De princesse à impératrice

Fabien Nury et Matthieu Bonhomme, " Charlotte Impératrice - t. 1 : La Princesse et l'Archiduc ", éditions Dargaud, 16,95 euros. © pg

La dernière case du premier tome de Charlotte Impératrice montre le visage de l’héroïne en gros plan, affirmé et fier. En cette image réside tout l’enjeu narratif de cet épisode qui nous raconte comment une princesse est devenue impératrice. ” E viva el imperatriz Carlotta “, clame la foule. A peine arrivés d’Europe, Maximilien d’Autriche et son épouse Charlotte sont intronisés au Mexique en 1864, un pays où ils n’ont jamais mis les pieds. L’issue de cette histoire ne sera pas heureuse, on le sait. ” C’est un univers essentiellement masculin, très virilo-westernien, ajoute le scénariste Fabien Nury. Adopter un point de vue féminin change toutes les perspectives et ça permet d’aller avec Charlotte là où les autres ne sont pas allés. ” La princesse de la jeune Belgique est promise à un mariage diplomatique sous le regard mélancolique de son père Léopold Ier. Mais au roi du Portugal, la jeune fille de 16 ans choisit un autre cousin, le frère cadet de l’empereur d’Autriche-Hongrie François-Joseph. Le mariage n’est pas idyllique. Maximilien, dilettante et fainéant, délaisse son épouse, se sent floué par son aîné et s’engage par vengeance dans une négociation avec Napoléon III, l’ennemi des Habsbourg. Le Mexique, dont la république de Juarez vacille, pourrait s’avérer un refuge plus prestigieux que le palais Miramar de Trieste. Charlotte pousse subtilement Maximilien dans son ambition d’un destin impérial, ” une occupation ” pour son mari, aurait-elle même dit. ” Elle fonce dans la carrière et dans l’ambition pour combler des manques affectifs “, confirme l’auteur.

Un empire ne sera pas de trop pour compenser tout ce que j’ai sacrifié à mon mari.

Le spécialiste de la fiction historique qu’est Nury ( La Mort de Staline, Il était une fois en France) a vu dans cet épisode du 19e siècle le terreau idéal pour une aventure romanesque. Les auteurs l’assument, y compris Matthieu Bonhomme dans son dessin. Lui qui nous avait enchanté avec L’Homme qui tua Lucky Luke et sa série Esteban varie les ambiances pour conférer à cette fresque en quatre chapitres des atours hollywoodiens, ” glamour et poussière “, dit-il lui-même. La magnifique double page consacrée au mariage des archiducs est digne d’un reportage photo de Point de vue, et assume le faste de la cour viennoise. ” Il y a un gros travail de documentation. C’est une princesse, j’assume qu’elle ait à chaque fois une nouvelle tenue et une nouvelle coiffure “, nous explique le dessinateur qui a confié la mise en couleurs des plus soignées à Isabelle Merlet. ” Je me suis pris à observer les vieux journaux et leur grain et leur chromatologie si particuliers “, rugueux et doux à la fois, jouant sur l’ensoleillement excessif des extérieurs et sur le feutré des intérieurs éclairés à la bougie. Le plus bel exemple ? La scène de la nuit de noces : la duègne vient constater le drap taché par l’union consommée, Charlotte se recroqueville sous son drap comme une petit fille apeurée, le visage à moitié dans l’ombre. L’album regorge de ces grandes intensités dramatiques : du marivaudage dans les serres de Laeken (un anachronisme qu’on leur pardonne) à la rivalité avec Sissi. ” On recherche tous les points où les enjeux personnels rejoignent les enjeux historiques. Dès qu’on les trouve, on les garde, ajoute Fabien Nury, spécialiste de la fiction historique. On essaie de faire quelque chose à la Visconti mais on le subvertit en amenant un peu d’humour noir. ”

Sur la couverture, Charlotte exhibe une robe à la Scarlett O’Hara et une épaule séductrice à la Margaret d’Angleterre, parfaite symbiose d’authenticité et de modernité de la princesse et de sa représentation. Mais pourquoi nous fascine-t-elle ? ” C’est une princesse malheureuse et tragique, répond Fabien Nury. Le peuple adore admirer les meringues mais aussi deviner une humanité sordide derrière ça. Il y a une curiosité salace, une envie de les voir dégringoler et une admiration devant les fastes. C’est là qu’est le jeu très cruel du mélo ! ” Le plus cruel sera l’année d’attente pour connaître la suite de cette saga passionnante.

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