Dollar vs Allah

Amid Faljaoui, Rédacteur en chef de Trends-Tendances

C’est la friture complète sur la ligne téléphonique entre Ankara et Washington. Il faut dire que la livre turque a littéralement chuté de 50 % face au dollar depuis le début de l’année et de 20 % le vendredi 10 août. La faute à qui ? Pour le président turc, cette chute n’est que le résultat d’un complot contre son pays de la part des Etats-Unis !

Le président turc a d’ailleurs expliqué que si ” les Etats-Unis ont le dollar, nous avons Allah “, et Recep Erdogan n’a pas hésité à demander à ses compatriotes de soutenir leur devise : ” Si vous avez des dollars, des euros ou de l’or sous votre oreiller, allez dans les banques pour les échanger contre des livres turques “. Mais malgré ce coup de gueule, la chute de la livre turque n’est pas près de s’arrêter car Donald Trump vient d’imposer des droits de douane de 20 % et 50 % aux importations d’aluminium et d’acier en provenance de Turquie.

La guerre commerciale ne fait donc que commencer entre ces deux pays qui font pourtant partie de l’Otan et alors même que les Etats-Unis disposent d’une base militaire dans le sud de la Turquie. Alors, pourquoi cette guerre verbale et commerciale entre ces deux pays ? Au coeur de cette bataille, il y a le sort d’un pasteur américain qui est en détention surveillée en Turquie et qui est accusé de ” terrorisme ” et ” d’espionnage “. Le président turc estime que ce pasteur est l’architecte du coup d’Etat manqué de juillet 2016. De leur côté, les Etats-Unis demandent sa libération immédiate et les Turcs s’y refusent, prétextant que c’est aux tribunaux turcs d’en décider. En revanche, ils demandent l’extradition de Fethullah Gülen, un prédicateur turc installé aux Etats-Unis depuis 20 ans et, lui aussi, soupçonné d’être à l’origine du putsch manqué de 2016.

Il est mauvais d’oser mettre la Turquie à genoux avec des menaces contre un pasteur. Honte à vous, honte à vous. Vous échangez votre partenaire stratégique de l’Otan pour un prêtre”, a déclaré Recep Erdogan.

Nullement démonté par les représailles économiques américaines, le président Erdogan continue de fustiger les Etats-Unis et de faire comprendre à Donald Trump qu’il risque de perdre un allié dans la région : ” Il est mauvais d’oser mettre la Turquie à genoux avec des menaces contre un pasteur (…). Honte à vous, honte à vous. Vous échangez votre partenaire stratégique de l’Otan pour un prêtre “.

Durant tout ce match de ping-pong entre la Turquie et les Etats-Unis, la victime collatérale, c’est, hélas, notre bonne vieille Europe. La preuve, vendredi 10 août, les Bourses européennes ont chuté, et notamment le segment des actions bancaires. La raison ? Un article du Financial Times a semé le trouble sur les actions bancaires européennes. Selon cet article, la BCE (Banque centrale européenne) est inquiète de ce qui se passe en ce moment en Turquie car les banques européennes y sont très présentes : elles y sont très exposées au travers de certains crédits en devises. La BCE a peur que les emprunteurs turcs ne soient pas couverts contre la baisse de leur monnaie nationale. Or, ces crédits non couverts représenteraient jusqu’à 40 % des actifs du secteur bancaire turc. Et voilà pourquoi certaines banques européennes très actives en Turquie ont vu le cours de leurs actions chuter la semaine dernière.

Au fond, c’est aussi ça la mondialisation : même quand deux pays éloignés physiquement du nôtre se disputent, c’est parfois la banque du coin qui trinque. Qu’on aime ou pas Donald Trump, force est de constater qu’il a démontré que son pays reste le maître du monde. Des doutes ? Regardons autour de nous : la livre turque est en chute, le rouble russe dévisse autant, l’économie iranienne est en déroute, et la Bourse chinoise souffre le martyre. Bref, cette déroute économique frappe des pays qui osent s’opposer à la politique de Donald Trump. Marc Fiorentino, ancien trader et observateur avisé de la Bourse, fait remarquer avec raison que ” c’est une impressionnante démonstration de la force économique américaine “. Pour le meilleur comme pour le pire.

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