Treedy’s, la start-up belge qui va ringardiser la cabine d’essayage

Le TreedyScan est équipé de 130 caméras qui permettent de prendre environ 250 mesures instantanément. © JULIEN LEROY / BELGA IMAGE
Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Parfois présentée comme étant le dernier avantage compétitif des magasins physiques, la bonne vieille cabine d’essayage vacille à son tour. Boîtes de tenues à essayer chez soi, bases de données morphologiques, etc. Les projets ne manquent pas pour réduire le taux de retour exorbitant dans l’e-commerce. Une start-up bruxelloise vient de mettre au point un scanner 3D qui soulève pas mal de questions.

Ne dites pas aux responsables de Treedy’s que leur scanner corporel va flinguer la cabine d’essayage. ” Nous ne tuons que la mauvaise expérience online et offline, assure Cédric Cauderlier, responsable marketing. Il y aura toujours des cabines d’essayage dans les magasins qui apportent une valeur ajoutée par le service et le conseil. ” Reste que la solution imaginée par cette start-up bruxelloise fait tomber un fameux frein aux achats d’articles de mode en ligne : la peur de commander la mauvaise taille. Une crainte qui fait que plus de la moitié des consommateurs n’achètent sur Internet que des marques de prêt-à-porter ou de chaussures qu’ils connaissent. Une grande majorité affirment pourtant qu’ils ajouteraient davantage d’articles dans leur panier s’ils étaient assurés de choisir la bonne taille.

Zalando intéressé

Si la plupart des e-commerçants permettent de retourner gratuitement les articles qui ne conviennent pas, les coûts engendrés par ces retours sont pour eux exorbitants. Afin de pallier ce problème, Treedy’s a mis au point un scanner de haute précision capable de restituer en trois dimensions des modèles humains dans le moindre détail. Son TreedyScan est équipé de 130 caméras qui permettent de prendre environ 250 mesures instantanément. ” Chacun d’entre nous disposera ainsi de son profil morphologique grâce auquel il pourra s’enregistrer sur les sites d’e-commerce. Cela ouvre d’incroyables perspectives de personnalisation, assure Cédric Cauderlier. On pourra dorénavant vous proposer des vêtements parfaitement adaptés à votre taille, voire même des articles fabriqués sur mesure pour vous. ”

A ce jour, l’entreprise a vendu 15 exemplaires de son scanner 3D à plusieurs grands noms de la mode et du commerce en ligne, dont le géant allemand Zalando. Son défi aujourd’hui est de réduire son prix. ” Nous sommes à 80.000 euros par cabine et nous voudrions passer en dessous des 10.000 euros, explique le responsable marketing. Jusqu’à présent, nous avons investi sur fonds propres et nous avons mené un premier round friends, family and fools. Mais nous sommes en train d’effectuer une première levée de fonds. Notre objectif est de lever environ 3,5 millions d’euros auprès d’investisseurs publics et privés afin de financer nos activités de recherche et développement en vue d’améliorer technologiquement notre cabine et d’ainsi pouvoir la commercialiser à plus grande échelle. ”

Des cabines dans les centres commerciaux

Concrètement, Treedy’s ambitionne de mettre son scanner à disposition du public de différentes manières : en le vendant à des pure players tels que Zalando, en visant les grands groupes de mode qui disposent d’un vaste réseau de magasins et qui pourraient intégrer la technologie dans leurs cabines d’essayage, mais aussi en plaçant ses cabines lui-même un peu partout. ” Cela peut être dans des centres commerciaux, explique Cédric Cauderlier. A partir de septembre, il sera par exemple possible d’aller établir son profil morphologique dans l’une de nos cabines installée au Woluwe Shopping Center. ”

Niveau business model, l’entreprise a identifié deux sources de revenus : la vente ou la location de ses cabines, et pourquoi pas une commission prélevée sur chaque vente effectuée via un profil morphologique Treedy’s. ” A chaque fois qu’un client s’enregistrerait sur un site d’e-commerce à l’aide de son profil Treedy’s, nous prélèverions une commission sur la vente “, explique le responsable marketing.

L'équipe de Treedy's : Atanas Palavrov (développement), Stephan Sturges et David Francotte (cofondateurs), Cédric Cauderlier (marketing) et Nicolas Ostrowski (finances).
L’équipe de Treedy’s : Atanas Palavrov (développement), Stephan Sturges et David Francotte (cofondateurs), Cédric Cauderlier (marketing) et Nicolas Ostrowski (finances).© PG

A qui appartiennent les données ?

Si l’on comprend bien l’intérêt de cette technologie pour les clients et les entreprises du secteur, la création d’une telle base de données morphologiques pose inévitablement toute une série de questions. ” Le problème principal réside dans l’utilisation qui sera faite de ces données “, affirme Nadia Steils, professeure-assistante en marketing digital à l’Université de Namur. A qui appartiendront en effet les données morphologiques récoltées ? Y aura-t-il une différence entre des données récoltées via des cabines installées par Treedy’s dans des centres commerciaux, et des données collectées via des cabines Treedy’s achetées par des retailers ?

Du côté de la start-up, on assure que chaque client restera propriétaire de ses données, et qu’il pourra décider de les utiliser ou non lors d’une commande sur Internet. Mais l’idée étant de permettre aux commerçants en ligne de personnaliser au maximum leurs offres pour éviter les retours, ces acteurs auront de facto accès aux données morphologiques de leurs clients. Et il va de soi qu’ils n’accepteront pas que les clients passés dans l’un de leurs scanners puissent utiliser leurs données morphologiques ainsi récoltées pour commander sur un site concurrent. ” Ils perdraient leur avantage compétitif “, souligne Nadia Steils.

Dans un communiqué, Treedy’s explique vouloir créer ” la plus vaste base de données morphologiques du monde dans les prochaines années “. L’entreprise dit travailler en partenariat avec des sociétés technologiques en vue d’améliorer les algorithmes permettant de traiter les données. ” On voit qu’ils investissent beaucoup dans l’analyse des données. Ils sont tout à fait conscients du potentiel de cette base de données morphologiques en termes de prévision des tendances de mode par exemple. Ils pourraient éventuellement les revendre à différentes enseignes, de manière anonymisée évidemment. ”

Connaître toutes les mesures des vêtements commercialisés

Outre ces questions liées à l’exploitation des données, d’autres points méritent d’être éclaircis. L’une des caractéristiques d’acteurs comme Zalando est qu’ils ne possèdent pas – ou très peu – de points de vente. Où pourraient-ils dans ce cas effectuer la prise de mesures ? Pour Nadia Steils, cela ne poserait pas nécessairement problème. ” Le groupe pourrait très bien installer des cabines à son nom dans les centres commerciaux, dit-elle. Mais une fois que les clients disposeront de leur profil morphologique détaillé, encore faut-il que les retailers connaissent les mesures exactes de tous leurs articles pour pouvoir faire des propositions pertinentes. Ce n’est a priori pas le cas pour des pure players multimarques comme Zalando…

Quand des algorithmes préparent nos tenues

Pour réduire les taux de retour structurellement très élevés dans la mode en ligne, une poignée de jeunes pousses proposent des ” boxes ” de vêtements élaborées par des stylistes ou des algorithmes. S’inspirant d’offres similaires dans les cosmétiques, elles commercialisent des assortiments de tenues et d’accessoires pour différentes situations (travail, vacances, voyage, etc.). Concrètement, le client remplit un questionnaire (âge, profession, budget, style, taille, etc.) et il reçoit une sélection de pièces pendant quelques jours, qu’il peut renvoyer intégralement ou pas.

Le plus gros succès du marché s’appelle Stitch Fix. Créée en 2011 par une ancienne de Harvard, cette entreprise américaine emploie à ce jour 5.700 salariés et a réalisé un chiffre d’affaires de 730 millions de dollars en 2016. Elle a misé très tôt sur l’intelligence artificielle pour développer un service de conception de vêtements fondé sur un algorithme compilant les préférences de ses clients.

En France, c’est MyPersonalCloset qui connaît son petit succès, même si son bilan est seulement à l’équilibre depuis 2016. L’entreprise de service de personal shopper à domicile a été lancée en 2014. Elle revendique à ce jour 4.500 clientes, essentiellement des mères de famille vivant en province, dans des zones ne disposant pas d’un grand choix de magasins à proximité.

Enfin, comment ne pas citer le géant américain de l’e-commerce, Amazon, qui teste lui aussi depuis l’année dernière aux Etats-Unis un service proposant d’essayer pendant une semaine un assortiment de vêtements livré gratuitement et sans obligation d’achat. Réservé à ses abonnés Prime, cette offre porte sur plus d’un million de références de marques. Reste maintenant à savoir si elle sera bientôt disponible en Europe.

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