Faire le bon choix dans la dette

spécialiste de la dette émergente chez Pictet Asset Management © PG

Après cinq années de performances décevantes, le temps est venu de revenir sur les émissions en devises locales.

Les fonds exposés sur la dette émergente enregistrent des flux importants depuis le début de l’année 2017, selon EPFR Global. Durant le premier trimestre, ce sont ainsi pas moins de 20 milliards de dollars qui ont afflué vers cette classe d’actifs, soit 11 milliards d’euros sur les émissions en devises fortes (essentiellement en dollars) et 9 milliards sur les obligations émises en devises locales. ” Pour la première fois depuis 2009, la croissance économique émergente se montre plus dynamique que dans les pays développés, avec des indicateurs d’activité économique qui restent positivement orientés et des exportations qui sont reparties à la hausse, souligne Eugene Choi, spécialiste de la dette émergente chez Pictet Asset Management. L’intérêt pour la dette en devise locale a également refait surface ces derniers temps. ”

Souverain ou entreprise

Il serait facile de penser qu’investir dans la dette émergente revient d’abord à faire un choix entre investir dans les obligations souveraines ou s’exposer sur la dette d’entreprise. Les performances des fonds sur les cinq dernières années (voir tableau) semblent toutefois montrer qu’il n’existe pas une grande différence sur le long terme entre les deux classes d’actifs, tant en termes de volatilité que de frais ou de performance.

Ceci s’explique essentiellement par le fait qu’investir dans la dette d’entreprise émergente tient avant tout à faire le choix des pays dans lesquels vous allez investir. ” La première règle à respecter lorsqu’on investit sur cette classe d’actifs est qu’il faut avant tout bien choisir le pays, car si celui-ci est dans une mauvaise passe économique ou politique, les émissions des sociétés réaliseront de mauvaises performances, souligne Colm McDonagh, gestionnaire de fonds en obligations émergentes chez BNY Mellon. La deuxième règle est de privilégier les émissions suffisamment importantes (plus de 300 millions de dollars) pour éviter de se retrouver dans du papier dont il ne sera pas possible de se débarrasser si les marchés se retournent. ”

Locale ou forte

Par contre, ce qui a eu un impact très important sur la performance des différents fonds a été la capacité de ne pas avoir été investis dans des émissions en devises locales, et d’avoir au contraire été exposés sur fonds investissant sur des obligations en devises fortes ou qui ont pu se montrer plus flexibles dans leur allocation.

Les meilleurs fonds investis dans la dette locale affichent ainsi une performance pratiquement nulle sur les cinq dernières années, en raison de la forte correction intervenue sur de nombreuses devises émergentes suite à l’annonce de la normalisation de la politique monétaire américaine durant l’été 2013. Les meilleurs fonds ont été ceux qui ont pu se protéger contre l’effondrement des devises émergentes en concentrant la quasi-totalité de leur investissements sur les émissions en dollars.

Rendement

Les investisseurs occidentaux font aujourd’hui face à un environnement très difficile, avec une population vieillissante et des taux d’endettement public qui rendent difficile d’envisager une remontée des taux d’intérêt. A l’inverse, les pays émergents disposent encore de taux qui restent très élevés par rapport au monde occidental, la plupart de ces pays ayant généralement encore une marge de manoeuvre pour ajuster leur taux directeur à la baisse, avec des attentes inflationnistes qui ont également diminué.

Les pays occidentaux n’ont en outre plus beaucoup de réserves pour augmenter leur productivité, tandis que la marge d’amélioration est encore importante dans de nombreux pays émergents. Sony Kapoor, directeur général du think tank économique Re-Define, souligne que les ” investisseurs occidentaux doivent aujourd’hui rééquilibrer leurs investissements en dehors de leur marchés nationaux, vers des pays qui offrent encore des perspectives de croissance de la productivité “.

Risque relatif

” Dans les pays occidentaux, le risque relatif est devenu beaucoup plus important au vu de la faiblesse actuelle des taux obligataires, tandis que les perspectives de rendement se sont effondrées, constate Donald Amstad, spécialiste des marchés émergents chez Aberdeen Asset Management. A l’inverse, dans les pays émergents, les rendements restent attrayants tandis que le risque s’est fortement réduit. A ce titre, il est symptomatique de constater que la volatilité du marché des obligations émergentes est désormais moins élevée que celles des marchés obligataires des grands pays occidentaux, avec des politiques monétaires qui restent très largement orthodoxes. ” Et de pointer que de nombreux pays ont eu la volonté de prendre des décisions économiques difficiles alors même que les pays occidentaux sacrifiaient leurs épargnants en autorisant la descente des taux vers des niveaux historiquement bas. ” Le Brésil ou la Russie ont pris leur traitement de choc et se trouvent aujourd’hui dans des situations qui sont beaucoup plus saines, ce qui autorise aujourd’hui un retour des investisseurs vers ces pays, notamment sur le segment des émissions en devises locales. ”

” Dans un climat caractérisé par une amélioration des indicateurs globaux et par un dollar qui reste fort, nous pensons toutefois que les émissions en devises fortes conservent un attrait certain, souligne Eugene Choi. Depuis 2013, les fonds exposés sur cette tranche du marché se sont montrés très résilients, tandis que les notes de nombreux pays (comme le Brésil, la Russie ou l’Afrique du Sud) ont été dégradées par les agences internationales. Depuis le mois de février, nous avons toutefois commencé à surpondérer des positions en devises locales, même si nous pensons que les monnaies émergentes pourraient encore subir une correction durant les prochains mois. D’ici la fin de cette année, nous pensons toutefois que le contexte pourrait plus largement favoriser la dette en devise locale par rapport à la dette en devise forte. ”

Inde

On l’a vu, le choix d’un pays ou d’une région est primordial pour investir sur la dette émergente. Pour les mois à venir, les différents spécialistes que nous avons interrogés apprécient diverses thématiques de croissance pour les années à venir. Chez Aberdeen Asset Management, Donald Amstad apprécie les perspectives offertes par le marché indien, un pays qui rassemblera 25 % de la population active d’ici quelques années. ” Les émissions indiennes sont peu représentées dans les indices obligataires émergents, en dépit du fait que c’est le marché le plus liquide, note-t-il. La banque centrale indienne a acquis une forte crédibilité ces derniers trimestres, en adoptant avec succès un objectif clair de contrôle de l’inflation. ”

” A mon sens, il s’agit de la meilleure opportunité à l’heure actuelle sur la dette émergente, avec une banque centrale qui dispose d’une marge de manoeuvre pour baisser son taux directeur dans le futur, ce qui devrait permettre de dégager des plus-values attractives durant les prochaines années “, souligne encore Donald Amstad. Et celui-ci de recommander une exposition pure sur un fonds exposé exclusivement sur ces émissions obligataires, pour les investisseurs qui sont en mesure d’encaisser une prise de risque plus importante.

Amérique

Le Mexique fait également partie des pays appréciés par Donald Amstam. ” Nous avons surpondéré les obligations mexicaines dans tous les fonds qui peuvent s’exposer sur ce marché, indique-t-il. Ce pays n’est pas uniquement réservé aux constructeurs américains, mais est également utilisé par de nombreux autres producteurs d’automobiles. Ceux-ci ont d’ailleurs l’intention d’intensifier leurs investissements dans le pays suite à la baisse du peso. A noter que le Mexique est également un pays émergent qui a régi de manière très orthodoxe aux pressions qui ont pesé ces derniers mois sur l’économie, notamment en laissant la banque centrale relever son taux directeur lorsque l’inflation s’est emballée. ”

L’Amérique latine fait également partie des pays appréciés par Eugene Choi. ” Nous apprécions cette région en 2017, notamment en raison des réformes structurelles en cours au Brésil et en Argentine, mais également dans de plus petits pays comme en Bolivie, en Colombie ou au Pérou, explique la spécialiste de la dette émergente chez Pictet Asset Management. Nous sommes par contre moins favorables sur l’Asie (fortement dépendante de la situation en Chine) ou sur l’Afrique du Sud (très dépendante de la croissance mondiale). Enfin, l’Europe de l’Est (liée aux incertitudes européennes) ou la Turquie sont également sous-pondérées à l’heure actuelle. ”

Frédéric Dineur

Les pays émergents disposent de taux qui restent très élevés par rapport au monde occidental, la plupart de ces pays ayant généralement encore une marge de manoeuvre pour ajuster leur taux directeur à la baisse.

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