D’après la police, le compte est vide et il n’y a rien à saisir. L’avocat ajoute qu’il serait vain de vouloir poursuivre la direction de Lithium Energy Holding, qui n’a pas davantage de répondant. S’il souhaite néanmoins aller plus loin, il lui en coûtera plusieurs centaines d’euros d’honoraires par heure.

Monsieur X s’adresse également à la police belge, dont il constate qu’elle ne le prend pas au sérieux. Il faut cinq mois, et de nombreux coups de téléphone à la police comme au parquet, pour que sa plainte arrive sur le bureau d’un magistrat. ” Cela ne fait clairement pas partie de leurs priorités “, soupire Monsieur X. Il écrit au FBI et à la Securities and Exchange Commission (SEC), l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers, et se rend à l’ambassade américaine en Belgique, parce que les courriels provenaient d’un serveur situé à Boston. Enfin, il s’adresse à la FSMA, qui diffuse, le 5 avril, un avertissement consacré à Sino Link Japan.

Recherche d’autres victimes

Selon Geert Lenssens, la police et le parquet n’ont tout simplement pas les moyens et le personnel suffisants pour enquêter sur les organisations criminelles internationales à l’origine de telles fraudes. ” Si l’on parvenait à recenser toutes les victimes de fraude à l’investissement de par le monde et que l’on en publiait le nombre, personne ne le croirait : il s’agit d’une mafia financière aussi importante que la mafia au sens classique du terme, à ceci près qu’elle est beaucoup plus difficile à appréhender. Il est totalement inutile de déposer plainte auprès de la police locale ; et, pour les victimes individuelles, de faire intervenir un avocat. ”

Le mieux, ajoute Geert Lenssens, est de rassembler autant de victimes que possible pour réunir, ensemble, suffisamment de moyens pour se constituer partie civile. ” Le juge d’instruction va leur demander de participer financièrement à l’enquête, précise l’avocat. Il a beaucoup plus de pouvoir que le ministère public. Il peut ordonner une commission rogatoire, de manière à faire procéder à des devoirs d’enquête, voire à des saisies, à l’étranger. C’est à partir de là seulement que les plaignants auront une chance de récupérer une partie de leur argent. La police et les parquets belges devraient se voir accorder beaucoup plus de moyens, et pouvoir bénéficier de formations spécialisées. Et ce serait mieux encore si l’on pouvait mettre sur pied un parquet européen doté d’une section financière. ”

Les escrocs misent sur la méfiance que ressent une grande partie de la population à l’égard des banques classiques. ” Geert Lenssens, avocat

” La collaboration internationale est possible à partir du moment où le parquet ou le juge d’instruction ordonne une commission rogatoire, expose Edward Landtsheere, porte-parole du SPF Justice. La fraude boiler room est toujours internationale, ce qui complique les enquêtes. Reste qu’Europol peut intervenir et qu’elle a déjà permis à certains dossiers d’aboutir, y compris en Belgique. La police locale se charge de l’accueil de première ligne : c’est vers elle que doivent se tourner les citoyens qui veulent signaler un délit. Il est également possible de s’adresser au procureur du Roi directement, ou de se constituer partie civile (auprès du juge d’instruction, dans ce cas). Cette dernière solution coûte environ 250 euros mais elle n’est pas impérative, car le procureur du Roi peut lui aussi faire procéder à des devoirs d’enquête à l’étranger. ” Plus longtemps les escrocs échappent à la justice, plus ils affinent leur stratégie et plus ils s’équipent d’outils qui les rendent crédibles, comme des sites internet, des brochures, des annonces et des articles qui parlent d’eux.

Eternel recommencement

La technique à laquelle recourt la fraude boiler room n’est pas neuve, tant s’en faut. Il y a 10 ans, deux Néerlandais avaient été accusés d’une escroquerie de même type, qui avait fait des victimes jusqu’en Belgique. L’un de ces Belges tente d’expliquer pourquoi il s’est laissé duper.

” J’ai d’abord reçu un fax au travail, qui faisait état d’une opportunité d’investissement dans la société Adrentacar, spécialisée dans la location de petites cylindrées en Espagne. Adrentacar vendait des espaces publicitaires à poser sur ses voitures et ces revenus supplémentaires lui permettaient d’être très concurrentielle sur son marché. J’ai réellement cru dans ce concept, dans lequel j’ai investi une somme modique : 4.000 euros. Ils m’ont ensuite appelé pour me dire que l’action avait grimpé mais que comme j’avais été parmi les premiers à réagir, ils m’offraient l’opportunité d’investir une seconde fois, moyennant décote. J’ai à nouveau mordu à l’hameçon, cette fois pour 8.000 euros. ”

A l’époque, les certificats d’actions étaient envoyés par la poste, pas par courriel. Pour le reste, les deux récits sont très similaires. ” Je ne me crois pourtant pas particulièrement naïf, explique notre interlocuteur. J’ai une solide dose de bon sens, mais je pense que je me suis montré trop cupide et que je n’ai vu que ce que j’avais envie de voir. ”

Les techniques et les discours auxquels ont recours les fraudeurs sont abondamment décrits sur les sites internet des autorités de surveillance. La fraude à l’investissement est régulièrement dénoncée. Mais les victimes sont toujours aussi nombreuses.

Trends-Tendances connaît l’identité des victimes, lesquelles aimeraient entrer en contact avec d’autres pour pouvoir unir leurs forces. Les personnes qui ont eu affaire aux escrocs évoqués ici, ou à d’autres, peuvent se manifester à l’adresse moneytalk@moneytalk.be.Nous leur garantissons la plus totale discrétion.

De plus en plus de plaintes

Quarante-cinq victimes de fraude boiler room se sont adressées à la FSMA au cours des quatre premiers mois de l’année. Si la tendance se confirme, le nombre de dossiers sera beaucoup plus élevé que l’an passé. En 2016, la FSMA a enregistré 94 plaintes ; en 2015, 78. Les victimes ont-elles décidé de sortir de l’ombre ? La FSMA leur paraît-elle désormais plus accessible ? Ou ces organisations font-elles de plus en plus de ravages ?

Entre janvier et avril, la FSMA a publié 23 mises en garde, destinées à faire savoir au grand public que ces organisations n’étaient pas agréées pour vendre des produits d’investissement en Belgique. Elle transmet par ailleurs au parquet chacun des dossiers au sujet desquels elle diffuse un avertissement.

“Le caractère international de la fraude rend les recherches difficiles : les escrocs sont domiciliés à une adresse fictive dans un pays, visent des consommateurs situés dans un autre Etat, et font virer les fonds ailleurs encore, énumère Jim Lannoo, le porte-parole de la FSMA. Mais il est déjà arrivé, notamment en Grande-Bretagne, que la police mette la main sur les auteurs d’un réseau boiler room.”

Sept signaux qui doivent vous alerter

1. Méfiez-vous des appels téléphoniques et des courriels qui vous proposent d’investir.

2. Méfiez-vous des vendeurs qui utilisent un jargon incompréhensible, pour ne vous faire finalement qu’une seule offre concrète. Il s’agira souvent d’investir dans une entreprise ou un fonds inconnu, situé dans un pays lointain.

3. Les promesses d’investissement très rentable et sans risque sont peu crédibles. Lorsqu’une proposition est trop belle pour être vraie, c’est qu’elle ne l’est effectivement pas. Il est fréquent que les escrocs annoncent des bénéfices mirobolants, mais fassent des difficultés dès qu’il s’agit de payer. Freinez des deux pieds s’ils vous demandent de vous acquitter d’une garantie supplémentaire, d’une taxe ou de n’importe quoi d’autre pour pouvoir récupérer votre argent.

4. Vous êtes invité(e) à verser de l’argent sur un compte ouvert dans un pays avec lequel la société d’investissement n’a rien à voir ? La transaction n’est sans doute pas très catholique…

5. Sachez qu’il sera très difficile, voire impossible, de faire intervenir la justice en cas de conflit avec une société d’investissement située dans un pays non membre de l’Union européenne, comme Hong Kong ou le Cap-Vert. Vous aurez toutes les difficultés du monde à en retrouver ne serait-ce que l’adresse exacte.

6. Aucune société ne peut distribuer des produits d’investissement en Belgique sans y être dûment autorisée. La FSMA publie sur son site internet une liste de “prestataires de services financiers”. Il n’est pas rare que les escrocs produisent de fausses licences, prétendument obtenues à l’étranger, ou qu’ils se présentent sous le nom d’une société réellement agréée. Ne les croyez jamais sur parole. Consultez l’autorité de surveillance du pays où la société a son siège.

7. Les autorités de surveillance belge et étrangères, de même que l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), leur organisation faîtière, publient régulièrement des mises en garde à propos de sociétés d’investissement véreuses. Le site internet de la FSMA affiche une liste de “sociétés irrégulièrement actives sur le territoire belge”, qui explique dans les grandes lignes de quoi il retourne. Ces organisations changeant régulièrement de nom, cette liste est par définition incomplète.

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