Assureurs et banquiers face à l’intelligence artificielle

Patrick Thiels, Jürgen Ingels, Olivier Onclin, Georges Nédée © DANN

La nouvelle économie numérique, dopée par l’intelligence artificielle, ouvre un éventail de possibilités inédites pour les métiers de l’assurance et de la banque. Telles ont été les conclusions de l’un des nombreux panels de discussion organisés dans le cadre de notre traditionnelle Trends Summer University. Morceaux choisis.

Intelligence artificielle, quelles opportunités pour les assureurs et les banquiers ? Telle était la question à laquelle représentants du monde bancaire et de l’assurance étaient invités à répondre lors d’un débat organisé dans le cadre de la septième édition de notre Trends Summer University, qui s’est tenue à Knokke du 8 au 10 juin dernier. Dans le panel, un assureur en la personne de Patrick Thiels (directeur général de la région Méditerranée, France et Benelux d’Allianz Global Corporate & Specialty) ; deux banquiers : Georges Nédée ( chief investment officer et membre du comité exécutif chez Puilaetco Dewaay) et Olivier Onclin ( chief operating officer et membre du comité de direction de Belfius) ; ainsi que Jürgen Ingels, managing director du fonds d’investissement SmartFin Capital.

Avec l’IA, au lieu d’analyser le passé, on peut presque aujourd’hui prédire l’avenir.” Jürgen Ingels, SmartFin Capital

D’après Patrick Thiels, keynote speaker de ce débat, l’intelligence artificielle (IA) ne constitue pas seulement pour les assureurs traditionnels une menace de disruption. Selon lui, l’arrivée de l’IA est également synonyme de nouveaux risques pour les entreprises et leurs assureurs. ” Il y a un shift complet dans ce domaine. L’intelligence artificielle augmente la vulnérabilité des entreprises au cyber-risque, qui figure aujourd’hui parmi les plus importants pour elles. Avec comme principal danger, outre le vol de données, l’interruption d’activité, si des hackers malveillants prennent par exemple le contrôle des machines, etc. D’un autre côté, les logiciels intelligents peuvent réduire ce cyber-risque en détectant mieux les attaques. ”

Pour ce qui est du business même des assureurs, Patrick Thiels estime que l’intelligence artificielle permet bien évidemment d’automatiser les processus répétitifs et de faciliter la relation avec le client. ” Grâce au big data et à l’automatisation, il est possible de personnaliser les produits aux besoins des clients, avec des solutions quasiment sur mesure pour les entreprises. Pour la gestion des sinistres, nous utilisons des nouvelles technologies comme la blockchain, les drones, etc. L’analyse prédictive est aussi un domaine sur lequel nous travaillons : elle peut nous donner une nouvelle vision des risques, non plus passés mais futurs “, selon le directeur général.

Prédire la Bourse ?

Plus globalement, Jürgen Ingels voit dans l’IA de réelles possibilités en matière d’analyse statistique pour le secteur financier. ” On considère souvent la technologie comme un moyen d’améliorer les processus et donc de réduire les coûts. C’est certainement le cas, mais le gros avantage aujourd’hui de l’intelligence artificielle, c’est que vous n’avez plus besoin d’un échantillon pour effectuer des prévisions. On dispose d’ordinateurs qui permettent d’analyser une population dans sa globalité, en étant quasiment sûr à 100 % de leurs prédictions. Au lieu d’analyser le passé, on peut presque aujourd’hui prédire l’avenir. C’est, je pense, la grande différence : tout devient prédictif et non plus seulement observable en temps réel. ”

La protection des données est devenue un business exponentiel.” Patrick Thiels, Allianz

Est-ce à dire que l’on pourra bientôt prédire la Bourse ? Pour Georges Nédée, la technologie rend effectivement aujourd’hui possible l’analyse prédictive (prévisions des comportements, habitudes de consommation, etc.). ” Le problème, c’est que beaucoup utilisent les mêmes analyses et les mêmes fonctionnalités, observe le CIO de Puilaetco Dewaay. Votre modèle doit donc toujours être plus intelligent que celui des autres, c’est un équilibre très difficile. ” Sans compter que si tout devient tellement pointu et sur mesure, c’est le principe même de la mutualisation des risques qui, pour les assureurs, est remis en cause. Jusqu’à faire de l’assurance un autre métier ? Peut-être… ” C’est un vrai challenge, mais en tant que groupe et compagnie d’assurance globale, nous essayons chez Allianz de l’appréhender à l’échelle mondiale, plaide Patrick Thiels. Les risques qui surviennent dans certaines parties du monde ne se produisent pas nécessairement à la même vitesse ailleurs, sans oublier les économies d’échelles, etc. ”

Assureurs et banquiers face à l'intelligence artificielle
© DANN

L’humain reste important

Si prédire l’avenir grâce à l’intelligence artificielle est une chose, la satisfaction du client en reste néanmoins une autre. Georges Nédée insiste à cet égard sur le contact humain qui demeure fondamental. Surtout en banque privée, selon lui. ” Il est important que le client puisse garder un contact personnel avec son gestionnaire d’actifs, parce que ces actifs sont quand-même une partie très importante de ce qu’il a construit dans sa vie. D’un autre côté, il est clair que les attentes de la nouvelle génération de clients deviennent toujours plus grandes. La technologie nous permet d’augmenter la qualité du service. Nous investissons d’ailleurs massivement pour, à la fois, améliorer le contact physique avec le client et renforcer les compétences de nos collaborateurs. Les processus internes sont fortement améliorés, automatisés et robotisés. Le banquier devient ainsi beaucoup plus fort grâce à la technologie et peut fournir encore plus de valeur ajoutée. ” Un avis que partage le COO de Belfius Olivier Onclin : ” Nous sommes également convaincus, chez Belfius, que nous devons mettre l’IA au service du client. On entend souvent parler de suppressions de jobs, etc. Il est davantage question avec l’intelligence artificielle de supprimer les tâches à faible valeur ajoutée, de libérer plus de temps pour le client, et pas uniquement pour les banquiers mais pour tous les membres du personnel qui entrent en contact avec lui. Et cela, afin d’améliorer le service. ”

La gestion de portefeuille ne sera jamais totalement automatisée.” Georges Nédée, Puilaetco Dewaay

Qui décide ?

Analyse de données et intelligence artificielle : c’est donc quand ces deux notions sont réunies que peut s’opérer la grande révolution. Aujourd’hui, ” nous réalisons du monitoring de fraude en temps réel “, indique Olivier Onclin. L’IA permet en effet de détecter – et de bloquer – les transactions très anormales, donc probablement frauduleuses, en les comparant avec celles du passé. Mais l’analyse des données par l’intelligence artificielle donne des résultats exacts à 95 % et pas à 100 %, font remarquer les spécialistes. Laisser aux robots le pouvoir de prendre des décisions pose donc un énorme problème de responsabilité. ” C’est pour cette raison qu’il faut toujours parler d’une combinaison entre IA et compétences humaines. On ne peut demander à un robot de prendre une décision pour le compte de nos clients : c’est à nous qu’il revient de le faire, mais certes après nous être forgé un jugement amélioré suite à l’analyse de données. ”

Il est surtout question, avec l’IA, de libérer plus de temps pour le client.” Olivier Onclin, Belfius

Pourtant, certains font de la gestion de patrimoine automatisée. Est-ce dangereux ? ” La gestion de portefeuille ne sera jamais totalement automatisée, insiste Georges Nédée. Beaucoup de facteurs irrationnels ont une influence sur le processus d’investissement. ” L’intelligence artificielle est aussi un buzzword, selon Jürgen Ingels : ” Dans certain cas, il s’agit simplement d’une accélération du service fourni au client “. Il est vrai que la quantité de données qui peut être analysée en peu de temps est aujourd’hui énorme. On parle d’ailleurs souvent de la possibilité d’acheter et d’analyser les données des autres. Chez Belfius, on est contre. ” Nous sommes convaincus que nous devons nous focaliser sur les données internes, affirme Olivier Onclin. C’est là que nous pouvons faire la différence, et certainement pas avec les données des autres. D’ailleurs, si nous pouvons acheter des données externes, les autres peuvent le faire aussi. Raison pour laquelle il nous faut d’abord travailler sur l’exploitation de nos propres données. ” Des données dont ” la protection est devenue un business exponentiel pour Allianz “, signale Patrick Thiels.

Que craindre des Gafa ?

Reste bien évidemment ” la ” question : quel impact pourrait avoir l’IA sur la structure de marché ? Va-t-on vers une vague de consolidation ? Réponse de Patrick Thiels : ” On va assister à des rapprochements dans l’assurance, c’est clair”. Pour ce qui est des banques, ” c’est l’un des secteurs où les investissements dans la technologie sont énormes, à cause aussi des régulateurs qui nous imposent des standards extrêmement élevés (directive européenne MiFID II, etc.), avance Georges Nédée. C’est beaucoup plus difficile pour les petits joueurs que pour les grands. ” Dans ce contexte, faut-il donc avoir peur des Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) ? Pour Jürgen Ingels, ” si demain, une marque forte comme Adidas décide de lancer une banque, c’est technologiquement tout à fait possible. Si les banques traditionnelles ne veulent pas devenir de simples fournisseurs d’infrastructures pour le compte d’autres entreprises, technologiques ou pas, qui décideraient de se lancer dans les services bancaires, elles doivent donc relever un grand défi : celui de garder la relation avec leurs clients. ” Olivier Onclin estime toutefois qu’il ne faut pas avoir peur de cette nouvelle forme de concurrence. Au contraire. ” Des entreprises comme les Gafa ont réussi à redéfinir l’expérience client, nous devons garder cela à l’esprit, parce que nous n’avons pas été excellents dans ce domaine ces dernières années. Mais justement, c’est ce qui doit nous maintenir éveillés et rend notre futur passionnant plutôt qu’effrayant. ”

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