” j’ai expliqué snapchat au ceo d’axa “

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Le ” reverse mentoring “, c’est un peu le monde de l’entreprise à l’envers. L’employé est le prof, le manager l’élève. Cette formule innovante est devenue, en peu de temps, un passage obligé pour de nombreuses entreprises désireuses de passer le cap de la transformation digitale sans encombre. Plongée dans une expérience jugée par tous très enrichissante.

La légende veut que le reverse mentoring ait été inventé par Jack Welch, l’ancien CEO de General Electric. Au début des années 2000, il a ordonné à ses 500 plus hauts managers de se trouver un jeune employé pour apprendre à utiliser Internet. Il faudra attendre une dizaine d’années et l’avènement du digital, des smartphones et des réseaux sociaux dans le monde de l’entreprise pour que ce mentorat inversé devienne extrêmement populaire. Depuis, de nombreux CEO sont sortis du bois pour vanter les mérites de cet apprentissage pas comme les autres : Isabelle Kocher ou Gérard Mestrallet chez Engie, Henri de Castries chez Axa, etc. Et le nombre de grandes entreprises qui le pratiquent ne cessent de grandir : BNP Paribas Fortis, Orange, Danone, etc.

Dans le reverse mentoring, il n’y a ni élève, ni prof. Mais un mentor, un jeune digital native habitué aux nouvelles technologies et aux médias sociaux, et un mentee, un directeur, un CEO ou un top manager. L’idée de base est d’abord de familiariser aux réalités digitales actuelles. ” Dans un secteur de l’énergie en pleine transition, Engie développe une stratégie axée notamment sur la digitalisation des solutions que nous voulons offrir à nos clients, explique Anne-Sophie Hugé, porte-parole d’Engie Electrabel. Cela suppose des investissements mais aussi la formation du personnel, y compris les dirigeants qui prennent les décisions au niveau stratégique. Le reverse mentoring a été lancé en projet pilote en 2013. Notre CEO, Philippe Van Troeye, en a fait partie. Ce projet était axé sur les médias sociaux. En 2015 et 2016, trois vagues de formations en reverse mentoring ont été lancées en ajoutant aux médias sociaux, le big data, le blockchain, l’Internet des objets, etc. Ce programme permet de profiter au maximum des compétences en interne et de créer des communautés transversales qui vont contribuer à notre transformation digitale. Le reverse mentoring est un vrai succès au niveau du groupe avec plus de 300 mentors et mentees ! ”

Première bancaire

Cette digitalisation du métier et de la relation avec les clients se marque très fort au niveau bancaire. Elle suppose non seulement de rencontrer les besoins dudit client en termes de communication mais aussi de changer l’état d’esprit des employés. Chez BNP Paribas Fortis, on l’a bien compris. L’automne dernier, le département RPB (retail & private banking) de la banque, a lancé son programme de reverse mentoring, une première pour la banque belge. ” Le contact avec le client, je le compare à une pièce montée, explique Willy Puttemans, chief transformation officer. Il y a trois niveaux : le digital 24 h sur 24 et sept jours sur sept grâce aux applis, à l’easy banking web ou aux automates dans les agences. Ensuite, le digital avec une touche humaine comme le contact center et enfin, le face-à-face en agences. Le client choisit le point de contact qui lui convient le mieux. Nos collaborateurs en agence doivent pouvoir expliquer ces trois couches aux clients. Je comprends la réticence de certains qui pensent que le digital va mettre leur job en danger. Mais le monde change, la banque doit donc changer, l’ADN de nos collaborateurs aussi. Le management doit montrer l’exemple. S’il n’est pas convaincu, comment va-t-il convaincre en retour ses troupes ? En septembre à l’occasion de notre Management Community Day, le Top 120 des managers du RPB a lancé un programme de reverse mentoring. ”

Le RPB représente plus de 6.000 employés chez BNP Paribas Fortis. C’est donc une partie importante de la banque, d’autant plus que c’est celle qui gère les contacts avec la clientèle. C’est aussi un beau réservoir de compétences. Deux mois après le lancement officiel, 120 binômes ont été formés. Les 120 top managers ont été, grâce à des questionnaires ad hoc, mis en relation avec 120 mentors.

Deux vagues, un ” cooc ” et six modules

Chez Axa, le reverse mentoring fait partie intégrante du plan de transformation digitale 2020. Il intègre une nouvelle façon de travailler destinée à rendre le job indépendant du temps et de l’endroit. Le télétravail, deux jours par semaine, et les réunions via Skype sont devenus la norme et les besoins en digital de plus en plus accrus. ” La France a initié le reverse mentoring en juillet 2014, confie Rachel Coudray qui, au sein du département learning & development, pilote le projet chez Axa. Deux vagues ont été lancées en Belgique en 2015. Puis en 2016, nous avons lancé un cooc(corporate online open course, Ndlr) appelé ‘Do you speak digital ? ‘. Il proposait six modules à tous les employés avec des thèmes comme les médias sociaux, la recherche et la sécurité sur internet, etc. En ce début d’année, nous relançons une vague de reverse mentoring. Nous sommes dans la phase de sélection et de constitution des binômes. Les top managers ne doivent pas appartenir à la direction de leurs mentors pour favoriser le brassage mais aussi pour éviter de parler du service. La formation des mentors devrait avoir lieu en février ou au début mars. ”

Des formations ad hoc

L’une des particularités du reverse mentoring est son côté intime. Les sessions se déroulent en face-à-face. Pour une raison toute simple : il n’est pas toujours aisé pour un directeur de reconnaître ses faiblesses en public ou face à une assemblée de pairs. L’esprit de compétition risque d’apparaître. Quand ce n’est pas une absence totale de participation de peur d’avoir l’air ridicule. Clairement, pour apprendre, il faut laisser son ego à la porte. Pour autant, pas question de lancer les mentors sans une formation ad hoc.

” Nous avons reçu une journée de formation, explique Ihsane Haouach, pricing engineer chez Engie Electrabel. Nous avons réalisé des mises en situation. Les mentors de la vague précédente animaient les sessions. Ils ont partagé leurs expériences, les façons de mettre les mentees en confiance et de rendre la discussion informelle, pas comme un vrai cours. J’aime l’idée que les mentees se manifestent pour ce genre de programmes. Le grand mérite leur revient. On leur demande de sortir de leur zone de confort, de suivre les conseils de quelqu’un de plus jeune, de libérer du temps et d’adopter une démarche d’humilité. Franchement, pour nous, c’est du fun ! ”

” S’adapter aux besoins de son mentee est crucial, renchérit Marine Vastesaeger, executive assistant de Dirk Beeckman, directeur P&C Retail chez Axa Belgium. Les bonnes pratiques apprises en formation ? Etre concis et précis, ne pas arriver en retard, etc. Ce programme est un vrai changement de paradigme. La connaissance n’est pas l’apanage des anciens. C’est bien que des jeunes puissent occuper le devant de la scène et apporter une forte contribution à la transformation de l’entreprise. En outre, cela nous permet de nous rapprocher du top management dans un environnement sécurisé. Pas de projet à présenter ou à défendre cette fois… ”

Twitter et Snapchat

Chez Axa Belgium, Marine a déjà deux mentees à son actif : Koen Lukasczyk, chief talent & employee experience et… Jef Van In, le CEO.

” En fait, il était à l’époque le CEO d’Axa Banque. Il a vu les résultats du programme dans l’assurance et il a eu envie de l’appliquer aux membres du comité exécutif de la banque. En tant que mentor, je leur ai présenté le programme. A la sortie de la réunion, Jef Van In m’a demandé d’être son binôme. ” Marine Vastesaeger a-t-elle donc formé le CEO d’Axa Belgium au digital…? ” Je n’irais pas jusque-là. Il s’y connaissait déjà pas mal. En fait, il utilisait déjà Twitter et Facebook mais désirait en connaître les subtilités. Nous avons beaucoup discuté de Twitter. De l’importance des mots, du langage, des sujets. Sans oublier la réputation : en tant que CEO d’une entreprise, aimer tel ou tel humoriste n’est plus innocent. Il voulait aussi savoir comment fonctionnait Runtastic. Et je lui ai expliqué Snapchat et les photos que l’on ne peut voir que quelques secondes ou 24 heures dans les stories. ”

Chez BNP Paribas Fortis, Willy Puttemans, chief transformation officer, et Dimitri Buggenhout, coordinateur du réseau d’agences, n’en sont qu’au début de leur expérience en binôme. ” J’ai un iPad et un iPhone mais je ne suis pas un native, explique Willy Puttemans. Je découvre beaucoup de choses encore. Je fais déjà du mentoring entre collègues quand je ne sais pas utiliser une appli comme, récemment, celle qui gère les places dans nos parkings. Une de mes préoccupations concerne les médias sociaux. Quid des conséquences si je tweete ou poste tel ou tel message sur Facebook ? J’attends de Dimitri qu’il m’aide à améliorer mes connaissances et réflexes digitaux comme l’utilisation intelligente des réseaux sociaux et m’ouvre à d’autres applis liées à la vie quotidienne. Dans les 120 top managers, je ne crois pas qu’il y ait un king du digital. ” ” Vous n’êtes pas des ignares du digital tout de même, poursuit Dimitri Buggenhout. Le problème, en fait, n’est pas tant la connaissance des applis ou des médias sociaux. Il s’agit davantage d’apprendre à gérer l’utilisation au quotidien et se rendre compte des services qu’ils rendent pour nous faciliter la vie et du plaisir qu’on peut en retirer. Notre première rencontre avec Willy a été importante pour établir la relation et fixer le programme. Comme je donne déjà des formations au digital dans le cadre de mon job, j’ai évidemment accepté tout de suite de participer au programme. Le reverse mentoring va permettre à nos managers de se rendre compte de l’importance du digital pour les jeunes, notamment en termes d’attractivité d’une entreprise. ”

D’autres priorités

A 38 ans, Laurent Winnock, directeur de la communication chez Axa, n’est pas un dinosaure et pourtant, il se sentait déjà déconnecté en termes de médias sociaux et d’activation. Sa session de reverse mentoring l’a amené à avoir d’autres priorités. ” Axa vit un véritable changement culturel et je voulais vraiment y coller et, aussi, montrer l’exemple en tant que chef. J’ai appris beaucoup, même à 38 ans. Comment avoir plus d’influence sur Twitter ? Comment bien choisir ses hashtags ? Nous avons beaucoup travaillé sur la vidéo, très importante aujourd’hui pour l’engagement des followers ou pour entamer une conversation. Avant, les médias sociaux n’étaient qu’un aspect de mon travail. Ils arrivaient en bout de course quand je faisais mes choix de communication. Aujourd’hui, je les intègre de suite ! Et ce que j’ai appris, je m’en sers aussi pour la communication du Comité exécutif ou lors de mes réunions à la commission de communication de la FEB. ”

Chez Engie Electrabel, Ihsane Haouach est le mentor de Jan De Smet, head of customer service and operational processes B to C & B to B. Une relation de vraie complicité s’est nouée au point que huit réunions ont déjà eu lieu en peu de temps. ” Le contact a été très facile, explique- t-elle. Jan a été génial. Il n’a jamais annulé la moindre réunion. Et nous avons de vrais échanges d’enrichissement mutuel. Nous nous sommes beaucoup focalisés sur Twitter. Aujourd’hui, Jan tweete une fois par jour. La première fois, il est resté quasi une demi-heure avec le doigt sur ‘enter’ ! Un tweet sur son club de tennis, pas très suivi. Pas une importance stratégique fondamentale, donc (rires…) ” ” C’était mon premier tweet, important pour la postérité, poursuit Jan De Smet. J’ai pris ces sessions comme une leçon de piano avec des gammes à réaliser entre les réunions. Au début, j’étais un vrai immigré digital. J’avais besoin d’un vécu personnel pour comprendre les interactions au travers des différents médias sociaux et envisager les possibilités futures. Le digital est un élément important dans mon job et dans les métiers que je chapeaute. Je ne dois pas connaître tous les canaux, ni toutes les applis mais je dois m’y montrer ouvert et les comprendre. Par exemple, la dématérialisation de la facture autorise une nouvelle dynamique vers le client, avec pourquoi pas un jour, l’ouverture d’une session de messenging d’un seul clic sur le mail en cas de question ou de problème. Il est donc important que je comprenne tout cela. Une société comme la nôtre, leader belge de l’énergie, ne peut pas être trop lente dans l’apprentissage des nouvelles voies de communication, sous peine de se voir dépassée par un pure digital player. ”

XAVIER BEGHIN

L’une des particularités du mentoring inversé est son côté intime. Les sessions se déroulent en face-à-face.

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