Google, Apple, Netflix… Ils vont flinguer la télé de papa

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Pris en étau entre l’arrivée de TF1 sur le marché publicitaire belge et la concurrence grandissante des géants du Net, RTL Belgique choisit les grands remèdes et licencie 105 collaborateurs pour mieux se réinventer. Au-delà du séisme social, c’est tout l’avenir des chaînes de télévision traditionnelles qui est aujourd’hui en jeu. Enquête au coeur d’un écosystème réellement menacé.

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Le couperet est tombé. Dans les prochaines semaines, une centaine de personnes vont quitter, contraintes et forcées, les bureaux de RTL Belgique. ” Ce sont des fonctions qui vont disparaître, rectifie d’emblée Philippe Delusinne, CEO de l’entreprise privée. Nous employons au quotidien près de 800 personnes dont un peu plus de 500 salariés et de nombreux pigistes. Les 105 fonctions concernées se trouvent dans ces deux groupes de collaborateurs. Il n’y a donc pas encore de noms précis pour l’instant “.

Surprenante, cette volonté (inconsciente ? ) de déshumaniser le propos passe mal dans les couloirs de RTL Belgique où tout le monde se regarde désormais en chiens de faïence. ” Et toi, tu es sur la liste ? “, plaisante cette employée dans un ascenseur bondé qui, comme tous les salariés, a reçu ce mail daté du 14 septembre et signé par le grand patron himself. Dans une longue lettre qui commence par ” Chers tous “, Philippe Delusinne y détaille le plan de transformation de l’entreprise baptisé #evolve et qui ” vise à permettre à RTL Belgium de faire face à l’évolution qu’a connue le secteur audiovisuel au cours de ces dernières années “. Sont épinglés dans un ordre d’importance visiblement hiérarchique : l’arrivée de TF1 sur le marché publicitaire belge ; la maturité du marché pub en télévision qui se traduit par ” une trop faible progression des investissements annuels en Belgique ” ; la multiplication des financements publics et l’assouplissement des règles dont bénéficie la RTBF ” qui faussent la concurrence sur un marché étriqué ” ; l’arrivée d’opérateurs télécoms locaux (Proximus, Telenet, Voo) et de puissants groupes sur le marché de la consommation audio et vidéo ; et, enfin, la modification des modes de consommation médias du public.

Bouleversement des moeurs

Pour le CEO de RTL Belgique, ces cinq paramètres impactent directement la rentabilité de l’entreprise et menacent donc son avenir à court terme si aucune mesure concrète n’est prise rapidement. Pourtant, la société se porte très bien : depuis quelques années déjà, l’opérateur privé dégage un Ebita d’environ 45 millions d’euros sur un chiffre d’affaires de quelque 200 millions. Mais voilà : le marché publicitaire recule et, pour le premier semestre de cette année, les montants investis par les marques belges en télévision ont chuté de 6,6 % par rapport à la même période en 2016. Pessimiste, Philippe Delusinne table sur une baisse de revenus de 10 millions d’euros en 2017, montant qui pourrait être au moins deux fois supérieur en 2018, lorsque TF1 aura pleinement atteint sa vitesse de croisière sur le marché publicitaire belge. D’où l’existence de ce plan de transformation #evolve et sa mise en application douloureuse pour ” pérenniser durablement les activités du groupe “, rendre la structure ” plus agile ” et ” maintenir sa position d’acteur fort sur le marché belge “.

Si la menace de TF1 sur les revenus publicitaires de RTL Belgique est bien réelle (lire aussi l’encadré intitulé ” Le séisme TF1 ” plus bas), c’est surtout l’évolution des moeurs médiatiques qui forcent aujourd’hui les chaînes traditionnelles à se réinventer. Habitués à regarder des vidéos sur Facebook avec leur smartphone et des séries sur Netflix avec leur ordinateur portable, les ados et les jeunes adultes nés avec le numérique ne sont en effet plus en phase avec ” la télévision de papa ” et, lorsqu’ils la consomment, ils choisissent volontiers l’option du différé où ils peuvent aisément zapper la publicité. En 2017, la ” délinéarisation ” triomphe et certains addicts du GSM poussent même le raisonnement jusqu’à l’extrême : ” Si je peux regarder les séries et les émissions qui me plaisent sur mon smartphone où je veux, quand je veux, à quoi bon payer encore la redevance et un abonnement télé ? “.

Dans les prochaines semaines, une centaine de personnes vont quitter, contraintes et forcées, les bureaux de RTL Belgique.
Dans les prochaines semaines, une centaine de personnes vont quitter, contraintes et forcées, les bureaux de RTL Belgique.© Photo News

La menace numérique

Aujourd’hui, le triomphe du digital est tel que les annonceurs reconsidèrent la répartition de leurs budgets publicitaires sur les différents médias. L’année dernière, les marques ont ainsi consacré 34 % de leurs dépenses pub aux canaux numériques sur le territoire belge, si l’on en croit l’étude Matrix de l’Interactive Advertising Bureau (IAB) menée auprès de 433 acteurs de la sphère médiatique en Belgique (annonceurs, agences et médias). Certes, la télévision reste toujours la reine du marché publicitaire, mais elle est désormais talonnée de très près par le digital en termes d’investissements.

La télévision reste toujours la reine du marché publicitaire, mais elle est désormais talonnée de très près par le digital en termes d’investissements.

Le constat est d’autant plus alarmant que la plupart de ces canaux numériques sont aux mains des géants du Net (Facebook pour le social, Google pour le search et YouTube pour la vidéo) et que plus de la moitié des investissements consentis par les annonceurs belges dans le digital remplit aujourd’hui les caisses de grosses firmes américaines au détriment des acteurs locaux. Cerise sur le gâteau fiscal : les recettes publicitaires de Facebook et Google en Belgique (plus de 300 millions d’euros) sont directement rapatriées en Irlande et échappent donc à l’imposition. Un coup dur pour l’économie belge…

Les GAFA misent sur le contenu

Inquiétant pour les patrons des chaînes de télévision, ce bouleversement des moeurs médiatiques n’est pas près de s’arrêter puisque les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) font désormais tout pour maintenir l’utilisateur au coeur de leur écosystème, avec une préférence affichée pour la production de contenus originaux. Face à la montée en puissance de Netflix (plus de 100 millions d’abonnés à travers le monde), Apple va ainsi investir, dès l’année prochaine, un milliard de dollars dans la production de films et de séries originales que la société productrice de l’iPhone écoulera directement sur sa propre plateforme.

C’est une évidence : le streaming attise de plus en plus la convoitise des géants du Net mais aussi d’autres producteurs de contenus qui vont développer leur propre service (Disney, 21 st Century Fox, etc.) et qui voient, dans la vidéo à la demande, une source de revenus prometteuse, tant sur le plan des abonnements qu’au niveau publicitaire. Ainsi, après Google qui s’est offert YouTube il y a 10 ans déjà et Amazon qui a lancé sa propre plateforme Video peu de temps après, l’incontournable Facebook a récemment lancé Watch, son nouveau service de vidéos, pour l’instant réservé au marché américain. Plus ambitieux que jamais, le réseau social aux 2 milliards de fans veut désormais marcher sur les plates-bandes de YouTube et de Netflix – mais aussi des chaînes de télévision traditionnelles – en proposant une nouvelle offre de contenus audiovisuels originaux que sa communauté peut déjà regarder aux Etats-Unis via un onglet spécifique et surtout liker, partager et commenter à loisir.

Résolument différente des vidéos amateurs que chaque utilisateur peut déjà poster sur son mur, cette nouvelle fonctionnalité s’inscrit davantage dans une logique professionnelle de diffusion à la carte, avec des contenus de qualité présentés sous la forme de productions léchées (séries, émissions quotidiennes, documentaires, etc.) mais aussi de programmes diffusés en direct comme, par exemple, des matchs de la ligue américaine de base-ball dont Facebook a décroché certains droits de retransmission.

la RTBF vient de produire une série, PLS, qui sera exclusivement diffusée sur Snapchat.
la RTBF vient de produire une série, PLS, qui sera exclusivement diffusée sur Snapchat.© PG

Miser sur le local pour résister

Depuis plusieurs mois déjà, les géants du Net marquent un intérêt croissant pour les compétitions sportives, grignotant là aussi l’hégémonie historique des chaînes de télévision classiques sur ce marché singulier. Mais avec l’explosion tarifaire des droits de retransmission et, surtout, les réserves de cash dont disposent aujourd’hui les GAFA, il se pourrait bien que la Champions League ou le tournoi de Roland Garros soient, un jour, exclusivement réservés aux utilisateurs de Facebook ou aux membres Premium du leader de l’e-commerce Amazon. Le sport et le pouvoir émotionnel du direct représentent en effet de magnifiques leviers pour permettre aux géants du Net de gonfler leur nombre d’abonnés ou leur ” vendre ” toujours plus de publicités.

Dans ce contexte éminemment concurrentiel, est-on en train d’assister à la mort lente de ” la télévision de papa ” ? Autrement dit, les chaînes belges peuvent-elles vraiment résister à ce rouleau compresseur mondialisé ? ” Si la ‘télé de papa’, ce sont quelques chaînes linéaires qui trustent le temps de visionnage du téléspectateur belge francophone, alors je dirais que l’on est effectivement devant de profonds bouleversements, répond Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF (lire l’encadré intitulé ” Ce ne sont plus les concurrents d’hier qui doivent être le point de référence ” plus bas). Mais si ‘la télé de papa’, ce sont des productions de fictions, des séries locales, des programmes de divertissement fédérateurs et de l’information dans des formats audiovisuels, alors je ne pense pas qu’il y ait une menace. On continue à regarder énormément la télévision en Belgique. Certes, la consommation du temps de télé s’érode lentement. On assiste à une érosion de l’ordre de 1 % du temps par an, mais elle reste très substantielle. Donc, si le rôle de la RTBF consiste à produire des contenus originaux ancrés localement sur de nombreuses plateformes, dont la radio et la télévision linéaire qui vont rester encore longtemps des acteurs et des intermédiaires privilégiés, alors je dirais que oui, il y a encore un avenir assez prometteur “.

Le pari digital de la RTBF

Ce discours rassurant de Jean-Paul Philippot n’empêche pas la RTBF d’avoir pris les devants numériques. L’année dernière, la radio-télévision de service public a ainsi lancé Auvio, son service d’offre non linéaire qui connaît une forte croissance (de 200.000 à 300.000 visiteurs par jour) et qui s’est récemment enrichie d’une application mobile. A côté de cette nouvelle marque dynamique qui s’est peu à peu installée dans les réflexes médiatiques du grand public, la RTBF a aussi inauguré cet été Tarmac, une nouvelle offre digitale dédiée à la culture hip-hop et qui se décline en une série de programmes audio et vidéo, à la demande ou en direct, via une plateforme autonome et les réseaux sociaux.

Depuis plusieurs mois déjà, les géants du Net marquent un intérêt croissant pour les compétitions sportives, grignotant là aussi l’hégémonie historique des chaînes classiques.

Attentive aux nouveaux modes de consommation médiatiques, l’entreprise publique vient également de produire une série, PLS, qui sera exclusivement diffusée sur Snapchat, le réseau social préféré des 14-18 ans, et elle inaugurera aussi, ce 2 octobre, une nouvelle offre d’info baptisée Vews (mot-valise qui mixe les mots vidéo et news), à savoir des vidéos d’actualité sous-titrées et destinées en priorité au Web. Objectif avoué : séduire la cible des 18-35 ans qui consomme l’info autrement sur les réseaux sociaux afin de pérenniser la marque RTBF dans cet environnement digital en ébullition.

Une longueur de retard

A côté de ces innovations made in RTBF , l’offre digitale de RTL Belgique paraît bien pâle. Mais c’est précisément pour combler ce retard numérique que l’entreprise privée a mis en place son plan #evolve. Celui-ci prévoit non seulement la fusion de ses régies publicitaires télé, radio et digitale ” pour offrir des solutions intégrées aux annonceurs “, mais aussi ” une nouvelle offre non linéaire large ” qui se caractérisera notamment par ” le lancement d’une nouvelle plateforme de catch-up TV (télévision dite de rattrapage), gratuite et financée par la publicité ciblée “. Confiant, son patron Philippe Delusinne espère combler ainsi son retard sur la RTBF dans les prochains mois, notamment grâce aux synergies développées au sein du groupe RTL qui veut désormais se positionner comme une entreprise total video , accessible partout, tout le temps, sur tous les écrans.

Dans les couloirs de RTL House, on déplore cependant cette regrettable perte de temps. ” L’ancien directeur Freddy Tacheny s’était engagé dans cette voie digitale bien avant la RTBF, raconte ce cadre désabusé, mais Philippe Delusinne a préféré tout arrêter pour protéger son Ebita et ne pas fâcher ses actionnaires. RTL Belgique a désinvesti au mauvais moment, Freddy Tacheny n’a jamais été remplacé et depuis, beaucoup regrettent son départ. Car le résultat est un manque criant de vision et de compréhension des changements en cours dans les habitudes de consommation du public. RTL a complètement raté son virage digital “. Un constat qui, paradoxalement, n’a pas dû échapper non plus aux actionnaires. En coupant, sans état d’âme, 105 têtes au sein de RTL Belgique, Philippe Delusinne a peut-être réussi aujourd’hui à sauver la sienne.

Le séisme TF1

Depuis le 6 septembre, les téléspectateurs belges de TF1 voient enfin des publicités “qui leur parlent” sur leurs écrans. “Nous n’avons fait que corriger une anomalie du marché, précise Gilles Pélisson, PDG de la chaîne privée. Pourquoi TF1, qui représente 19 % de parts de marché en Belgique, ne pourrait-il pas lui aussi monétiser cette audience, alors qu’un acteur luxembourgeois détenu par des Allemands (traduisez RTL Belgique, Ndlr) peut le faire ?”

Entre TF1 et le groupe RTL, la guerre est aujourd’hui déclarée. Après un feuilleton à multiples rebondissements, la chaîne française a finalement choisi la régie flamande Transfer pour commercialiser ses écrans publicitaires à destination des annonceurs belges et elle ne fera plus aucun cadeau à ses rivaux. En Belgique, le marché de la publicité télévisée pèse quelque 165 millions d’euros nets absorbés à 90 % par le duo RTL-RTBF. Détenant les deux tiers de ce gâteau publicitaire, RTL Belgique a le plus à perdre dans cet affrontement inédit étant donné qu’il vit exclusivement de la publicité et que sa cible commerciale est très proche de celle de TF1. Certes, les experts du secteur ne sont pas encore unanimes à propos de l’impact financier qu’aura la chaîne française sur les recettes respectives de la RTBF et de RTL Belgique, mais la fourchette de 15 à 25 millions annuels est généralement citée. De quoi bouleverser l’écosystème audiovisuel belge et forcer l’état-major de RTL House à se réinventer pour limiter la casse.

Philippe Delusinne, CEO de RTL Belgique : “Notre vocation, c’est de faire de l’argent”
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TRENDS-TENDANCES. Pourquoi le mot restructuration est-il tabou au sein du management de RTL Belgique ?

PHILIPPE DELUSINNE. Une restructuration, cela veut dire que l’on réduit les coûts, point. Ici, la réduction de coûts n’est qu’une des conséquences d’un objectif beaucoup plus ambitieux qui est un plan de transformation de l’entreprise, c’est-à-dire changer la manière de travailler, d’opérer et de fonctionner.

De nombreux employés vous reprochent d’avoir raté le train du digital et d’essayer de le rattraper aujourd’hui avec ces 105 licenciements…

Il est paradoxal qu’on nous reproche, d’une part, d’anticiper trop vite les dégâts que TF1 pourra faire et, d’autre part, de ne pas avoir suffisamment réagi à l’avenir du digital. Pour le digital, il faut être clair : nous avons créé une initiative il y a presque huit ans avec 40 personnes et on l’a détricotée parce que ça ne rapportait pas d’argent. Au contraire, ça en coûtait. Il ne faut pas se tromper : notre vocation, c’est de faire de l’argent. J’ose le dire, ce n’est pas une honte. Mais nous ne sommes pas trop tard et je pense que nous allons pouvoir, à partir de maintenant, monétiser le digital, ce qui n’était pas le cas il y a trois ou quatre ans.

Si vous n’aviez pas sorti ce plan, le département télévision de RTL Belgique pouvait mettre la clé sous le paillasson ?

Ou changer drastiquement…

En devenant M6 Belgique, par exemple ?

Oui, bien sûr. Je pense que si on ne prend pas ce virage maintenant, on met en péril l’avenir de l’entreprise dans sa structure actuelle.

Certains vous prêtent l’intention de mettre en place ce plan pour “habiller la mariée” et mieux revendre ensuite RTL Belgique…

C’est totalement faux ! RTL Belgique n’est pas à vendre, ni aucune société du groupe RTL comme M6 par exemple.

La semaine dernière, Gilles Pélisson, patron de TF1, a ironiquement déclaré que RTL Belgique était “un formidable exemple” pour son propre groupe : un opérateur étranger qui vient monétiser ses audiences en Belgique et qui snobe le CSA belge…

Je trouve qu’on est à la limite de l’insulte. Monsieur Pélisson ose nous faire la leçon alors qu’il vient prendre de l’argent ici sans rien apporter. RTL Belgique, ce sont près de 800 personnes, peut-être 700 demain, qui travaillent au quotidien depuis 30 ans et qui apportent un vrai contenu avec une vraie proximité. C’est insultant et méprisant de sa part. Une fois de plus, il fait preuve d’une méconnaissance d’un pays où il a pourtant vécu pendant cinq ans.

Vous ne regrettez donc pas le mot prédateur que vous avez utilisé à l’égard de TF1 ?

Je persiste et je signe : le prédateur, dans le sens propre du terme, est quelqu’un qui vient, qui prend et qui n’apporte rien. Exactement comme TF1.

Gilles Pélisson, PDG de TF1: “Nous voulons devenir un acteur incontournable sur le digital”

“Le marché évolue. Petit à petit, les GAFA remontent la chaîne de valeurs vers l’édition de contenus. Pour nous, il est essentiel de bien comprendre cela et de combattre ces mouvements inéluctables à travers trois thèmes : nous devons être multi-chaînes, multi-médias et multi-métiers. Aujourd’hui, nous investissons 1 milliard d’euros dans nos contenus pour nos différentes chaînes – TF1, TMC, NT1, HD1, LCI, mais aussi les thématiques payantes TV Breizh, Histoire et Ushuaïa TV – dont 160 millions uniquement dans la création francophone pour nous différencier. Désormais, tous nos programmes sont également pensés et réalisés en fonction du multi-écrans car nous voulons devenir un acteur incontournable sur le digital. Mais pour être un vrai groupe multimédia, il faut aussi se diversifier. Voilà pourquoi nous sommes non seulement actifs dans la production (TF1 a notamment racheté Newen, le premier groupe de production indépendant en France, Ndlr), mais aussi dans la musique, les jeux et les spectacles. Pour nous, il est fondamental de développer des activités connexes dans nos métiers.”

Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF: “Ce ne sont plus les concurrents d’hier qui doivent être le point de référence”
Google, Apple, Netflix... Ils vont flinguer la télé de papa
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TRENDS-TENDANCES. Aujourd’hui, vos plus grands concurrents sont-ils les GAFA plutôt que RTL ou TF1 ?

JEAN-PAUL PHILIPPOT. Si nous nous mettons un horizon de moins de cinq ans, je pense que nos principaux concurrents sont les médias audiovisuels de notre marché historique. Si on se place au-delà de cinq ans, on se situe dans un contexte global où il y a effectivement quelques acteurs hégémoniques. Et dans ce monde global, on ne se singularise que quand on propose de la production originale. Voilà notre pari.

Les géants du Net semblent vous inspirer : vous allez lancer une série sur Snapchat et un nouveau format vidéo baptisé Vews qui reprend les codes du Web…

On ne peut pas s’adresser au public qui est aujourd’hui connecté avec le monde entier et on ne peut pas travailler dans un secteur qui s’est mondialisé comme celui des médias sans être en permanence en questionnement de son offre. Donc, oui, nous regardons un certain nombre de choses et nous sommes attentifs à l’évolution des attentes du public francophone belge. Dans ce marché-là, ce ne sont plus les concurrents d’hier qui doivent être le point de référence.

En lançant Auvio et vos autres initiatives numériques, vous avez clairement marqué votre différence avec RTL Belgique qui a traîné sur le terrain digital…

Je pense que calquer sa stratégie sur celle de ses concurrents historiques amène une certitude : c’est qu’on arrivera toujours deuxième. Donc, ce n’est franchement pas eux qui nous inspirent.

RTL Belgique qui se déforce avec cette vague de licenciements, c’est une bonne nouvelle pour la RTBF ?

Je ne peux pas me réjouir de ce qui se passe chez RTL Belgique. Ce contexte de réduction de voilure, il nous parle, on l’a vécu. Ces dernières années, la réduction d’effectifs à la RTBF a touché 700 personnes, il faut le rappeler. On a pris les devants. Nous avons anticipé.

Que vous inspire l’arrivée de TF1 sur le marché publicitaire belge aujourd’hui ?

Cela va être déstabilisateur, c’est certain. On a déjà, a minima, une évasion de richesse dans le secteur audiovisuel de l’ordre de 15 millions par an, soit ce que le groupe RTL remonte vers l’actionnaire, au-delà de ce qu’il achète comme contenus chez M6. Et on va rajouter probablement à cela un montant de 10 à 20 millions avec TF1. C’est une deuxième vague d’évasion. TF1 n’est qu’un copié-collé de ce qu’on a vécu jusqu’à présent avec RTL. La RTBF, en revanche, c’est 88 % de ses moyens qui sont investis dans la production interne. Si les moyens diminuent, ce sont des productions qui seront affectées.

Comment faire alors pour continuer à investir dans la production propre avec moins d’argent ?

Nous plaidons pour une stabilité dans nos modes de financement : cela signifie ne pas modifier ni à la hausse ni à la baisse le mode de calcul de la dotation. Nous ne pensons pas non plus que la réponse à ces bouleversements soit une augmentation de la pression publicitaire en radio ni en télévision. Par contre, nous souhaitons avoir la faculté de mettre certains types de contenus dans un système payant sur les plateformes digitales. C’est un débat que nous souhaitons mettre sur la table. Le modèle de la souscription est une tendance en pleine croissance.

Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6: “Le numérique présente des atouts que nous pouvons aussi exploiter”

“Les millennialsdésertent la télévision linéaire. Non seulement, les plateformes de diffusion mondiale comme Facebook prennent du temps de consommation aux acteurs traditionnels de la télévision, mais elles viennent en plus leschallengersur le terrain du contenu. Dès lors, nous ne pouvons plus être de simples distributeurs, mais bien des fabricants de contenus. Nous devons avoir de plus en plus le contrôle sur la production et en particulier sur la fiction locale puisque la proximité est devenue une notion importante. Mais le numérique ne doit pas être perçu comme une menace pour autant. Il présente des atouts que nous pouvons aussi exploiter dans notrebusiness model: le multi-écrans, la mobilité, l’interactivité, la recommandation de programmes, la publicité ciblée en fonction des datas disponibles, etc. Nous devons exploiter au mieux ces outils et poursuivre aussi notre politique de diversification en utilisant nos propres moyens promotionnels pour développer de nouveaux services (immobilier, téléphonie mobile, comptes bancaires, location de voitures, etc.). Je suis persuadé que la télévision va encore être très performante au niveau publicitaire dans les années à venir car il s’agit d’un média qui est bien mesuré et qui, grâce aux données présentes sur les boîtiers des opérateurs, permettra aux annonceurs d’affiner leur ciblage publicitaire.”

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