En visite dans l’impériale Saint-Pétersbourg

Durant la Coupe du monde, une fan zone sera aménagée à proximité de la cathédrale Saint-Sauveur- sur-le-Sang-Versé. © Getty Images/iStockphoto

Inspirée d’Amsterdam et Venise, la capitale des tsars a retrouvé toute sa splendeur. C’est la bonne saison pour visiter le plus européenne des villes russes, qui sera l’hôte de la demi-finale du Mondial qui opposera, ce soir, les Diables Rouges à l’équipe de France.

Un delta de la Neva, une quarantaine d’îles, et par-dessus, une ville somptueuse. Fondée en 1703 par le tsar Pierre le Grand, Saint-Pétersbourg compte près de 400 ponts. Piétonniers, comme ceux qui enjambent les trois canaux qui découpent le centre-ville. Grandioses, comme le pont de la Trinité, perché au-dessus du majestueux fleuve, et jumeau du pont Alexandre III de Paris. Et puis, tous ces noms évocateurs : pont aux Lions, pont Egyptien, pont Bleu, pont Rouge, pont de la Banque (avec ses griffons ailés), pont aux Baisers… Certains se lèvent chaque nuit pour permettre le passage des cargos, un spectacle encore plus magique durant les nuits blanches, de début juin à la mi-juillet, quand la ville reste baignée d’un halo de lumière jusqu’au petit matin.

Une “fan ID” permettra aux supporters de football d’entrer en Russie sans visa.

Malgré son jeune âge, l’ancienne capitale des tsars a déjà changé trois fois de nom : rebaptisée Pétrograd de 1914 à 1924, elle est devenue Léningrad (ville de Lénine) de 1924 à 1991, avant de retrouver son nom d’origine en 1991. Son berceau se trouve à la forteresse Pierre-et-Paul, où l’on peut arpenter les remparts, visiter la jolie cathédrale du même nom et même lézarder sur une miniplage, avec vue directe sur le musée de l’Ermitage, de l’autre côté de la Neva. Les jours ensoleillés ne sont pas si fréquents, et il faut profiter de chaque rayon, comme le fait ce senior musclé aperçu en maillot de bain, debout et immobile le long des murailles qui semblaient lui réchauffer divinement le dos.

Le musée de l'Ermitage contient tant d'objets (3 millions, dit-on) que si on restait une minute devant chacun d'eux, on y passerait près de six années.
Le musée de l’Ermitage contient tant d’objets (3 millions, dit-on) que si on restait une minute devant chacun d’eux, on y passerait près de six années.© ISTOCK

Aussi emblématique que la 5e Avenue ou les Champs-Elysées, la perspective Nevski, longue de 4,5 km, a inspiré nombre d’écrivains russes, de Dostoïevski à Gogol. Avec ses trottoirs larges propices au shopping, elle reste l’artère la plus animée de la ville. La France n’est jamais loin, une proximité qui s’est affermie avec Catherine II, nommée en 1762 ” impératrice autocrate de toutes les Russies “. Au croisement avec la rue Sadovaïa, la bibliothèque nationale conserve des archives de la Bastille, sauvées de la Révolution française, ainsi que de très nombreux livres ayant appartenu à Voltaire et annotés par lui. Les bâtisseurs français étaient partout. Ils ont entraîné dans leur sillage des milliers de compatriotes moins célèbres, qui ont contribué à donner ce cachet tellement européen à la ville.

Le musée Fabergé Inauguré fin 2013, il abrite une collection d'oeufs de Pâques décoratifs réalisés pour les tsars par le célèbre joaillier russe.
Le musée Fabergé Inauguré fin 2013, il abrite une collection d’oeufs de Pâques décoratifs réalisés pour les tsars par le célèbre joaillier russe.© FJDO

Quand tombe la nuit sur Nevski, des éclairages colorés mettent en évidence les nombreux palais au style flamboyant, et quelques splendides bâtiments, tel l’immeuble Art nouveau des machines à coudre Singer (n° 56) ou l’épicerie Elisseiev (n° 28). Une inscription, datant du siège de Léningrad, indique aux passants quel est le côté le plus sûr pour échapper aux tirs des snipers… A l’angle de la rue Mikhaïlovskaïa, le mythique Grand Hotel d’Europe propose des dégustations dans son luxueux Caviar Bar. De temps à autre, un orchestre improvisé se fait entendre, aussitôt couvert par le vrombissement des autos qui viennent de démarrer au feu vert, avec en tête les bolides des m’as-tu-vu locaux. Les traversées des boulevards sont hasardeuses, car les marquages au sol font cruellement défaut. Quant aux vélos, on n’en a pas vu, alors qu’avec un peu de volontarisme politique, la ville s’y prêterait aussi bien qu’à Amsterdam.

La place du Palais Située face à l'Ermitage, elle est un des hauts lieux de la révolution d'Octobre. Une parade militaire s'y tient chaque année pour commémorer la victoire sur les nazis.
La place du Palais Située face à l’Ermitage, elle est un des hauts lieux de la révolution d’Octobre. Une parade militaire s’y tient chaque année pour commémorer la victoire sur les nazis.© FJDO

A l’Ermitage, on n’est pas seul

Le phare de Saint-Pétersbourg reste le musée de L’Ermitage, établi dans le palais d’Hiver, l’ancienne résidence impériale au bord de la Neva. Il est gigantesque : 400 salles, 22 km de marche, un éventail d’objets qui va des momies égyptiennes jusqu’aux Picasso, en passant par l’or des Scythes et l’art flamand. Il contient tant d’objets (3 millions, dit-on) que si on restait une minute devant chacun d’eux, on y passerait près de six années. Grande amatrice d’art, Catherine II avait le don pour flairer les tableaux qui comptent chez les vendeurs européens, notamment cette superbe collection de 26 Rembrandt, dont Le retour de l’enfant prodique, Portrait d’un vieux juif et Danaé, un tableau attaqué au couteau et à l’acide sulfurique par un Lituanien en 1985.

Autant le savoir : l’Ermitage est pris d’assaut, surtout au moment des nuits blanches, en juin et au début juillet. Le mois de janvier est le plus calme. Pour être moins dans la cohue, on peut aussi se diriger vers la galerie des trésors, où sont exposés des bijoux issus des fouilles sur les bords de la mer Noire, quand les Scythes et les Grecs la peuplaient. Des loupes permettent d’en admirer tous les fascinants détails. Face à l’Ermitage, la place du Palais est un des hauts lieux de la révolution d’Octobre. En son centre, l’immense colonne de granit rouge édifiée pour commémorer la victoire d’Alexandre Ier sur les armées napoléoniennes. Pour son inauguration en 1834, on fit parader 120.000 hommes face à l’empereur Nicolas 1er. Au moment de notre passage, c’était une autre parade de milliers de soldats, cette fois pour commémorer la victoire sur les nazis.

La perspective Nevski Avec ses trottoirs larges propices au shopping et ses bâtiments flamboyants (ici, le bâtiment Singer), elle reste l'artère la plus animée de la ville.
La perspective Nevski Avec ses trottoirs larges propices au shopping et ses bâtiments flamboyants (ici, le bâtiment Singer), elle reste l’artère la plus animée de la ville.© ISTOCK

Le paradis des “foodies”

Un petit creux ? C’est l’embarras du choix : cuisine russe et ukrainienne, caucasienne, asiatique, et même belge avec le Brugge et le Kwak Inn qui sert des moules-frites. L’offre a explosé et rivalise d’originalité pour le plus grand plaisir des foodies, même si le menu type comprend invariablement une entrée style salade russe, un bordj (potage), un plat principal mais jamais copieux et un dessert, le tout agrémenté de vodka servie dans un petit flacon ou d’un merlot des bords de la mer Noire. Deux eaux fruitées délicieuses ont la cote : le compot et le mors, tous deux à base de fruits, et faits maison. Le service est efficace, à défaut d’être souriant, et on ne laissera pas plus de deux minutes le client devant son assiette terminée. A noter, le soin particulier apporté aux sanitaires, toujours décorés avec goût, avec lumière tamisée et musique de fond.

Le soir, les lieux pour boire un verre sont innombrables. Depuis le Coyote Ugly, et ses dames peu vêtues, jusqu’au Hat Bar, temple du jazz et du whisky, en passant par le Griboedov Club, qui se définit comme un underground centre, autant d’occasions de se détendre et de se rapprocher des citoyens russes, qui ne sont guère exubérants avec ceux qu’ils ne connaissent pas. ” C’est un vieux résidu de l’époque soviétique : on ne fraie qu’avec ses proches. La cordialité ne vient qu’avec la confiance “, décrit Serge, un Belgo-Russe revenu s’installer dans sa ville natale. A quatre heures du matin, on se plaît à déambuler dans des rues désertes de toute circulation. C’est comme si on se retrouvait dans un immense décor de théâtre qu’un éclairagiste distrait aurait oublié d’éteindre. Magique !

Le lendemain, on peut cocher d’autres musées à visiter. Par exemple le musée d’histoire politique de la Russie, en tenant compte qu’il est fermé le jeudi. Ou le musée de la vodka et son espace dégustation. Ou encore les musées Dostoïevski et Pouchkine, essentiels pour qui veut découvrir la Saint-Pétersbourg littéraire. Et puis, il y a le musée Fabergé, établi dans un palais qui borde le canal Fontanka. Inauguré fin 2013, il abrite une collection d’oeufs de Pâques décoratifs réalisés par le joaillier russe Pierre-Karl Fabergé pour les tsars de l’époque, notamment neuf pièces exceptionnelles exhibées dans la très classieuse Blue Room. Chaque oeuf contenait un objet, une automobile par exemple, où le souci du détail laisse sans voix. Raffinement extrême ou kitsch porté à son paroxysme, au visiteur de juger…

La perspective Nevski Avec ses trottoirs larges propices au shopping et ses bâtiments flamboyants (ici, le bâtiment Singer), elle reste l'artère la plus animée de la ville.
La perspective Nevski Avec ses trottoirs larges propices au shopping et ses bâtiments flamboyants (ici, le bâtiment Singer), elle reste l’artère la plus animée de la ville.© FJDO

Bientôt la folie du foot

Du 24 au 26 mai, la ville accueille le Davos russe convoqué par le président Poutine, et en juin et juillet, huit matches de la Coupe du monde de football. Difficile de percevoir une quelconque excitation autour du sujet. Quelques bacs à fleurs en forme de ballons çà et là, une boutique à la gloire du Zenit (où ont évolué nos compatriotes Axel Witsel et Nicolas Lombaerts), une horloge style soviétique pour le décompte… et c’est tout. Manque d’intérêt pour une compétition où la Russie n’a jamais brillé ? L’essentiel est assuré : le stade Krestovski de 68.000 spectateurs est fin prêt, d’autant qu’il a déjà été étrenné en 2017. Une fan ID permettra aux supporters d’entrer en Russie sans visa (voir l’ encadré ” Y aller “). Et pour ceux qui n’auront pas de ticket, une fan zone est déjà aménagée en face de la cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé (en référence au sang versé lors de l’assassinat de l’empereur Alexandre II, mortellement blessé à cet endroit en 1881).

En vue de la compétition, deux nouvelles stations de métro seront inaugurées. La première ligne ne fut ouverte qu’en 1955, après qu’on eut reconstruit Leningrad ravagée par la guerre. Elle ne comportait encore que huit stations, mêlant kitsch stalinien et grandiloquence impériale. Elles méritent le coup d’oeil, et pourquoi pas le coup de pinceau : la station Narvskaya abrite souvent des artistes peintres, concentrés sur leur toile que surplombent des bouches d’aération ornées du marteau et de la faucille. La ville a connu la même tragédie que Bruxelles : en 2017, un attentat-suicide dans le métro a causé la mort de 16 personnes. Peu de médias étrangers en ont parlé. Aujourd’hui, des portiques et des agents filtrent toutes les entrées, ce qui rassure.

Le palais de Peterhof Qu'il est bon de se promener dans les allées rythmées par des cascades baroques, des chutes artistiques, des fontaines peuplées de statues dorées...
Le palais de Peterhof Qu’il est bon de se promener dans les allées rythmées par des cascades baroques, des chutes artistiques, des fontaines peuplées de statues dorées…© FJDO

Jaillissements au Peterhof

En s’écartant de la ville, deux résidences impériales, admirablement restaurées après avoir subi les foudres des nazis, méritent à coup sûr l’excursion. Tout d’abord, le palais Catherine, à Tsarskoïe Sielo, dont l’impératrice a hérité de Pierre le Grand, et pour lequel ont travaillé de grands architectes européens. Quel éblouissement lorsqu’on pénètre dans le grand salon doré de 900 mètres carrés, qui a englouti une centaine de kilos d’or et nécessité la présence d’une bonne centaine de ciseleurs durant une dizaine d’années. De part et d’autre, 11 baies vitrées donnant sur le parc et les jardins. Le parquet est en chêne fumé, et le visiteur est prié d’enfiler des chaussons, comme c’est le cas dans de nombreux musées.

A 25 km du centre-ville, à front de mer, le palais de Peterhof, réplique la même disposition de galerie, avec d’un côté le pouvoir temporel, de l’autre l’église, et au centre le tsar. Mais ici, on a 2.000 jets d’eau en prime ! Sans connaître encore Versailles, Pierre le Grand a misé sur le faste aquatique, d’autant que des sources sont toutes proches. Le golfe de Finlande est relié au château par un canal qui traverse le parc. Qu’il est bon de se promener dans les allées rythmées par des cascades baroques, des chutes artistiques, des fontaines peuplées de statues dorées… L’air vivifiant de la Baltique aura vite fait d’empourprer les joues. L’Estonie et la Finlande ne sont qu’à 150 km, mais c’est comme si un océan séparait l’Union européenne de la Russie, alors qu’elles ont tant à partager.

Y aller

– Vol direct avec Brussels Airlines, trois fois par semaine.

– Un visa est nécessaire, et coûte 35 euros si on le prend au consulat de Russie à Bruxelles, 63 euros si on passe par un centre de visa qui sous-traite pour le consulat, et qui est plus rapidement accessible. Renseignements sur : https://belgium.mid.ru/fr (ambassade) et http://vhs-belgium.com (centre de visa). Il faut produire une invitation ou une réservation, ainsi qu’un document de type assurance voyage qui atteste que celle-ci couvre tous les risques médicaux et de rapatriement à partir de la Russie. Si on passe par un tour-opérateur, celui-ci peut se charger des formalités.

Se loger : fini le temps où les touristes étrangers étaient parqués dans des hôtels sans âme gérés par l’agence Intourist. L’offre est riche et variée, pour tous les goûts et toutes les bourses. Citons le 1852 (3 étoiles), Dom Boutique (4 étoiles) et le chaleureux Domina (5 étoiles), tous situés au centre-ville.

Argent : le rouble, mais on peut payer quasiment partout par carte de crédit, même un simple café.

Infos : www.visit-petersburg.ru/en/

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