“Il ne faudrait pas que des grèves politiques viennent casser la reprise”

© Christophe Ketels/Belgaimage

Dans un entretien de sortie, Philippe Godfroid, le désormais ex-président de l’Union des classes moyennes, revient sur ses revendications sur la période d’essai ou le coup de pouce aux starters. Mais aussi sur ses connexions avec le monde politique.

Il considère que le syndicalisme patronal, ” ce n’est pas un métier “. Philippe Godfroid a donc choisi de quitter la présidence de l’Union des classes moyennes au bout de cinq ans, alors que son mandat courrait encore pour trois ans. Et que fera-t-il après ? ” Je vais rebâtir une entreprise avant la fin de l’année “, répond-il du tac au tac. On sent que le projet est déjà bien construit dans sa tête. Mais, prudent, il n’en dira pas plus. Nous parlerons donc plutôt du sort des PME, des améliorations obtenues et de celles que son successeur, l’avocat Pierre-Frédéric Nyst, pourrait défendre demain.

PHILIPPE GODFROID. Non, il faut rester modeste et, surtout, veiller à ne pas faire de politique. A Bruxelles, nous avons beaucoup travaillé avec Didier Gosuin (ministre de l’Emploi), qui a repris une partie de nos propositions. En Wallonie, nous avons obtenu la réforme des aides à l’emploi que nous réclamions depuis des années : simplification, numérisation et, cerise sur le gâteau, un délai de rigueur qui fait que, si l’administration ne répond pas dans les sept jours, la demande de l’entreprise est automatiquement acceptée.

Je n’ai vraiment pas envie de voir ces avancées remises en cause par un soudain changement de majorité. Et je n’ai pas envie non plus que le renvoi du PS dans l’opposition ne provoque des grèves politiques comme nous les avons connues au début du gouvernement Michel.

Profil

• Né en 1948 dans la région du Centre.

• Il fait une bonne partie de sa carrière au sein de Creyf’s interim, dont il est alors actionnaire et qu’il revend en 1996.

• En 1998, il rachète Jema Elec (Louvain- la-Neuve), en dépôt de bilan. Il la revend 10 ans plus tard, après l’avoir relancée et réussi à plus que doubler l’emploi.

• Actif dans la Chambre de commerce du Centre et l’UCM-Hainaut, il devient président de l’UCM en 2012.

• Consul honoraire de Pologne en Wallonie.

Ça, c’est plutôt un message vers les syndicats…

Nous l’avons fait passer aussi aux politiques pour que chacun soit bien conscient de la situation. Les affaires reprennent à peine après des années de crise, les chiffres de l’emploi sont très encourageants, il ne faudrait pas que des grèves politiques viennent casser la reprise. Les entreprises ont déjà payé en début de législature, il ne faut pas remettre le couvert.

Les jeunes envisagent de plus en plus la carrière d’indépendant comme un choix et non une contrainte.”

L’UCM est très proche du gouvernement fédéral, votre ancienne secrétaire générale est la cheffe de cabinet du ministre des Classes moyennes Willy Borsus. N’est-ce pas cela aussi que vous ” payez ” face aux organisations syndicales ?

N’exagérez pas la proximité avec un ministre en particulier. Il y a une prise de conscience générale en Belgique de l’importance des PME, des TPME et des indépendants pour le tissu économique. Nous avons ressenti cette rupture positive depuis quelques années, dans tous les gouvernements. Maintenant, c’est vrai que Willy Borsus a un regard très enthousiaste sur le monde des entreprises et qu’il y a beaucoup moins de formalisme dans nos échanges. Nous réclamions une baisse des cotisations patronales sur les premiers emplois créés, nous avons carrément le ” zéro cotisation ” sur le premier emploi. Cela porte ses fruits, nous créons à nouveau de l’emploi en Belgique. Nous ne pouvons donc qu’applaudir. Mais cela ne nous empêche pas de rester critiques.

Sur quels points précis vos critiques portent-elles ?

Nous avons énormément insisté pour le retour de la période d’essai. C’est crucial pour les PME. La grande entreprise dispose d’équipes spécialisées pour sélectionner les candidats, quand la PME fonctionne surtout au bouche-à-oreille. C’est bien car cela solidifie les équipes mais cela augmente aussi le risque de se tromper de profil lors d’un recrutement. Or, la PME ne peut pas se tromper, alors qu’une grande entreprise peut sans doute réaffecter la personne dans un autre département. Voilà pourquoi nous réclamons qu’on en revienne à une période d’essai. Les syndicats ont rejeté cette piste, la balle est dans le camp du gouvernement et j’espère qu’ils nous suivront sur ce point.

La suppression de la période d’essai faisait partie de l’accord sur le statut unique. On peut donc comprendre que les syndicats y tiennent…

La période d’essai génère effectivement un petit risque pour le travailleur. Mais, c’est la contrepartie d’un contrat à durée indéterminée. Le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ? Que se passe-t-il aujourd’hui ? Sans cette faculté de se séparer facilement d’un nouveau collaborateur qui ne convient pas, beaucoup d’entreprises utilisent une série d’astuces – intérim, sous-traitance, CDD, etc. – pour ne pas passer par un engagement fixe. Qu’y gagne le travailleur ?

Les gouvernements successifs ont déjà beaucoup agi pour améliorer le sort des indépendants. Quels combats reste-t-il pour votre successeur ?

Malgré la réforme des cotisations et la baisse de leur taux de 22 à 20,5 %, l’Inasti conserve une marge de 200 à 250 millions d’euros par an. Cela pourrait permettre d’ajouter un pécule de vacances à la pension des indépendants, comme c’est le cas pour les salariés.

Il y a aussi le dossier du mois de carence. Les indépendants s’absentent rarement pour maladie. Et quand ils le font, c’est généralement parce que c’est grave. Ils ne reçoivent aucune indemnité durant le premier mois, alors que, pour maintenir l’activité, ils doivent se faire remplacer, ce qui engendre des dépenses en plus des frais médicaux. Nous proposons que le deuxième mois de maladie soit payé double, afin de rattraper ce mois de carence en cas de maladie de longue durée. C’est la moindre des choses que l’on doit aux travailleurs indépendants, surtout si l’Inasti a de la marge.

Le retour de la période d’essai, c’est crucial pour les PME.”

Pourquoi ne pas utiliser cette marge pour tout simplement diminuer encore les cotisations sociales des indépendants ?

Parce que je pense que nous avons tous, en tant que citoyens, une obligation de solidarité. De la solidarité envers celui qui est malade, celui qui est pensionné, celui dont l’entreprise traverse une période difficile ou celui qui lance son activité.

Le gouvernement a créé ” le droit passerelle “, grâce auquel celui qui doit cesser son activité pour des raisons économiques peut désormais bénéficier d’une indemnité pendant un an. C’est une forme de reconnaissance du droit à l’échec. Quand un entrepreneur connaît des difficultés, la première chose qu’il fait, c’est de reporter le paiement de ses cotisations pendant un trimestre, voire deux. Et puis, il dépose le bilan. Nous avons là une personne qui a eu le courage d’entreprendre et qui a appris les erreurs à ne pas commettre. Ne pourrait-on pas, moyennant un accord entre l’Inasti et les caisses d’assurances sociales, prévoir une amnistie sociale ? Continuer à le charger avec des intérêts et des amendes revient à marginaliser l’indépendant qui a échoué.

Vous citiez aussi la solidarité avec celui qui démarre son activité. Que proposez-vous précisément pour les starters ?

Nous souhaitons que celui qui prend le risque de créer son entreprise bénéficie d’une réduction de cotisations sociales pendant 12, voire 24 mois. Pas plus car il ne faut pas s’habituer à vivre dans un système dérogatoire. On commencerait très bas et on augmenterait graduellement pour arriver aux cotisations normales. Un tel outil encouragerait l’entrepreneuriat, tout en restant gérable au niveau de la sécurité sociale des indépendants. Si vous ajoutez cela à la mesure ” zéro cotisation ” sur le premier emploi, nous serions vraiment sur le bon chemin.

C’est un phénomène marquant de ces dernières années : les jeunes envisagent de plus en plus la carrière d’indépendant comme un choix et non une contrainte. Des jeunes décident de quitter leur boulot pour voyager une année en famille et sans garantie d’emploi au retour. On ne voyait pas cela, ou vraiment très rarement, il y a 10 ans. Le tissu social est clairement devenu plus dynamique.

Après toutes ces améliorations, le maintien d’un régime fiscal spécifique pour les PME se justifie-t-il encore ?

Oui, car les PME n’ont pas les outils d’une multinationale pour bien gérer leur fiscalité. Pour nous, le taux de l’impôt des sociétés devrait rapidement être descendu à 20 % pour les PME. Mais attention à ce que l’Etat ne récupère pas cela ailleurs, comme nous l’avons déjà vu. Je reproche parfois au gouvernement de soigner plus les salariés que les indépendants. Les revenus de l’indépendant qui n’a pas investi et ne dispose pas de personnel ont diminué sous cette législature. Certes, il y a eu les baisses de cotisations mais leur effet a été en partie annulé par d’autres mesures comme la modification de la déductibilité des cartes-essence ou la hausse du précompte mobilier et des accises. Il ne faudrait pas que cela se reproduise avec la baisse du taux de l’impôt des sociétés.

130 administrateurs dans les 29 asbl de l’UCM

“Président d’une organisation professionnelle, ce n’est pas un emploi permanent. Le président qui n’a pas pu marquer la structure de son empreinte en quatre à cinq ans, il ne le fera jamais.” Philippe Godfroid, qui conduit l’UCM depuis 2012, a décidé de ne pas achever son second mandat. Il quittera ses fonctions en ce mois de juin.

Quelle empreinte a-t-il imprimé sur la structure pendant ces cinq années ? “J’ai mis en place une réforme de notre organisation, en instaurant une liaison entre nos métiers (caisses d’assurances sociales, caisse d’allocations familiales, guichet d’entreprises, secrétariat social et peut-être faudrait-il en ajouter d’autres demain, l’outplacement par exemple) et l’action plus syndicale avec le groupe des 10″, explique-t-il. Il a aussi arraché l’entrée d’administrateurs “indépendants” (l’ancienne ministre Sabine Laruelle, le patron de la Sowalfin Jean-Pierre Di Bartolomeo, le directeur de Trends- Tendances Amid Faljaoui) pour “sortir les discussions de notre petit microcosme”. “Vous n’imaginez pas à quel point ce fut considéré comme une révolution à l’UCM”, sourit Philippe Godfroid.

Il aurait aimé porter la modernisation un cran plus loin, en instaurant une forme de holding chapeautant tous les flux financiers de l’UCM et qui serait dirigée par un CEO. “Nous avons un CA de 32 personnes, poursuit-il. Ce n’est pas facile de réunir régulièrement autant de personnes. C’est pourquoi je souhaitais la création d’un organe plus restreint avec une délégation de pouvoirs.”

Philippe Godfroid s’est heurté à l’organisation provinciale de l’Union des classes moyennes. Le conseil d’administration avait validé, en décembre dernier, l’engagement d’un consultant pour plancher sur diverses formules d’optimalisation de la structure du groupe. Mais les associations provinciales n’ont pas suivi et le projet a été mis entre parenthèses. Ce n’était pas la première fois que le scénario se produisait. Philippe Godfroid a ainsi voulu voir clair dans les rémunérations, indemnités et autres jetons de présence distribués dans les 29 ASBL (130 administrateurs) qui composent l’UCM (comme quoi, les structures publiques wallonnes n’ont rien inventé !). “C’est de l’ingérence, m’ont lancé alors certaines de ces ASBL, soupire-t-il. Moi, je n’en revenais pas. J’ai eu la conviction que nous étions arrivés au bout des réformes que je pouvais mener. La suite, ce sera pour mon successeur.”

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content