Au coeur d’un atelier de luthiers et d’archetiers

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L’Atelier Flagey compte deux luthiers et trois archetiers. Des artisans qui ont décidé d’en faire un lieu d’ouverture et de partage. Ils sont à la base d’EKHO, une ASBL qui désire dynamiser le monde de la lutherie et qui organise, en marge du Concours Reine Elisabeth, un rendez-vous unique et original.

Pour la première fois, le Concours Reine Elisabeth s’ouvre, cette année, au violoncelle. Un instrument qui a fait les belles heures du Conservatoire de Bruxelles avec des musiciens tels que François Servais ou Eric Feldbusch. En marge du Concours, l’ASBL EKHO organise des événements et expositions liés au violoncelle mais aussi à la lutherie et l’archeterie contemporaine (lire l’encadré). A la base de cette ASBL se trouve l’Atelier Flagey, situé dans un petite maison à un jet de pierre du paquebot Flagey. Cinq artisans y travaillent. Catherine Janssens et Joanne Van Bosterhout sont luthières. Elles sont spécialisées dans le violon, l’alto et le violoncelle. Victor Bernard, Blaise Emmelin et Daoudi Hassoun sont archetiers. Le premier est basé à Bruxelles, les deux autres ont aussi un atelier en France.

L’originalité de l’atelier ne s’arrête pas au mélange des disciplines mais concerne aussi le statut des uns et des autres. ” Nous sommes tous indépendants, nous partageons notre lieu de travail, explique Catherine Janssens. Nous nous nourrissons de l’échange avec les autres. Je progresse dans mon travail car nous confrontons nos oeuvres ou nos méthodes. Le niveau de la lutherie ou de l’archeterie s’est considérablement élevé ces 10 dernières années. Par la confrontation des idées et les contacts. ”

De l’entraide

Oui mais que se passe-t-il quand un client sonne à la porte de l’atelier ? ” Ce n’est pas à celui qui court le plus vite, sourit Blaise Emmelin. Il n’y a pas d’esprit de lutte ici mais une forte idée de l’entraide. Il y a de la place pour tout le monde. Nous nous partageons le travail. Et puis, l’humain compte beaucoup. Un client peut avoir plus d’affinités avec l’un ou l’autre. Notre concept est de réunir le musicien et le luthier ou l’archetier. De tous temps, il y a eu une espèce de distance entre les deux. Les musiciens avaient peur de venir chez un luthier. Le fait de travailler collectivement met tout le monde d’accord. Nous sommes des artisans comme eux et il est préférable de travailler ensemble. Avec les collègues aussi, cela change. Des associations comme la nôtre fleurissent depuis 10 ans. On peut même appeler un collègue si nous avons besoin d’un alto pour un client et que nous ne l’avons pas. Avant, c’était inimaginable… ”

Cette ouverture et cette passion pour l’échange ne sont pas du goût de tout le monde. ” Certains luthiers ne comprennent pas ce que nous voulons faire, poursuit Catherine Janssens. Nous démythifions en quelque sorte la profession. Or, ce mythe a profité à beaucoup de gens. Cette collaboration entre luthier et musicien que vous jugez évidente en soi, certains ne la voient pas de cet oeil-là. C’est la même démarche avec les Stradivarius. Pour beaucoup, c’est un objet d’art, pour nous, c’est un outil de travail. Or qui dit objet d’art dit spéculation et prix qui s’envolent. Et incapacité pour les musiciens de s’en procurer. ”

Du pernambouc

L’Atelier Flagey est un atelier généraliste. Il réalise des fabrications complètes d’instruments pour quatuor à corde (violon, alto et violoncelle) et d’archets. Soit sur commande, soit de son propre chef. En même temps, il restaure des instruments anciens, réalise des réglages de sonorité et fait de l’entretien d’instruments. Parfois aussi, des particuliers viennent y déposer leur instrument à des fins de vente. ” Nos clients sont des professeurs ou des élèves de conservatoire, explique Blaise Emmelin. Des musiciens professionnels aussi. L’entretien représente une grande partie de notre travail. Remplacer le chevalet (pièce placée entre les cordes et la table d’harmonie, NdlR) d’un violon est courant après une saison de concerts. Le crin d’un archet, c’est un peu comme les piles d’un appareil, il faut le changer tous les trois ou quatre mois. Nous ne vendons pas un violon tous les jours, c’est clair. D’ailleurs, je ne réalise que deux archets neufs par mois. Il faut 60 heures de travail par pièce. C’est un bon rythme qui me permet de rester en contact avec les clients et de ne pas m’enfermer dans une bulle. ”

La façon de faire un archet n’a pas changé depuis le 18e siècle. Ce sont les mêmes outils et les mêmes matériaux. Comme le pernambouc, un bois brésilien réputé pour sa solidité et sa densité. ” La seule différence vient de l’ivoire, explique Victor Bernard. Il ne vient plus des éléphants pour des raisons évidentes. Nous utilisons désormais de l’ivoire de mammouth, disponible en énormes quantités en Russie. C’est juste un peu moins beau. J’ai étudié la lutherie en Angleterre avant de faire des stages chez des archetiers. La technique de base est la même pour tous. Après, nous avons notre vision propre qui permet d’avoir des styles différents. Tant les luthiers que les archetiers fabriquent leurs propres outils à leur main. ”

Sculpté dans la masse

La Belgique compte une vingtaine d’ateliers de lutherie, dont la moitié à Bruxelles. Sans oublier les indépendants qui n’ont pas forcément pignon sur rue. Chacun a sa spécialité. Mais au fait, que coûte un violon ?

” Un violon d’étude correct tourne autour des 1.000 euros, explique Catherine Janssens. En dessous, c’est de la fabrication d’usine. La différence majeure, c’est que chez nous, les planches sont sculptées dans la masse et pas pliées à chaud. Cela va faire toute la différence au niveau acoustique. Nous créons une voûte de 3 mm dans la masse, suffisamment solide pour résister à une pression d’une dizaine de kilos et flexible pour permettre la vibration. Sur cette voûte, la gestion des courbes et des contre-courbes va déterminer l’efficacité du violon. Le manche est sculpté d’une seule pièce et les parties noires sont faites d’ébène. Il résiste bien à la transpiration des doigts et à la pression. ”

Un violon est réalisé à partir d’une septantaine de pièces faites de bois d’épicéa, d’érable, d’ébène, etc. Mais sa provenance doit être assez particulière, notamment pour la voûte. ” Sur une voûte non vernie, vous ne voyez pas de noeud, poursuit Catherine Janssens. En outre, les années de croissance sont très rapprochées. Donc, vous avez besoin d’un arbre qui pousse lentement. Il faut donc aller le chercher au-delà des 1.500 m d’altitude. Ensuite, les arbres doivent être très proches. Ils vont aller chercher la lumière par le haut et ne pas faire trop de branches au début. Nous allons parfois visiter des scieries. Mais il existe des fournisseurs spécialisés qui sont présents dans les salons réservés à la profession. ”

Comme du compagnonnage

Evidemment, la lutherie et l’archeterie ne s’apprennent pas dans les livres. D’ailleurs, il n’existe aucune école qui forme des archetiers. Le métier s’apprend sur le tas en compagnie d’un maître. Un peu à la façon du compagnonnage. ” L’archeterie est une tradition française, confie Blaise Emmelin. A la fin des années 1960, il n’y avait plus que trois archetiers en France. Du coup, l’école de lutherie de Mirecourt a décidé d’ouvrir une formation pour archetiers. Quinze personnes ont été formées. Puis le cours a été arrêté. Mais ces 15 archetiers en ont formé plein d’autres via l’apprentissage. Le cycle est reparti. J’ai eu trois apprentis dans ma carrière. Dont Daoudi Hassoun qui est resté ici après son apprentissage. ”

La Belgique compte plusieurs écoles belges de lutherie, notamment dans la région d’Anvers et à Marche-en-Famenne. Mais les grands luthiers fréquentent surtout une des grandes écoles réputées au niveau international comme Cremone, lieu de naissance d’Antonio Stradivari, Mittenwald en Allemagne, Mirecourt en France ou Newark en Angleterre. Catherine Janssens et Victor Bernard sont d’ailleurs sortis de cette dernière institution.

Mais au fait, faut-il être musicien pour devenir un bon luthier ou archetier ? ” Non, mais mélomane, ça oui, répond Blaise Emmelin. C’est un peu comme l’oenologue qui parvient à décortiquer le goût d’un vin et avoir une vue d’ensemble. Le luthier ou l’archetier doit comprendre la mécanique du son. Si le musicien veut du moelleux, du tendu ou de l’attaque. Ce sont des nuances que nous savons techniquement reproduire. ” ” Je suis violoniste, donc je comprends parfaitement les problèmes qu’un musicien peut ressentir, renchérit Catherine Janssens. Mais il n’est pas nécessaire de savoir jouer pour comprendre ce que le musicien dit. Mais, par contre, il faut bien écouter ses désirs et les comprendre. ”

Xavier Beghin

La façon de faire un archet n’a pas changé depuis le 18e siècle. Ce sont les mêmes outils et les mêmes matériaux.

” Le niveau de la lutherie ou de l’archeterie s’est considérablement élevé ces 10 dernières années. Par la confrontation des idées et les contacts. ”

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