Paul Vacca

Comment (ne pas) écrire un best-seller avec un algorithme

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

On aurait dû s’en douter. Il y a toujours quelque chose de suspect dans le fait de publier un livre sur les recettes du best-seller ou comment écrire un script que tout Hollywood va s’arracher. Pourquoi l’auteur prodigue-t-il des conseils qu’il ferait mieux de garder pour lui ?

Malgré cela, on n’a pu s’empêcher de faire l’acquisition de The Bestseller Code – Anatomy of the Blockbuster Novel (St. Martin’s Press, 2016). Comme on n’avait pas résisté, enfant, à acheter cette fameuse paire de ” lunettes à rayons X ” qui nous promettait de voir à travers les vêtements des femmes, avec le fol espoir que cela pourrait quand même marcher.

C’est que les auteurs, Jodie Archer, ex-éditrice, et Matthew L. Jockers, universitaire geek en littérature, ont mieux à offrir que le how-to book traditionnel. Ils nous proposent un algorithme – le code du titre – nommé le ” bestseller-ometer ” capable de déterminer les probabilités – avec 80 % de succès, selon eux – qu’un manuscrit devienne un best-seller.

La méthode : une immersion en deep reading grâce à une armada d’ordinateurs au coeur de plus de 20.000 romans qui ont eu l’honneur de figurer dans le fameux classement des meilleures ventes du New York Times. La machine a donc lu pour nous dans les moindres recoins – via le text mining et le machine learning – les best-sellers des 30 dernières années dont Da Vinci Code, Cinquante nuances de Grey, Harry Potter, Gone Girl, La Fille du Train, etc. Au final, la formule cabalistique livrant l’ADN du blockbuster novel : ses thèmes, ses intrigues, son style, la nature de ses personnages et son vocabulaire.

On a eu tort de douter. C’est un livre très instructif, en réalité. Mais, hélas, pas tant sur la manière d’écrire un best-seller que sur ce qu’il révèle de la nature profonde des algorithmes. Une nature devant laquelle on a toujours la sensation ambivalente d’être face à quelque chose de très intelligent et de totalement stupide à la fois. Doté d’une capacité à tout calculer, à tout absorber jusqu’au moindre détail, mais visiblement sans jamais rien comprendre, ni hiérarchiser de ce qu’il analyse.

L’algorithme serait-il génial ou simplement idiot ?

D’où le goubli-boulga où le méta-structurel voisine avec le pointillisme trivial livré par l’algorithme. Quelques données contre-intuitives comme le fait que Cinquante nuances de Grey n’est pas un livre sur le sexe SM mais une comédie romantique classique où le sexe SM n’est qu’un décor. Des remarques assez pertinentes comme sur l’effet de bascule que doit produire la première phrase d’un roman ou sur le fait que les points d’interrogation (la recherche) sont plus importants que les points d’exclamation (le résultat). Mais aussi des conseils aussi passe-partout que ” le rythme est essentiel “, ” l’empathie est primordiale “, ” ne pas utiliser de formules alambiquées “, ” les personnages doivent être actifs “, etc., s’appliquant à n’importe quel roman, best-seller ou pas. Et des perles qui laissent perplexes : les 491 mots les plus fréquemment employés, l’âge idéal pour une héroïne est de 28 ans, le rôle décisif du mot ” girl ” dans le titre, etc. Bref, un vrai fourre-tout. Hélas, aussi réjouissant à lire avec ses diagrammes qu’un mode d’emploi de machine-à-laver ou le PowerPoint d’une assemblée générale…

Mais, ce qui se révèle plus gênant finalement, ce sont les biais à la base même de la démarche. Comme ce ” complotisme ” soft qu’il y a à postuler qu’il existe des motifs cachés dans les best-sellers. Car on finit fatalement par en trouver, peu importe leur pertinence. Ou cet asservissement béat devant la ” puissance des chiffres ” comme si la vérité résidait nécessairement dans la récurrence.

Ou, plus angoissant, l’effet normatif de cette démarche qui affirme prédire les succès à venir, mais en se basant uniquement sur l’analyse des succès passés. Si un outil tel que celui-ci venait à se généraliser en lieu et place des lecteurs humains, il ne ferait que renforcer l’effet de ” bulle ” déjà à l’oeuvre dans la culture de masse.

Ironie du sort, le livre parfait selon l’algorithme, obtenant le score de 100 %, c’est Le Cercle de Dave Eggers. Soit la critique d’un géant technologique – sur le modèle des GAFA – avec son système déshumanisant de notation. Autrement dit, un roman sur les ravages des algorithmes. Et un pastiche brillant de l’écriture froide des best-sellers. Du coup, on a encore du mal à se décider : l’algorithme serait-il génial ou simplement idiot ?

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