Les normes sanitaires et sécuritaires, ce protectionnisme qui ne dit pas son nom

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Sous le couvert de protection du consommateur, les normes sanitaires ou de sécurité visent bien souvent à défendre une industrie nationale. Ces “obstacles techniques au commerce” sont de plus en plus souvent dénoncés auprès de l’Organisation mondiale du commerce.

D’un côté, les grandes déclarations matamoresques, des taxes douanières et des quotas d’importation. Bref, le protectionnisme économique tel que l’incarne le président américain Donald Trump. Et de l’autre côté, vous avez aussi un protectionnisme qui ne dit pas son nom, qui se cache derrière de louables intentions de protection du consommateur. Les normes sanitaires et autres visent bien souvent à défendre un champion national face aux importateurs.

Est-ce pour des raisons strictement environnementales que les Etats-Unis sont très sourcilleux envers les émissions de NOx par les voitures, quand l’Europe est plus attentive aux émissions de CO2 ? Est-ce pour des raisons purement scientifiques que l’Union européenne a admis les subsides aux biocarburants, pour autant que ceux-ci réduisent les émissions de 35 % par rapport aux carburants classiques ? Pourquoi 35 % et pas 30 % comme ce serait le cas avec le biocarburant produit par l’Argentine à partir du soja ? ” Quand on instaure un seuil comme cela, c’est quand même très souvent pour défendre une industrie nationale “, concède Gonzague Vannoorenberghe, professeur d’Economie à l’UCL et spécialiste du commerce international. La plainte de l’Argentine est toujours pendante devant l’Organisation mondiale du commerce, l’instance internationale chargée d’arbitrer ces questions dites d'” obstacles techniques au commerce “.

Ces obstacles sont particulièrement visibles en matière alimentaire. Il est alors particulièrement difficile de faire la balance entre les arrière-pensées protectionnistes, les précautions sanitaires et la demande d’information des consommateurs. Quand l’Europe interdit la vente de poulets lavés au chlore (méthode utilisée en Amérique du nord), personne ne bronche chez nous et l’OMC a validé cette interdiction. Mais quand, en réplique, les Etats-Unis revoient le niveau de bactéries autorisé dans le fromage – ce qui de facto recale à la frontière de nombreux fromages français -, les impératifs sanitaires nous paraissent soudain bien excessifs.

” L’obstacle technique doit être bien justifié et avoir un impact réel sur le produit, sur sa qualité, poursuit Gonzague Vannoorenberghe. Ainsi quand les Etats-Unis ont voulu interdire l’importation de thons mexicains car ils étaient pêchés avec des filets qui attrapaient aussi les dauphins (espèce protégée), l’OMC les a déboutés. Un Etat ne peut imposer ses méthodes de production aux autres, sauf si ces méthodes affectent la nature du bien. C’est toute la question des OGM notamment. ” L’intention est d’aboutir à l’élaboration de normes standardisées pour un grand nombre de produits. Mais cela ne résout pas tout : il faut ensuite organiser des tests pour contrôler le respect de ces normes standardisées. Or, les Etats ont la fâcheuse habitude de ne croire qu’en leurs propres tests. Nous avons connu cela avec les pots d’échappement de voiture : le Japon et l’Europe avaient adopté les mêmes normes mais pas les mêmes tests, ce qui engendrait fatalement des surcoûts à l’exportation (de part et d’autre d’ailleurs).

Les normes sanitaires et sécuritaires, ce protectionnisme qui ne dit pas son nom

Gastro-nationalisme

La question devient particulièrement délicate avec les indications d’origine sur les produits. Elles procurent un avantage évident sur le marché national, tout simplement parce que les consommateurs y sont de plus en plus attentifs. C’est même un argument de vente assumé dans la grande distribution qui mettra volontiers en exergue le made in Belgium. ” Un distributeur privé a évidemment le droit d’imposer un tel étiquetage ou d’adopter des standards plus élevés pour les produits qu’il mettra en rayon “, précise Gonzague Vannoorenberghe.

L’obstacle technique doit être bien justifié et avoir un impact réel sur le produit, sur sa qualité.” Gonzague Vannoorenberghe, professeur d’économie (UCL)

Cet étiquetage d’origine peut-il devenir une obligation pour tous les produits, décrétée alors par l’autorité publique et défavorisant ainsi de facto les importations ? Oui, selon la Commission européenne qui a accepté l’an dernier la décision de la France d’imposer la mention de l’origine exacte des produits laitiers ou à base de viande. La Fevia (Fédération de l’industrie alimentaire belge) redoute que cela pousse les entreprises françaises à s’approvisionner exclusivement auprès de fournisseurs de lait ou de viande français pour leurs produits transformés. ” L’introduction de différentes règles d’étiquetage pour des produits fabriqués en France ou en dehors équivaut à dresser des barrières commerciales “, s’insurge le président de la Fevia Jean Eylenbosch. Il s’en inquiète d’autant plus que d’autres pays emboîtent le pas à la France : Finlande, Grèce, Italie, Lituanie, Portugal et Roumanie. Pour la Fevia, cette poussée du ” gastro-nationalisme ” place le marché intérieur européen dans ” une crise existentielle “. Gonzague Vannoorenberghe relativise toutefois l’évolution en rappelant que les indications d’origine existaient déjà pour les légumes.

La taille des portes coupe-feu

Quand ils introduisent une réglementation susceptible de freiner les échanges commerciaux, les Etats doivent la notifier à l’Organisation mondiale du commerce. Celle-ci les validera, ou pas, en fonction d’une série de critères plus ou moins objectifs et de la justification apportée par le pays. ” La discussion doit se limiter aux effets réels des normes que l’on veut imposer au regard de l’objectif avancé “, explique Gonzague Vannoorenberghe. Il prend l’exemple des portes coupe-feu : vous pouvez spécifier une durée de résistance au feu pour les portes importées mais pas leur imposer une épaisseur minimale ou un matériau précis. C’est l’effet coupe-feu qui doit être pris en compte.

En 2016, l’OMC a enregistré le chiffre record de 2.336 notifications, émanant de 79 pays ou entités. Les Etats-Unis arrivent largement en tête (442) devant le Brésil (128), Israël (123) et l’Union européenne (110). La moitié de ces notifications concernent des mesures prises pour la protection de la santé ou de la sécurité des personnes.

On ne se contente évidemment pas de notifier ses propres mesures, on soumet aussi à l’OMC les décisions des Etats tiers qui pourraient nuire à nos exportations. L’OMC a reçu en 2016 quelque 173 de ces ” préoccupations commerciales spécifiques “. Il s’agit à nouveau d’un chiffre record. Difficile à ce stade d’affirmer que cela atteste bel et bien d’un regain de protectionnisme ou si cela reflète juste une attention accrue des Etats à la problématique.

Les Etats qui ont suscité, en 2016, le plus de ” préoccupations commerciales ” de la part des autres sont l’Inde, la Russie et l’Indonésie. C’est relativement neuf car, sur les 10 dernières années, c’est l’Union européenne qui fut le plus souvent soupçonnée de protectionnisme, avant la Chine et les Etats-Unis. Comme quoi, la perception des uns n’est pas forcément celle des autres… Les griefs les plus fréquents portent sur les demandes de renseignements et précisions supplémentaires, ces manoeuvres dilatoires qui visent à décourager les entreprises étrangères (du moins, elles le ressentent de la sorte), à défaut de pouvoir leur interdire formellement l’accès au territoire.

Les normes sanitaires et sécuritaires, ce protectionnisme qui ne dit pas son nom

L’Europe face au barrage russe

De son côté, l’Europe effectue aussi son propre relevé des obstacles techniques au commerce, dans l’espoir bien entendu de contribuer à les lever. Fin 2016, la Commission recensait quelque 372 barrières non tarifaires entravant les exportations des entreprises européennes à destination de 51 pays. Ces barrières ne sont pas spécialement érigées par des économies pauvres qui cherchent à protéger un développement mais plutôt par des pays du G20 comme la Russie (championne toutes catégories avec 33 barrières), l’Inde, la Chine, le Brésil (23 chacun), la Corée du Sud ou les Etats-Unis. ” Nous sommes conscients de l’importance de ces barrières techniques qui représentent d’ailleurs la majorité des nouvelles mesures protectionnistes dans les grands pays émergents, confie Raphaël Cecchi, analyste des risques sectoriels et par pays chez l’assureur-crédit Credendo. Cela permet en effet de protéger certaines industries domestiques de façon plus dissimulée tout en gardant une posture d’ouverture en façade. ”

Trente-six nouvelles mesures protectionnistes ont été prises en 2016, avec à nouveau la Russie en tête. Ces nouvelles entraves au commerce ont, selon les calculs de la Commission, fait perdre jusqu’à 27 milliards d’euros de chiffre d’affaires aux exportateurs européens, soit 1,6 % du chiffre d’affaires total à l’export. A elle seule, la Russie aurait, par ses options protectionnistes, privé les entreprises européennes de 12,2 milliards d’euros de recettes !

L’Europe ne se contente heureusement pas de constater les entraves au commerce, elle essaie de les résoudre au travers de l’OMC ou via des négociations directes avec les Etats concernés. L’an dernier, cela a permis de lever 20 obstacles au commerce dans 12 pays différents (dont 5 en Corée du Sud). La moitié de ces obstacles visaient des produits alimentaires (agriculture, élevage, pêche, boissons alcoolisées). La levée de ces barrières devrait permettre aux entreprises européennes d’augmenter leur chiffre d’affaires à l’exportation de 4,2 milliards.

Jouets russes, TVA suisse et médicaments turcs

Dans les “obstacles techniques au commerce” constatés par la Commission européenne, il y a les classiques accusations de subsides qui faussent la concurrence, de commandes publiques qui privilégient les entreprises nationales ou d’obligations de créer une joint-venture locale pour commercer. Mais il y en a d’autres plus croquignolesques comme l’introduction, par la Russie, d’exigences de sécurité psychologique et éducationnelle pour la commercialisation de jouets. “C’est inédit dans la pratique internationale et n’a aucun lien avec les objectifs actuels de sécurité dans le domaine du jouet”, pointe la Commission.

La Suisse est également pointée du doigt pour un règlement de TVA. Les sociétés européennes de services sont exemptées d’enregistrement à la TVA suisse, en dessous d’un certain seuil de chiffre d’affaires. Mais quel chiffre d’affaires ? Jusqu’à présent, on prenait en considération le chiffre d’affaires réalisé en Suisse. Désormais, ce sera le chiffre d’affaires mondial de l’entreprise. “Par conséquent, la plupart des fournisseurs de services européens actifs en Suisse devront s’enregistrer et payer la TVA, souligne la Commission. Cela les obligera à engager un comptable en Suisse, ce qui augmentera leurs coûts.” Les règles de TVA changeront aussi en ce qui concerne l’importation de biens de faible valeur, ce qui devrait rendre les achats en ligne depuis l’Europe moins intéressants, ajoute la Commission.

Le rapport pointe aussi la politique turque en matière de médicaments. Le gouvernement Erdogan a trouvé un moyen radical pour soutenir l’industrie pharmaceutique turque : celui qui veut exporter certains types de médicaments vers la Turquie doit s’engager à en produire aussi localement. Si cette production locale est “insuffisante”, le médicament ne sera tout simplement pas remboursé par la sécurité sociale turque. Ce qui signifie son exclusion du marché.

Le troisième Trade Forum de Credendo

Le protectionnisme sera le thème central du Trade Forum de Credendo, organisé le jeudi 7 décembre à l’auditorium de la Banque Nationale à Bruxelles. Parmi les orateurs de cet événement, organisé avec le concours de Trends- Tendances, on trouve notamment l’ancien Premier ministre Guy Verhofstadt, Jacques de Larosière (FMI) et Gideon Rachman, éditorialiste du Financial Times.

Info et inscription : credendoforum2017.be

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