Ces levées de fonds d’un nouveau genre qui excitent les start-up

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Les “initial coin offerings” (ICO) permettent de lever rapidement de l’argent via des monnaies virtuelles comme le bitcoin. Plusieurs start-up belges se sont lancées dans ces opérations de financement expérimentales et controversées.

La start-up liégeoise Oceanlab a clôturé son ICO fin août. En à peine un mois, la jeune pousse a levé l’équivalent de 876.300 dollars en monnaies virtuelles. Même s’il espérait atteindre le cap symbolique du million, le cofondateur de la start-up Olivier Saintelet dresse un premier bilan positif de l’opération : ” Une communauté est en train de se créer autour de notre projet. Environ 400 personnes ont participé à notre ICO. Ce n’est pas énorme, mais cela signifie que certains gros fonds ont investi des sommes relativement importantes dans Oceanlab “, souligne-t-il.

Une initial coin offering comme celle d’Oceanlab est une levée de fonds d’un nouveau genre. Réalisée entièrement en ligne, elle nous fait plonger dans le monde mystérieux des monnaies virtuelles (ou crypto-monnaies). Pour son opération, Oceanlab a émis une série de tokens, des actifs numériques représentant en quelque sorte la valeur de la start-up. Ces tokens peuvent être achetés via des monnaies virtuelles comme le bitcoin, le wave ou l’ether.

A l’occasion de son ICO, Oceanlab a créé sa propre crypto-monnaie, l’OCL. L’évolution du cours de cette monnaie, que l’on peut suivre en ligne, donne un indice sur la confiance qu’inspire la start-up auprès des investisseurs, et une certaine idée de la valorisation de l’entreprise. Pour l’instant, Oceanlab se porte bien : la valeur de l’OCL a été multipliée par cinq depuis la clôture de l’ICO.

Les promesses de la “blockchain”

Pourquoi la start-up liégeoise a-t-elle choisi de miser sur ce mécanisme plutôt que de faire appel à des circuits plus classiques de financement ? Tout d’abord parce qu’elle baigne dans le bain des monnaies virtuelles. L’objectif d’Oceanlab est de créer un incubateur dédié à la blockchain, la technologie à l’origine de la création du bitcoin. Oceanlab souhaite notamment conseiller les entreprises qui planchent sur des projets faisant appel à la blockchain. Les promesses de cette technologie sont énormes : la blockchain permet d’automatiser le traitement numérique de tâches qui passent aujourd’hui par des intermédiaires. Elle pourrait par exemple gérer l’ensemble de vos paiements en ligne de façon décentralisée, en court-circuitant les banques. Le secteur financier n’est pas le seul concerné : l’assurance, l’immobilier, l’énergie, le droit, le notariat sont autant de champs d’exploration possibles pour la blockchain.

Alors qu’une soixantaine d’ICO étaient organisées en 2016, les dernières estimations évoquent la barre des 2.000 opérations d’ici fin 2017.

Comme la blockchain est intimement liée aux monnaies virtuelles, l’ICO est la voie royale pour les start-up actives dans ce secteur. En levant des fonds sur des plateformes comme Waves ou Ethereum, elles sont en contact direct avec des détenteurs de portefeuilles virtuels et des investisseurs qui connaissent et comprennent cet environnement complexe.

Environnement risqué

Du côté des business angels et fonds d’investissement traditionnels, la blockchain apparaît encore comme un environnement abscons… et donc risqué. C’est le constat qu’a fait David Mendieta Villegas. Cofondateur de la start-up bruxelloise EDSE (European Decentralized Stock Exchange), il lancera une ICO le 20 novembre, avec pour objectif de lever entre 4 et 15 millions d’euros . ” C’est plus efficace que de passer six à neuf mois à parler avec des investisseurs, pour finalement lever 500.000 ou 1 million d’euros “, explique David Mendieta Villegas. EDSE, qui développe une technologie basée sur la blockchain organisant les échanges sur les marchés financiers, espère lever suffisamment d’argent pour engager 10 à 20 personnes à temps plein et mener son projet à bien.

Dans ce sens, l’objectif d’une ICO ressemble finalement très fort à une levée de fonds classique. Si l’argent récolté prend la forme de monnaies virtuelles (convertibles à tout moment en monnaies ” réelles ” comme l’euro), l’idée est bel est bien de réunir une trésorerie suffisante pour financer le développement de sa start-up.

L’ICO affiche cependant une particularité importante : les tokens détenus par les investisseurs ne peuvent pas être comparés à des actions de la société. Malgré sa proximité sémantique avec l’IPO (inital public offering ou entrée en Bourse), l’ICO est donc très différente de sa grande soeur – ou plutôt cousine éloignée.

Il faut également distinguer l’ICO d’une levée de fonds auprès d’un venture capital (VC). Ce dernier, lorsqu’il finance une start-up, prend une participation dans celle-ci. Par contre, l’investisseur prenant part à une ICO n’a en principe rien à dire sur le pilotage de la société. Sauf dans le (rare) cas où le document qui décrit l’opération (le white paper) octroie un certain pouvoir de décision aux détenteurs de tokens. ” Le propriétaire du token n’est pas actionnaire, décode Etienne Wery, avocat spécialisé en droit des technologies chez Ulys. Il est créancier de l’entreprise. ”

Pas de dilution

C’est un autre avantage, non négligeable pour les créateurs de start-up : leurs parts ne sont pas diluées par la levée de fonds. ” L’ICO est une manière simple d’accéder à du financement. Si on veut le faire correctement, cela demande du temps, peut-être autant que de convaincre un VC. Par contre, et c’est un aspect très important, on ne perd pas notre position dans le capital de la société “, évoque Jo Vercammen, cofondateur de Juru. Cet entrepreneur gantois prépare une ICO pour sa start-up, une plateforme d’identification en ligne utilisant la technologie de la blockchain. Grâce à cette opération, il espère doubler ses effectifs, qui comptent déjà 10 personnes, afin d’assurer le déploiement commercial de sa solution dans toute l’Europe. Jo Vercammen veut rassembler au moins 10 millions d’euros via son ICO.

Beaucoup d’ICO portent sur des projets qui n’ont aucune vraie valeur.” – Sébastien Arbogast (ChainSkills)

Sur ce marché en pleine explosion, les montants sont souvent spectaculaires. Ces opérations concernent de jeunes sociétés, qui n’ont parfois qu’un prototype ou même un simple projet à présenter. Et pourtant, elles parviennent régulièrement à lever des sommes à faire pâlir d’envie le petit monde des start-up. Pour un premier investissement auprès d’un business angel ou d’un fonds, les montants sont rarement supérieurs au million d’euros. Or, dans le domaine de la blockchain et des ICO, les plafonds semblent nettement plus hauts. En 2017, les montants levés via des ICO ont même dépassé les montants levés en early stage (amorçage)auprès des acteurs traditionnels, business angels et fonds de venture capital ! D’après une étude réalisée par Goldman Sachs, les fonds levés depuis le début de l’année sous la forme d’initial coin offerings atteignent déjà 1,25 milliard de dollars. Le phénomène des crypto-monnaies ” ne peut plus être ignoré “, estime Goldman Sachs.

La fièvre des ICO

En 2017, une véritable fièvre des ICO s’est emparée du monde de la blockchain. Le record est (pour le moment) signé par Filecoin, qui est parvenue à recueillir 205 millions de dollars au début du mois de septembre. Comme d’autres avant elle, la start-up a réalisé, juste avant son ICO, un premier tour de table auprès d’investisseurs établis comme Sequoia Capital (YouTube, Dropbox, Instagram, WhatsApp, etc.) ou Andreesen Horowitz (Skype, Zynga, Foursquare, etc.), permettant de réunir 52 millions. Soit un total de 257 millions de dollars pour cette société spécialisée dans le stockage de données. Le précédent record datait de… juillet dernier, avec la start-up Tezos qui levait 233 millions de dollars.

Alors qu’une soixantaine d’ICO étaient organisées en 2016, les dernières estimations évoquent la barre des 2.000 opérations d’ici fin 2017. Le phénomène ressemble de plus en plus à une bulle, comme l’a indiqué Vitalik Buterin, fondateur d’Ethereum, la crypto-monnaie la plus répandue après le bitcoin. ” C’est la nouvelle ruée vers l’or “, confirme Sébastien Arbogast, cofondateur de l’initiative ChainSkills. Formateur et conférencier sur la blockchain, ce spécialiste investit lui-même dans certaines ICO. Mais il recommande la prudence : ” Beaucoup d’ICO portent sur des projets qui n’ont aucune vraie valeur. Certains ne prennent même pas la peine d’écrire un livre blanc pour informer les investisseurs. Personnellement, je n’investis que dans des projets qui présentent un prototype qui fonctionne, et qui dévoilent leurs lignes de code. Si rien n’a encore été mis en production, c’est trop risqué “.

Le risque, comme dans tout type d’investissement, c’est évidemment de perdre tout ou partie de sa mise. Les crypto-monnaies sont caractérisées par une forte volatilité. C’est aussi le cas des tokens (actifs numériques) émis lors des ICO : ” Certains tokens ont rapporté gros, pointe Sébastien Arbogast. La valeur d’Ethereum est passée de 1 à 250 dollars en deux ans. Mais d’autres se sont écroulés. Il y a beaucoup d’arnaques “.

Contrairement à beaucoup de start-up qui lancent leur ICO, nous avons déjà une plateforme totalement fonctionnelle.” – Matthex Van Niekerk et Roderik van der Veer, cofondateurs de Settlemint, qui vient de débuter son ICO

Pour convaincre les investisseurs, les start-up de la blockchain s’emploient à démontrer que leurs business models sont bien en place. Et qu’ils peuvent tenir leur promesse. C’est le cas de la start-up belge Settlemint, qui vient de débuter son ICO avec une vente de tokens à des conditions légèrement plus avantageuses pour les premiers investisseurs. ” Contrairement à beaucoup de start-up qui lancent leur ICO, nous n’avons pas simplement un white paper à présenter. Nous avons déjà une plateforme totalement fonctionnelle “, insiste Matthew Van Niekerk, cofondateur et CEO de Settlemint. Spécialisée dans les solutions blockchain pour les objets connectés, Settlemint a besoin d’argent frais pour engager du personnel et améliorer son produit.

La FSMA marche sur des oeufs

Si le marché des ICO prend son envol au niveau mondial, il reste encore relativement confidentiel en Belgique. Mais, on le voit, des projets émergent. Et on peut dire qu’ils naviguent à vue. Difficile de savoir quel type de réglementation est applicable aux ICO (celle sur le crowdfunding ? ) ou encore quelle fiscalité s’applique sur les tokens (TVA ? Taxe sur la plus-value ? ). Même le régulateur est désemparé. Contactée par nos soins, la FSMA livre une réponse emprunte d’une prudence de Sioux : ” Il n’y a pas de réglementation spécifique pour les ICO, mais différentes législations financières peuvent trouver à s’appliquer, en fonction des caractéristiques et des modalités de chaque opération “. Nous voilà bien avancés. Jo Vercammen (Juru) regrette ce flou artistique : ” C’est dommage que le régulateur ne soit pas plus proactif et qu’il n’édicte pas des lignes directrices pour protéger les investisseurs, mais aussi les start-up qui réalisent une ICO “. Dans d’autres pays, on s’embarrasse moins de circonvolutions. La Chine vient ainsi d’interdire purement et simplement ces opérations.

Les entrepreneurs de la blockchain, quant à eux, pensent avoir trouvé une nouvelle manière de se financer : rapide, efficace, et sans intermédiaires. ” Ces levées de fonds sont encore assez chaotiques, mais les start-up de la blockchain ont besoin de fonds pour grandir, indique Sébastien Arbogast. Comme elles ont du mal à accéder aux circuits classiques de financement, elles ont trouvé cette solution alternative. ” A terme, ce modèle pourrait même convaincre d’autres start-up, en dehors du monde de la blockchain : ” Les ICO vont s’implanter durablement dans le paysage, prédit David Mendieta Villegas (EDSE). C’est une nouvelle manière de faire les choses. Même les investisseurs traditionnels vont s’y retrouver : avec une ICO, tout le processus de la levée de fonds est automatisé “.

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