Douro ne rime pas qu’ avec porto

et ses fameux vignobles en terrasse, la famille Symington produit parmi les meilleurs portos au monde, mais aussi des vins rouges à l'étonnante fraîcheur. © PG

Depuis cinq générations, la famille Symington est active au Portugal dans l’élaboration et le commerce du porto. A la tête d’un vignoble de plus de 500 hectares, elle possède quelques-unes des marques les plus prestigieuses comme Graham’s ou Dow’s. Mais dans le Douro, le vin rouge vaut tout autant le détour…

Chez nous, le porto est un bon vieux classique de l’apéritif. Au Portugal, pas question d’en servir avant le repas. Ou alors dans leur version moderne du gin-tonic : une dose de porto blanc bien sec et une dose de tonic. Rafraîchissant et pas sucré pour un sou. Car, oui, boire du porto à l’apéro va anesthésier vos papilles gustatives pour tout le repas. Au Portugal, le porto est un vin qui accompagne dessert et fromage. Et pour un meilleur accord mets et vins, ils vont même jusqu’à vous servir le premier avant le second… Et ce n’est pas la seule incongruité : en fait, le porto porte très mal son nom puisqu’il n’est pas du tout issu de la ville éponyme ! Les vignobles sont en réalité sis dans la superbe vallée du Douro, située à une bonne heure et demie de route de Porto. Jusqu’il y a peu, les barriques de porto étaient transportées par bateau depuis les quintas (nom portugais qui désigne les exploitations agricoles) jusqu’aux grands lodges de Vila Nova de Gaia, petite commune qui fait face à Porto de l’autre côté de l’embouchure du Douro.

Trois grands types de portos

Après un premier hiver passé dans le Douro, le porto va, en effet, vieillir dans d’énormes entrepôts dont certains, admirablement conservés, datent encore du 19e siècle. Visiter ces lodges est la première étape pour comprendre le porto et les différences entre rubys, tawnys et vintages. Le porto bas de gamme que vous trouvez à moins de 10 euros dans les grandes surfaces, est un ruby, soit un porto jeune qui n’aura vieilli que deux ans en fût et n’évoluera plus avec le temps. De temps en temps, quand l’année est exceptionnelle, les vignerons vont déclarer le millésime et certains assemblages vont passer en vintage. Il s’agit d’un porto millésimé dont la bouteille est obturée par un bouchon de liège classique. Il a vieilli deux ans en barrique et, comme le vin classique, il va continuer à évoluer dans la bouteille. Ce n’est pas fréquent. Par exemple, Graham’s, la marque la plus primée au monde, n’a plus déclaré de vintage depuis 2011. Parfois, un millésime rate sa promotion de peu (une marque a deux ans pour le déclarer) et est déclassé. On le laisse encore vieillir entre deux et quatre ans et il devient un late bottled vintage. Il ne vieillit guère plus dans la bouteille et sa conservation est limitée. Il s’agit d’un ruby de grande qualité plus accessible en termes de prix qu’un vintage.

Un tiers de la production

Enfin, le tawny (mordoré en anglais) est un porto qui subit, en barrique, un vieillissement oxydatif délibéré au contact de l’air pendant de nombreuses années. Plus il vieillit, plus il devient doux, délicat et fin avec des notes d’épices et de fruits séchés. Une fois mis en bouteille, il n’évolue plus. C’est le compagnon idéal des desserts au chocolat, des tartes aux pommes, des crèmes brûlées, etc. Ici aussi outre les habituels 10 ans, 20 ans, 30 ans ou 40 ans, les marques peuvent millésimer un tawny en fonction de sa haute qualité. Ce sont assurément de grands vins.

La production de porto est l’une des plus réglementées au monde tant dans les vignobles que dans les chais ou les lodges. L’institut des vins de Porto doit donner son assentiment sur à peu près tout et contrôle les échantillons. L’une des règles les plus incroyables est celle du tiers. Une marque ne peut vendre chaque année qu’un tiers de sa production et de ses stocks. L’idée est évidemment de laisser vieillir les vins et de ne pas inonder le marché chaque année avec du porto trop jeune et de piètre qualité. Cette règle n’est pas sans influence sur la propriété des maisons de porto. Il faut, en effet, les reins solides (mais aussi l’envie) pour pouvoir s’asseoir sur deux tiers de sa production, surtout quand les années sont moins bonnes.

La saga de Symington, présent à Porto depuis 1882, n’en est que plus que remarquable. C’est la seule compagnie majeure productrice de Porto qui soit contrôlée par une seule famille. Elle raconte son histoire dans le Lodge Graham’s qui se visite sur réservation toute l’année à Vila Nova de Gaia. Le patriarche, Andrew James Symington, relie, par son parcours professionnel, trois des plus grandes marques de porto au monde : Warre, Dow’s et Graham’s. Cinq générations et 135 ans plus tard, ces trois marques appartiennent désormais pleinement à la famille. Comme Cockburn’s, le porto préféré des Britanniques que l’on retrouve aussi depuis peu chez Colruyt. Le lodge propose aussi des séances de dégustation et dispose d’un restaurant, Vinum, avec vue panoramique sur la ville de Porto. On peut y déguster, entre autres, un repas arrosé exclusivement de différents types de porto. Il n’y a pas à dire, cela décoiffe les papilles !

Cette même expérience, les Belges pourront la vivre au mois de novembre. La Graham’s Port Week débutera le lundi 13 dans une série de restaurants belges qui proposeront un menu spécial d’accords mets et portos. Comme, par exemple, aux Gribaumonts, le restaurant montois de Lisa Calcus, Lady Chef of the Year en 2012.

Train touristique

Mais rien de tel pour apprécier un vin que d’aller humer l’air des vignobles et d’aller écouter les vignerons raconter leur histoire. Pour le porto, une jolie route des écoliers s’offre à vous : un train qui relie Porto à la vallée du Douro et qui sur la majeure partie de son parcours longe le fleuve et offre des vues à couper le souffle. Et pour une expérience complète, il faut descendre à Pinhao. La vieille gare est l’une des plus belles du Portugal avec les murs couverts d’azulejos qui racontent le travail de la vigne. Une fois descendu du train, il faut monter pour aller découvrir les vignobles et leurs terrasses en schiste difficiles d’accès dont certaines ont été classées au patrimoine de l’Unesco. Les routes sont cabossées, escarpées et les virages très serrés. Impossible ici de vendanger mécaniquement. Tout se fait à la main et vu la température qui régnait encore à la fin août au moment du lancement des vendanges, on imagine aisément la quantité de sueur nécessaire pour produire une bouteille de porto. L’âpreté de la tâche est adoucie par la vue incroyable de cette vallée dont le Douro est le fil rouge ainsi que par les nombreux oliviers plantés après l’épidémie du phylloxera.

Un cadeau appelé Altano

Si elle produit des portos parmi les meilleurs au monde depuis longtemps, il a fallu attendre les années 2000 pour voir la famille Symington se lancer dans la production de ce qu’ils appellent le vin de table, soit des vins rouges et blancs classiques. C’est le début, au Portugal et en Europe, de la renaissance des vins issus de l’AOP Douro. Malgré la sécheresse et la chaleur accablante qui règne dans la vallée en été, les vins rouges du Douro présentent une remarquable fraîcheur en bouche. A mille lieues des poncifs qui veulent qu’un vin portugais soit très mûr et très concentré et vous tombe dans les chaussettes. ” Cette fraîcheur a plusieurs explications, confie Charles Symington, responsable de la viticulture et de l’élaboration des vins dans le groupe. Les cépages utilisés dans les vins rouges sont bien adaptés à la région. Le touriga national présente un haut niveau d’acidité et cela aide beaucoup. Le touriga franca est, lui, plus doux, plus mûr. Mais tout est une question d’équilibre. Pour atteindre cette fraîcheur, il est aussi crucial de vendanger au bon moment. Et pour cela, il ne faut pas arrêter de déguster les raisins dans le vignoble. ”

En 2000, Symington lance Altano, son premier rouge en AOC Douro. Il sera suivi du reserva en 2003 (quasiment un monocépage de touriga national), du blanc en 2004 et de la version bio, l’organic, en 2010. Les raisins proviennent de différents vignobles (Vale da Vilariça, Vale Malhadas, etc.) situés dans le Douro supérieur, soit la partie la plus sèche et chaude de la région. D’où le nom qui fait référence au vent chaud de l’été. Les quatre vins de la gamme Altano sont disponibles en exclusivité chez Delhaize à des prix variant entre 5,89 et 9,89 euros. Franchement, à ce prix-là, c’est que du bonheur. On avoue une tendresse particulière pour le bio et le reserva. Le premier, d’une belle couleur foncée, présente un bel équilibre entre matière et fraîcheur avec des notes de fruits rouges bien mûrs, d’épices et de fleurs. Le reserva est un grand vin, ample, structuré, aux tannins soyeux et avec une remarquable persistance en bouche. C’est une jolie porte d’entrée pour qui veut découvrir toute la typicité du touriga national, le plus grand cépage portugais.

La griffe de Bruno Prats

En 2000, la famille Symington va aussi se lancer dans le vin rouge haut de gamme. Et elle ne va pas faire les choses à moitié puisqu’elle s’est associée avec Bruno Prats qui a, pendant près de 30 ans, présidé aux destinées du fameux Cos d’Estournel, deuxième grand cru classé de Saint-Estèphe. P+S, le nom de l’association des deux familles, possède aujourd’hui deux vignobles où, fait rare dans le Douro, les raisins sont d’abord choisis pour l’élaboration du vin de table et pas pour le porto. ” Au moment de l’association avec Bruno Prats, je débutais ma carrière, se souvient Charles Symington. J’étais inexpérimenté, singulièrement dans l’élaboration de vins classiques. J’ai énormément appris, et je continue d’ailleurs aujourd’hui, à son contact. Bruno est un dégustateur et un assembleur hors pair. ”

Sans surprise, les deux vins principaux de P+S, le Chryseia et le Post Scriptum, font la part belle à un assemblage de touriga national et de touriga franca. Même si on peut trouver, certaines années, du tinto roriz (l’équivalent du tempranillo espagnol) dans le second. Le Chryseia est tout simplement un immense vin rouge avec des notes de prunes et de cerises. Un vin puissant aux tannins bien présents qui laissent supposer un beau potentiel de garde. Là aussi, une remarquable fraîcheur apporte un bel équilibre à l’ensemble. Les vins de P+S sont disponibles en Belgique chez Alhambra à Gand (09/233 35 36).

Une bibliothèque des cépages

Symington produit encore de remarquables vins rouges à la Quinta do Vesuvio et la Quinta do Ataides. Ils valent le détour mais ne sont pas encore disponibles chez nous. C’est aussi à la Quinta do Ataides que Charles Symington et ses équipes ont érigé une véritable bibliothèque des cépages. Ils ont planté, à titre d’étude, une cinquantaine de cépages différents dont certains ne sont pas indigènes. ” L’institut des vins de porto recommande cinq cépages, explique Charles Symington. Le touriga national, le touriga franca, le tinta roriz, le tinta cao et le tinta barroca. Et nous avons eu tendance à oublier tous les autres. Ici, non seulement, nous menons des recherches sur les cinq cépages principaux mais nous regardons aussi si d’autres voies ne sont pas possibles. Nous pensons à l’alicante bouschet ou au sousao. Nous avons d’ailleurs intensivement planté ce dernier. Il a un peu un effet de sel et poivre dans les assemblages. C’est un cépage qui offre beaucoup de couleur mais aussi beaucoup d’acidité. Et dans des années très chaudes comme celle-ci, il pourrait être très utile dans nos portos. Moins dans les vins classiques car il ne convient pas à notre style. ”

Chez les Symington, la tradition est une valeur sacrée. On ne détient pas un tiers du marché des portos haut de gamme pour rien. Mais tradition ne veut pas dire conservatisme. Aujourd’hui, le foulage au pied, première étape, après la vendange et avant la fermentation, de l’élaboration d’un porto, a été, sauf exception, remplacé par une remarquable machine dont les excroissances douces en silicone imitent le pied humain. Et la maison travaille aussi avec une firme pour tenter de mettre au point une vendangeuse spéciale pour, quand même soulager, le travail manuel.

” Ce que je sais, je l’ai appris de mon père, conclut Charles Symington. Car faire du porto ne s’apprend pas sur les bancs de l’université mais dans les vignobles et les chais. J’ai un immense respect pour cette tradition qui a fait de nous ce que nous sommes. Nos marques sont synonymes de grande qualité grâce à ce savoir-faire transmis mais aussi parce que contrairement à d’autres, nous possédons énormément de vignes, plus de 500 hectares. Maintenant, par la recherche et les nouveaux moyens techniques, je cherche à faire valider cette tradition et à l’améliorer. Car il faut toujours regarder devant soi. ”

Xavier Beghin à Pinhao

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