Feu orange pour les fonds “verts”

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Surfant sur le succès grandissant des placements durables, nombre de banques ont accentué leurs campagnes marketing. Ces produits vont dans le bon sens pour la planète, et même pour votre portefeuille, mais prêtez néanmoins attention aux détails et aux frais.

Le marché belge fait figure d’eldorado pour les fonds durables. L’épargne disponible est colossale – 265 milliards dorment toujours sur les livrets – et la conscience écologique est assez affirmée (le Belge figure parmi les meilleurs élèves de la planète en matière de recyclage). L’impact combiné de ces deux constats assure le succès des placements durables, ou investissements socialement responsables (ISR) dans le jargon.

Dans son dernier rapport annuel, BNP Paribas Fortis affirme ainsi ” que plus d’un tiers des nouveaux investissements se font dans des produits ISR “. Cela permet à la seule branche belge du géant BNP Paribas de s’affirmer comme le leader des gestionnaires durables auprès des clients privés dans la zone euro. Au total, l’ ASBL Réseau Financité évalue le business du placement ISR à 35 milliards en Belgique( voir le graphique ” Evolution globale de l’encours ISR de 2007 à 2017 ” plus bas).

Fonds thématiques

Les ISR sont présentés comme la solution idéale pour l’épargnant en quête d’un rendement correct et d’un impact positif sur la société afin de contribuer à la réalisation des 17 objectifs de développement durable des Nations unies. Les fonds durables n’ont toutefois pas toujours eu bonne presse. Des investissements dans le charbon, BP (marée noire dans le golfe du Mexique) ou VW ( dieselgate) ont écorné la réputation des ISR.

Les clients particuliers ont ainsi tendance à privilégier les fonds dits thématiques avec une vue claire sur le secteur financé comme les énergies renouvelables ou la microfinance. Potentiellement, cela ne concerne toutefois qu’une part réduite de clients prêts à investir dans des fonds d’actions ciblés.

Ces trois dernières années, l’offre de placements durables s’est étoffée avec des produits grand public comme les fonds d’épargne-pension ou les fonds profilés. Leur principale caractéristique est qu’ils investissent tant dans des produits risqués (actions) que plus stables (obligations) suivant une clé de répartition correspondant à chaque profil d’investisseur (défensif, neutre, etc.).

Feu orange pour les fonds

Une tendance qui n’est pas neuve

Traditionnellement, ces fonds profilés sont organisés comme des fonds de fonds. Ils ne peuvent donc être confectionnés que lorsque l’offre de fonds durables en actions et en obligations est suffisante. Ce développement a été permis par l’émergence des obligations vertes ( lire l’encadré ” Les obligations verdies “) et l’évolution des processus de sélection des ISR.

L’investissement ” bonne conscience ” n’est pas neuf dans le paysage financier. En Belgique, Bacob a fortement promu sa gamme de fonds éthiques dans les années 1990. L’objectif n’était alors que d’éviter l’un ou l’autre secteur comme le pétrole, les armes ou le tabac. Chaque banque y allait donc de son argument pour convaincre les investisseurs. Depuis lors, la gestion durable s’est professionnalisée à grand renfort de chiffres. Outre les fonds thématiques, on assiste ainsi surtout au boom des fonds dits best in class. Cette stratégie consiste à n’investir que dans les entreprises les plus performantes de leur secteur suivant les critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG).

Un zéro pointé pour 83 % des fonds ISR

La méthode de sélection n’est pas exempte de tout reproche. Ces fonds investissent a priori dans tous les secteurs, même si la plupart prévoient quelques exceptions comme le tabac ou le charbon.

Dans un souci de crédibilité, de plus en plus de banques ont recours aux rapports d’agences de notation externes, comme Sustainalytics et Vigeo Eiris. Cela favorise toutefois les structures à même de fournir quantité de données. Lombard Odier se base par exemple sur 115 informations extra financières alors que Vigeo Eiris évoque plus de 330 principes d’action.

Dans son dernier rapport annuel, BNP Paribas Fortis affirme que “plus d’un tiers des nouveaux investissements se font dans des produits ISR “.

La traduction concrète des notes de durabilité dans la gestion est également sujette à une grande interprétation allant de la sélection des meilleurs à l’unique exclusion du fond du panier.

De nombreuses données et des modèles différents ont débouché sur une véritable cacophonie. En Belgique, Financité a tiré la sonnette d’alarme. Sur les 413 fonds durables (y compris thématiques) recensés en Belgique, 83 % obtenaient un score de zéro en raison de l’absence d’informations, de leur opacité ou d’investissements figurant sur la liste noire de l’ASBL comme des ” entreprises pétrolières coupables de catastrophes écologiques ou encore des sociétés peu respectueuses des droits de ses salariés “. Parmi les autres, seul le fonds Triodos Sustainable Pioneer Fund parvient à obtenir une note légèrement supérieure à la moyenne, à 56 %. Le moins pire des gestionnaires est KBC, qui s’en sort avec une note moyenne de 25 % pour l’ensemble de ses fonds ISR.

Des labels peu ambitieux

Face à ce constat, les autorités ont entrepris de réguler le secteur des placements durables à travers des labels. En début d’année, Febelfin a dressé un premier document pour consultation visant à établir ” une norme de qualité des produits financiers durables ” pour la Belgique. La norme définitive pour les labels ” durables ” et ” sans fossiles ” était prévue pour juillet, mais se fait toujours attendre. A ce jour, le label apparaît assez light ( lire l’encadré ” Conditions de la norme de durabilité proposée par Febelfin “) . En France, le label ISR soutenu par le ministère des Finances n’est guère plus ambitieux. Les fonds sont tenus d’analyser suivant les critères ESG au moins 90 % des émetteurs en portefeuille et ne doivent exclure que les 20 % ayant les plus mauvais scores.

Cette vision d’un placement durable demeure sans aucun doute bien éloignée de ce qu’imaginent les épargnants. Il ne faut toutefois pas noircir le tableau. L’élimination des plus mauvais élèves les pousse à s’améliorer, ce qui peut instaurer un cercle vertueux, surtout si tous les fonds deviennent durables à terme, comme certains le prédisent.

Si vous souhaitez que votre épargne contribue significativement à rendre le monde plus durable dans l’immédiat, vous devrez vous renseigner à propos des stratégies de gestion des fonds ciblés.

Une rentabilité durable…

Paradoxalement, la question de la rentabilité des fonds durables, souvent citée comme un frein à ce type d’investissement, apparaît désormais bien moins problématique. Depuis le début des données en novembre 2015, l’indice boursier mondial durable MSCI ACWI Sustainable Impact affiche une hausse annualisée de 11 %, faisant jeu égal avec les marchés boursiers globaux.

Ces trois dernières années, l’offre de placements durables s’est étoffée avec des produits grand public comme les fonds d’épargne-pension ou les fonds profilés.

Cela s’explique notamment par l’engouement des investisseurs pour les placements durables (ou a minima moins nocifs pour la planète). Le fonds souverain norvégien, le plus gros du monde, s’est ainsi allié à ceux d’Abou Dhabi, d’Arabie saoudite, du Koweït, de Nouvelle-Zélande et du Qatar pour intégrer le dérèglement climatique à leur politique d’investissement. Ensemble, ces six fonds souverains gèrent 3.000 milliards de dollars, une puissance financière influente sur les marchés.

Fondamentalement, les sociétés plus durables jouissent aussi de perspectives plus intéressantes. Elles sont moins exposées aux (importantes) amendes environnementales, sociales ou fiscales. Les banques les considèrent ainsi comme moins risquées et leur accordent de meilleures conditions de crédit. Enfin, le business a clairement le vent en poupe, qu’il s’agisse des produits de consommation ou de nouveaux secteurs. Au niveau mondial, de nombreux pays se sont ainsi engagés à développer les énergies renouvelables et le recyclage/réemploi. Les pouvoirs publics font de plus en plus appel à des sociétés privées pour la gestion de l’eau ou des déchets.

… avant frais

Structurellement, le rendement des placements durables est ainsi attendu au moins en ligne avec les marchés. L’investisseur doit toutefois demeurer attentif aux frais : les surcoûts liés à l’analyse de la durabilité doivent demeurer raisonnables. Les frais annuels peuvent en effet dépasser 2 %, comme dans le cas du fonds Triodos Sustainable Pioneer. D’autres fonds peuvent engendrer des frais d’entrée assez élevés (jusqu’à plus de 3%).

Comme pour tout investissement, la gestion passive affiche des frais bien moindres. En se contentant de copier des indices durables, les fonds IndexIQ Factors Sustainable Europe Equity (actions européennes ISR) et IndexIQ Factors Sustainable Corporate Euro Bond (obligations d’entreprises de la zone euro ISR) de Candriam n’affichent que des frais annuels de 0,3 % et 0,35 %. Globalement, l’offre demeure assez limitée en Belgique mais devrait s’étoffer au vu de l’engouement pour les ISR et la gestion passive.

L’obligation “verdie”

Au coeur de la diversification de l’offre de placements durables, on retrouve l’obligation verte dont les émissions devraient atteindre 250 milliards de dollars cette année, selon Moody’s. La première a été lancée en 2007 par la Banque européenne d’investissement (BEI). De nombreuses autres organisations ont suivi à l’image de la Belgique qui a émis sa première OLO verte au printemps, récoltant 4,5 milliards pour financer des projets dédiés à la transition énergétique et à la lutte contre le réchauffement climatique.

Progressivement, on assiste également à un élargissement du spectre, la BEI ayant annoncé une nouvelle ” obligation responsable en matière de durabilité ” destinée à financer des projets liés aux objectifs de développement durable des Nations unies. L’obligation verte demeure toutefois souvent accusée de greenwashing, permettant à des organisations (entreprises ou Etats) de financer à bon compte des projets vaguement écologiques.

Conditions de la norme de durabilité proposée par Febelfin

1. Screening négatif et exclusion des pires contrevenants au Global Compact des Nations unies, des secteurs des armes, du tabac, du charbon de l’industrie pétrolière et gazière non conventionnelle

2. Intégration des critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance

3. Une ou plusieurs des stratégies additionnelles suivantes :Screening positif/approche best in class – Examen sur la base de normes – Investissement durable thématique – Investissement à impact et investissements sociaux

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