Réforme du droit des successions: qu’est-ce qui va changer pour vous ?

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A partir du 1er septembre 2018, hériter ne se passera plus comme avant. Une toute nouvelle loi, votée l’été dernier, change complètement la donne. Objectif: adapter le cadre légal des successions et des donations à l’évolution de la société. Quelles conséquences pour votre patrimoine et vos héritiers ? Tour d’horizon des nouvelles règles du jeu.

C’est un sacré dépoussiérage que vient de subir notre droit des successions et des donations, qui datait pour l’essentiel de Napoléon et ne correspondait plus du tout avec nos modes de vie. Non seulement nos enfants héritent toujours plus tard vu l’allongement de l’espérance de vie et souvent à un moment où ils n’en ont plus besoin financièrement, mais en plus on choisit de plus en plus d’autres types d’unions que le mariage, sans compter qu’il y a de plus en plus de familles recomposées, etc.

C’est la raison pour laquelle le législateur, sous l’impulsion du ministre de la Justice Koen Geens, a voté, en juillet dernier, une loi pour adapter ce cadre légal aux réalités familiales d’aujourd’hui. La nouvelle est un peu passée inaperçue dans la presse, qui s’est surtout focalisée sur le budget 2018 du gouvernement et la baisse de l’impôt des sociétés. Mais ” il s’agit d’une réforme d’ampleur “, souligne Vincent Wyart, avocat au cabinet Van Gysel & Wyart. Un avis que partage l’avocate-fiscaliste Sabrina Scarnà (Tetra Law) qui parle d’une réforme à la fois ” réfléchie et intelligente “, et dont les principales modifications concernent la réserve successorale ainsi que certaines règles relatives aux donations.

1. La part des enfants réduite à la moitié du patrimoine

Contrairement à ce qui est prévu par le droit anglo-saxon, – où on fait ce qu’on veut de son argent -, il n’est pas possible chez nous de déshériter ses propres enfants. ” L’idée de base de notre Code civil est que chaque enfant a droit à un minimum du patrimoine de ses parents “, rappelle Valérie-Anne de Brauwere, avocate spécialisée en droit patrimonial au cabinet Thales. Le principe est consacré par ce que, dans le jargon, on appelle la réserve ou part réservataire, soit la proportion du patrimoine qui doit impérativement revenir aux héritiers directs après le décès. Le solde représente la ” quotité disponible ” que vous pouvez léguer à qui bon vous semble.

Jusqu’ici, ce système de la réserve dépendait du nombre d’enfants. Si vous aviez un enfant, la moitié au minimum de votre héritage revenait à cet enfant. Si vous en aviez deux, la réserve s’élevait à deux tiers du patrimoine (soit un tiers pour chaque enfant). Et si vous aviez trois enfants ou plus, ils pouvaient se partager les trois quarts du patrimoine, la quotité disponible ne s’élevant donc qu’à un quart.

Dorénavant, avec la nouvelle loi, la part réservataire des enfants sera limitée, peu importe le nombre d’enfants, à la moitié de la succession. ” C’est la principale nouveauté de la loi “, pointe Sabrina Scarnà. Quoi qu’il arrive, en présence d’enfants ou de petits-enfants, ” la part dont le futur défunt peut désormais disposer librement se montera à 50 % de son patrimoine “, situe Vincent Wyart.

Une nouvelle loi modifie la réserve successorale et le calcul des donations.

En clair, sa marge de manoeuvre devient plus importante pour disposer de son patrimoine comme il l’entend, soit au profit des enfants de son nouveau conjoint, soit au profit d’oeuvres caritatives qui lui tiennent à coeur, etc. Voire, pourquoi pas, de transmettre directement une partie de son patrimoine à ses petits-enfants (soit par donation, soit par testament).

Dans la mesure où l’on vit de plus en plus vieux, un enfant de 60 ans n’est plus forcément dans le besoin pour acheter une maison, par exemple. ” Cela correspond aussi à une évolution des mentalités, note Valérie-Anne de Brauwere. La génération de nos grands-parents avait du mal à transmettre son patrimoine tandis que maintenant c’est davantage rentré dans les moeurs. Il faut dire aussi que le législateur a aidé : il est aujourd’hui plus avantageux de procéder à des donations que d’attendre des droits de succession qui sont confiscatoires. ” D’autant plus avantageux que, comme le souligne Sabrina Scarnà, les Régions, qui sont compétentes en matière de fiscalité pour les successions, ” assimilent les beaux-enfants à de la progéniture en ligne directe. Ils paient donc les mêmes droits de succession que les propres enfants du défunt. ”

2. La réserve des parents disparaît

Jusqu’ici, le système de la part réservataire jouait également pour les parents d’enfants qui décèdent sans héritiers directs. Quelqu’un qui meurt sans enfant voit une partie (25 %) de son patrimoine remonter vers ses parents. Tout cela change avec la nouvelle loi puisque la réserve attribuée aux parents est purement et simplement supprimée. Autrement dit, ils n’ont plus droit à une réserve automatique lorsqu’un enfant disparaît avant eux. Ainsi, le défunt célibataire et sans enfant (et plus spécifiquement le cohabitant) peut choisir librement à qui il souhaite léguer ses biens. Ici aussi c’est une bonne chose, estime Sabrina Scarnà. ” D’abord parce cela répond également au souci de laisser chacun disposer de son patrimoine comme il le veut, cela procure donc plus de liberté. Ensuite parce que cette réserve est rarement nécessaire. Les parents ne sont généralement pas dans le besoin. ”

Un avis que partage Valérie-Anne de Brauwere qui ajoute que ” les personnes sans enfants veulent plutôt aujourd’hui que leur patrimoine revienne à leur partenaire plutôt qu’à leurs parents qui, en règle générale, disposent de suffisamment de ressources financières. ” Ici aussi donc, le changement correspond à une évolution des mentalités. Un testament est bien entendu nécessaire pour désigner les bénéficiaires choisis.

Pour compenser la suppression de la réserve, le législateur a toutefois prévu un mécanisme de protection pour les parents qui seraient en situation précaire. Si la situation le justifie, ils peuvent réclamer une créance alimentaire, à prélever sur la succession sous la forme d’un capital ou d’une rente viagère. ” C’est bien, mais tout de même un peu théorique en pratique “, remarque Valérie-Anne de Brauwere. Il est en effet relativement rare qu’un héritier dispose d’un patrimoine plus important que ses géniteurs.

 datait pour l'essentiel de Napoléon et ne correspondait plus du tout aux modes de vie actuels.
datait pour l’essentiel de Napoléon et ne correspondait plus du tout aux modes de vie actuels.© belgaimage

3. De nouvelles règles pour les donations

On l’ignore généralement, mais une donation au profit d’un futur héritier est considérée comme une avance sur son héritage. Cela veut dire qu’elle doit être ” rapportée ” (comme disent les spécialistes) dans la succession au moment du décès afin de faire partie du gâteau à partager entre les héritiers. Là où les choses se compliquent, ” c’est que la valeur prise en compte pour le rapport de la donation n’est pas, sur base de la loi actuelle, le même selon la nature du bien “, indique Vincent Wyart. Actuellement, le rapport des donations se fait à la valeur au jour de la donation ou à la valeur au jour du décès, selon le type de bien donné (mobilier ou immobilier). S’il s’agit d’un bien meuble comme une somme d’argent ou un portefeuille de titres par exemple, on tiendra compte de la valeur au moment de la donation. Si par contre il s’agit d’un bien immeuble, c’est la valeur au jour du décès qui compte. ”

Imaginons un frère et une soeur dont l’un a reçu un appartement à la mer de 200.000 euros et l’autre un portefeuille de titres (actions, etc.) valant la même chose. Au moment de la mort du parent, quelques années plus tard, les actions du portefeuille ont pris de la valeur et valent 400.000 euros, tandis que le prix de l’appartement se monte à 300.000 euros. Résultat des courses : le portefeuille de titres sera ” rapporté ” dans la succession à sa valeur initiale (soit 200.000 euros) tandis que l’appartement le sera à sa valeur actuelle (300.000 euros), soit une différence de 100.000 euros dont le frère devra rétrocéder la moitié à sa soeur.

La nouvelle loi prévoit une période d’entrée en vigueur d’un an : les nouvelles règles seront donc applicables aux successions ouvertes un an après sa publication, soit le 1er septembre 2018.

C’est pour corriger ce déséquilibre que le législateur a prévu un système dans lequel ” l’héritier doit désormais rapporter selon la valeur intrinsèque du bien donné au jour de la donation, indexée depuis ce jour et jusqu’à la date du décès, en fonction de l’indice des prix à la consommation du mois du décès du donateur “, complète Vincent Wyart. Avec la réforme, cette différence de traitement entre biens immobiliers et biens mobiliers disparaît donc. Ils seront dorénavant traités de la même manière. On corrige ainsi une inégalité qui remonte à l’époque de Napoléon où les biens immeubles (terres, etc.) étaient censés avoir plus de valeur que les biens meubles (vaisselle cassée, etc.).

4. Les pactes successoraux autorisés

C’est l’autre grande nouveauté de la réforme : dans certains cas, les pactes successoraux sont désormais autorisés. Si elle maintient le principe général d’interdiction pour les pactes de succession future, la nouvelle loi élargit les exceptions prévues. ” Et cela pour éviter que les héritiers ne s’accordent entre eux avant le décès sur une répartition des biens et puissent avoir intérêt au décès de quelqu’un. Les pactes successoraux sont toujours interdits, sauf dans deux cas, c’est-à-dire lorsqu’ils sont globaux (tous les héritiers se mettent d’accord) ou ponctuel (visant une opération en particulier). C’est une belle avancée. ” De fait, le législateur répond ainsi à la préoccupation de nombreux citoyens souhaitant régler eux-mêmes leur succession et ce, en concertation avec leurs futurs héritiers. Histoire d’éviter les litiges post mortem. Lorsqu’il s’agit par exemple d’avantager un demi-frère ou de rétablir un équilibre entre ses propres enfants.

5. Un an pour se préparer

La nouvelle loi prévoit une période d’entrée en vigueur d’un an : les nouvelles règles seront donc applicables aux successions ouvertes un an après sa publication, soit le 1er septembre 2018. En cas de décès avant cette date, ce sont les règles anciennes qui s’appliqueront. ” Si vous souhaitez que les règles anciennes continuent à s’appliquer après le 1er septembre 2018 pour les donations consenties avant cette date, il faut alors procéder à une déclaration devant notaire “, conseille Sabrina Scarnà. Par exemple, vous pouvez opter pour que la valorisation en matière de rapport soit toujours régie par l’ancienne loi. Cette déclaration devra alors avoir lieu entre le 1er septembre 2017 et le 1er septembre 2018.

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