Plongée au coeur du Heuvelland, la région des Monts des Flandres au bord de la frontière française

DRANOUTER Célèbre pour son Festival des nouvelles traditions, les premiers week-ends d'août. © PG

Soyons de bon compte : avant notre visite, nous n’avions jamais entendu parler du Heuvelland, si ce n’est sur les bouteilles de certains vins belges. Située dans la pointe la plus méridionale du Westhoek, la région des Monts des Flandres fait preuve d’un dynamisme peu commun pour promouvoir ses paysages typiques, sa joie de vivre et ses produits locaux.

A part les amateurs de musique folk ou de courses cyclistes, qui avait déjà entendu parler du Heuvelland ? C’est dans la région qu’est né en 1975 dans la cour de récréation d’une école le fameux festival folk de Dranouter. Dénommé aujourd’hui Festival des nouvelles traditions (tous les premiers week-ends d’août), il a accueilli des stars comme Marianne Faithfull, Elvis Costello, The Corrs, Robert Plant, Patti Smith ou encore Lou Reed. A quelques petits kilomètres de là, se dresse le Mont Kemmel, point culminant (156 m) de la Flandre-Occidentale. Sa montée, étroite et pavée, en fait le juge de paix de la classique cycliste Gand-Wevelgem.

Dranouter comme Kemmel sont des villages regroupés dans la commune d’Heuvelland, avec Westouter, Loker, Nieuwkerke, Wijtschate, Wulvergem et De Klijte. Cette commune fait partie de la région éponyme appelée aussi Monts-des-Flandres avec, outre le mont Kemmel, le Mont Noir ou le Mont Rouge. Cette succession de collines qui donnent au paysage des images typiques se poursuit au-delà de la frontière française appelée ” De Schreve ” par les locaux. C’est le Houtland de la Flandre française dont les communes portent des noms bien flamands comme Berthen, Boeschèpe, Godewaersvelde ou Saint-Jans-Cappel, où vécut Marguerite Yourcenar dans son enfance.

AU DEPART DE LOKER, quelques passionnés ont mis en place trois circuits différents à la découverte du patrimoine local à travers le prisme du Picon.
AU DEPART DE LOKER, quelques passionnés ont mis en place trois circuits différents à la découverte du patrimoine local à travers le prisme du Picon.© PG

Village Patrimoine

Cette extrême proximité tant dans l’architecture que dans la culture et le patrimoine a contribué à la naissance d’un label transfrontalier. Il est vrai qu’on ne remarque aucune différence quand on franchit ” De Schreve “. D’ailleurs, les anciens parlent encore un dialecte qui mélange le français et le néerlandais. En France, le Pays de Flandre a lancé ” Village Patrimoine ” pour promouvoir le tourisme rural et mettre en évidence le patrimoine préservé et le savoir-faire local. Le Westhoek l’a imité en 2012 en lançant ” Charmant Dorp “. Aujourd’hui, 35 villages, qui disposent chacun d’un guide villageois qui anime des circuits, appartiennent à ce réseau. Les différentes routes et villages sont à découvrir sur www.effetflandre.fr et www.lewesthoek.be. Quatre des sept villages de Heuvelland font partie du réseau.

En plein centre de Kemmel, le tout nouveau centre des visiteurs du Heuvelland, un ancien presbytère, est le point de départ obligé pour découvrir la région (www.toerismeheuvelland.be – 057/45 04 55). Impossible évidemment de venir dans le Westhoek sans parler de la Première Guerre mondiale dont les combats, rudes, ont profondément marqué la région et ses paysages. Notamment les fameuses détonations des mines souterraines allemandes, provoquées par les Anglais en 1917. Elles ont laissé des traces indélébiles comme la Pool of Peace, un cratère de 129 m de diamètre et 12 de profondeur que l’on peut découvrir à Wijtschate. Heuvelland regorge de souvenirs de cette époque troublée comme Lettenberg, le quartier général souterrain des Anglais ou le Bayernwald, qui contient des tranchées allemandes restaurées. Le centre des visiteurs propose aussi une exposition qui retrace le rôle stratégique des collines du Heuvelland dans le déroulement de la ” sale guerre “. Des circuits et des visites guidées sont aussi disponibles sur demande.

A WESTOUTER, le domaine viticole Entre-Deux-Monts est survolé par un télésiège.
A WESTOUTER, le domaine viticole Entre-Deux-Monts est survolé par un télésiège.© WESTTOER/PG

En haut du Mont Kemmel

Autre curiosité : au pied du Mont Kemmel se dresse aussi un vestige de la guerre froide : un bunker de commandement, construit au début des années 1950, et qui devait faire partie d’un système de défense aérienne de l’Europe occidentale dans le cadre du Traité de Bruxelles. Il ne remplit jamais ce rôle car l’Otan installa son propre système de défense. En 1963, le haut commandement des forces armées belges décida d’aménager le bunker en poste de commandement en cas d’exercice, de crise ou de conflit. Aujourd’hui, conservé tel quel, le bunker fait partie du Musée royal de l’Armée de Bruxelles et sert de centre d’interprétation. Il explique le rôle joué par la Belgique dans la guerre froide et lève un voile sur le fameux réseau clandestin Stay Behind.

Arpenter le Mont Kemmel est évidemment un must. Tout en haut, le Belvédère, monument classé, offre, par temps clair, l’une des plus belles vues de la région, notamment sur la France et même la côte. Le Mont Kemmel est entouré d’un domaine provincial de 85 hectares avec de nombreux sentiers de promenade.

Quant au sommet, il abrite aussi le meilleur restaurant du coin : l’Hostellerie du Mont-Kemmel dont la terrasse vaut le détour. Doté de 13 sur 20 au guide Gault & Millau, le chef y élabore une cuisine de produits qui ravira les amateurs d’un certain classicisme de bon goût. L’Hostellerie, fondée en 1954 par le baron Jacques Bruneel de la Warande, alors bourgmestre de Kemmel, dispose aussi de 23 chambres. Ce n’est pas la seule trace laissée par le baron puisque la demeure familiale, un imposant château de style néo-renaissance construit en 1925, sert aujourd’hui de maison communale à Heuvelland.

La multiplicité des collines, des villages et des paysages se prête à la paisible découverte. Le Westhoek est traversé par 275 kilomètres de voies cyclables rénovées. L’office du tourisme du Heuvelland propose des circuits qui supposent qu’on grimpe, tôt ou tard, l’un ou l’autre mont. Si cela vous effraie, un réseau pédestre balisé de 270 km vous permet de jouer à saute-moutons avec la frontière et découvrir la nature plus à l’aise. Là aussi, l’office de tourisme dispose de cartes et de circuits. Et il est aussi possible de parcourir les routes de la région en voiturette de golf. Quatre routes sont proposées avec un GPS préprogrammé. Elles vous emmènent le long des plus chouettes chemins de la région pour être sûr que vous ne ratiez rien (www.golfkarwesthoek.be )

Appellation d’origine contrôlée

HEUVELLAND est l'une des cinq appellations contrôlées agréées en Belgique.
HEUVELLAND est l’une des cinq appellations contrôlées agréées en Belgique.© PG

Poperinge n’étant pas très loin, la bière fait également aussi partie du patrimoine local. Tout comme le Picon. Originaire d’Algérie, cet amer, élaboré avec de la gentiane, du quinquina et des zestes d’oranges, est une véritable institution dans le Heuvelland comme dans le nord de la France. C’est d’ailleurs là que s’écoule l’essentiel de la production. Immortalisé au cinéma lors des scènes de cuite mémorables de Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo dans Un singe en hiver, le Picon se boit souvent avec de la bière ou du vin blanc. En fait, dans le coin, la tradition est très vivace et de nombreux cafés, des deux côtés de la frontière, proposent leur propre recette. Au départ de Loker, quelques passionnés ont mis en place trois circuits différents qui vous vont découvrir le patrimoine local à travers le prisme du Picon (plus d’infos sur www.piconroutes.com). Original !

C’est également dans ce petit coin de la Belgique que s’élaborent quelques-uns des meilleurs vins belges. Car Heuvelland est l’une des cinq appellations contrôlées agréées en Belgique. La disposition en vallons, la présence de bois protecteurs, un sol riche en fer (appelé ici grès de fer) qui permet un bon drainage et la relative proximité de la mer du Nord sont autant de facteurs qui autorisent une viticulture de qualité. Une petite vingtaine d’exploitants parsèment la région mais seuls deux, les domaines Entre-Deux-Monts et Monteberg, en vivent. C’est d’ailleurs à Monteberg, au pied du Mont Kemmel, que Ward Six a planté les premiers pieds de vigne en 1996. Depuis, le domaine a bien évolué. ” Nous exploitons 10 hectares, explique Edward Six qui a repris le domaine familial avec sa soeur Katrien. Et un hectare supplémentaire en collaboration avec un viticulteur champenois. Nous avons planté 11 cépages différents, principalement du kerner, du pinot noir et du pinot gris. Finalement, seul le riesling n’a jamais marché chez nous. Impossible de l’amener à maturité. Nous produisons surtout des blancs et du mousseux. ”

WIJTSCHATE On peut y découvrir la Pool of Peace, un cratère de 129 m de diamètre et 12 de profondeur, datant de la Première Guerre mondiale.
WIJTSCHATE On peut y découvrir la Pool of Peace, un cratère de 129 m de diamètre et 12 de profondeur, datant de la Première Guerre mondiale.© PG

Déjà très professionnel dans son accueil, le domaine de Monteberg travaille à un agrandissement de ses structures pour absorber l’augmentation de sa production. Ce n’est pas une surprise tant les cuvées de la famille Six valent le détour. Avec une mention particulière pour le Kerner 2017 (avec 4 % de müller- thurgau), un blanc complexe et aromatique (11,50 euros) et le Dornfelder 2017 rosé, une véritable bombe avec de belles notes d’agrumes et une remarquable consistance (11,50 euros).

VUE SUR LE MONT KEMMEL Par temps clair, le Belvédère situé à son sommet permet de voir jusqu'à la côte.
VUE SUR LE MONT KEMMEL Par temps clair, le Belvédère situé à son sommet permet de voir jusqu’à la côte.© PG

Balade en télésiège

A Westouter, le domaine Entre-Deux-Monts vaut déjà le détour par une véritable curiosité. Il est, en effet, survolé par un télésiège, le seul de Flandre ! Ouvert à la belle saison le week-end à partir du mois de mai (départ au 75, Rodebergstraat), le Cordoba a été construit en 1957 par des Autrichiens. Pour cinq euros, il relie deux brasseries sises sur le Mont Vidaigne et le Baneberg, deux sommets latéraux du Mont Rouge et du Mont Noir. Au domaine Entre-Deux-Monts, l’histoire de la vigne est celle d’une continuité familiale : les terres appartiennent au grand-père, l’idée de la viticulture vient du papa et le savoir-faire est celui du fils, Martin Bacquaert, qui a obtenu en France un diplôme national d’oenologue. Dans leur production, le Bacquaert brut est sans doute la cuvée la plus connue. C’est un assemblage de chardonnay et de pinot noir obtenu par méthode traditionnelle. La bulle est fine avec des notes d’agrumes, de brioche et de beurre. Voilà une excellente alternative au Ruffus ou autre Chant d’Eole dans la désormais belle tradition des excellents effervescents belges. Martin élabore aussi une autre bulle plus fruitée qui fait un tabac dans les restaurants du Westhoek : le Wiscoutre. On avoue un faible pour son Pinot Noir 2015. Enfin, le domaine Entre-Deux-Monts élabore aussi la Fine du Westhoek au nom de tous les vignerons de l’ASBL Vintage Heuvelland (lire l’encadré ” Sept vignobles à découvrir le 20 mai”). Un joli petit digestif aromatique et fruité et plutôt doux en bouche.

La production du Heuvelland en se limite pas aux deux stars de l’appellation. Les ” amateurs ” valent aussi le détour. L’un est professeur dans le secondaire, l’autre graphiste, un troisième pédiatre à la retraite, un autre encore exploite un tout joli bed & breakfast à Loker, etc. Tous témoignent d’une belle passion et d’une modestie liée à l’étroitesse de leur production. Mais franchement, le Régent 2016 du domaine Vidaigne, Den Blauwer (un assemblage étonnant de régent et de sweigelt, un cépage autrichien) du domaine Koudekot ou le Koolwitje, un blanc de pinot noir élaboré par la Ferme de Hellekapelle méritent de figurer dans toute bonne cave. Les trouver en Wallonie ou à Bruxelles n’est pas chose aisée. John Collijs, sur son site lesvinsbelges.be, en propose une sélection. Le mieux est d’aller les déguster sur place et de suivre la route des vins mise en place avec l’office du tourisme.

Par Xavier Beghin.

Sept vignobles à découvrir le 20 mai

KOUDEKOT (Dranouter), un des vignerons participants
KOUDEKOT (Dranouter), un des vignerons participants© PG

L’ASBL Vintage Heuvelland regroupe 19 domaines viticoles, tous situés dans le Westhoek sauf le domaine de la Bicoque à Bas-Warneton en France et La Ferme Bleue à Comines. Très active, elle veut promouvoir l’oenotourisme et organise deux événements très pratiques pour qui veut découvrir la (bonne) production locale. Le dimanche 20 mai, sept vignerons ouvriront leurs portes et feront découvrir leurs cuvées et produits artisanaux annexes de 10h30 à 17h30. L’entrée est libre. Il n’est donc pas nécessaire de prendre rendez-vous. Les vignerons participants sont : domaines Vidaigne et Entre-Deux-Monts à Westouter, Ferme viticole d’Hellekapelle à Loker, domaines Koudekot, Monteberg et Reyngaard à Dranouter, domaine Klein Rijselhoek à Loker. La veille, il est aussi possible de participer à la fête des vignerons à la Ferme viticole d’Hellekapelle (menu à 23 euros). Enfin, l’ASBL organise aussi une gigantesque fête du vin dans le Warandepark à Kemmel le 15 août.

Plus d’infos sur www.vintageheuvelland.be ou au 0478/42 91 91.

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