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Les nouveaux (dés)équilibres

On reproche souvent aux économistes de ne pas avoir prédit la crise qui allait se révéler quelques huit mois plus tard. Et pourtant, le débat était bel et bien ouvert au sein de la communauté économique.

En décembre 2006, l’économie mondiale était florissante, la croissance proche voire supérieure au potentiel, et on ne parlait que très peu d’une possible crise, fût-elle économique ou financière. Le marché immobilier américain montrait à peine quelques signes de faiblesse. On reproche d’ailleurs souvent aux économistes de ne pas avoir prédit la crise qui allait se révéler quelques huit mois plus tard. Et pourtant, le débat était bel et bien ouvert au sein de la communauté économique.

C’est ainsi qu’en décembre 2006, le Centre Cournot organisait à Paris, dans l’indifférence totale d’ailleurs, un workshop sur le thème des déséquilibres mondiaux. Y participaient des économistes de renom, tels que Barry Eichengreen, Takatoshi Ito, ou encore Nouriel Roubini, et la session finale était parrainée par Robert Solow en personne.

Le colloque avait pour but de faire la synthèse des conséquences néfastes que pourraient avoir sur l’économie mondiale les déséquilibres gigantesques qui se creusaient, en particulier entre les Etats-Unis et la Chine. Par ailleurs, les orateurs et l’assistance, dont je faisais humblement partie dans le cadre de mes recherches de doctorat, débattaient des origines possibles de tels déséquilibres (je me rappelle notamment de l’énumération par le professeur Roubini des 10 causes possibles des global imbalances) et des modifications structurelles nécessaires à l’économie mondiale pour en sortir.

Une idée qui ne faisait pas l’unanimité

Suite à la table ronde qui clôturait l’événement, quelques lignes directrices émergeaient : entre les murs du colloque se dégageait un consensus pour alerter du danger que représentaient les déséquilibres de l’économie mondiale. Car à l’époque, cette idée ne faisait pas du tout l’unanimité. Au contraire se répandait l’idée que l’extension de la sphère financière permettait le développement de déséquilibres mondiaux à des niveaux inédits et que n’auraient pas supportés d’autres structures monétaires et financières antérieures.

Le mythe du stable disequilibrium devenait peu à peu réalité, du moins en apparence. Clamer que de tels déséquilibres menaient l’économie mondiale à sa crise était donc un brin provocateur à l’époque. D’autre part, les simulations effectuées par différents auteurs montraient qu’une modification substantielle des taux de changes (le dollar étant évidemment visé) serait tôt ou tard indispensable pour corriger les déséquilibres mondiaux. Derrière cette affirmation, c’était la position du dollar comme devise clé du système monétaire international qui était aussi visée.

Enfin, l’exceptionnelle accumulation de réserves en devises réalisée par les pays émergents (Chine en tête) était vue comme une future “arme”économique mais aussi géopolitique. Tôt ou tard, ces réserves pourraient soit engendrer des mouvements importants de changes (en cas de rééquilibrage des réserves de devises), soit pourraient être utilisées pour prendre le contrôle de fleurons économiques aux Etats-Unis et en Europe.

En d’autres termes, les déséquilibres mondiaux étaient vus comme une menace importante sur l’économie mondiale, tant sur le plan économique que monétaire. Et nous pensions tous, à ce moment-là, que la méfiance vis-à-vis du dollar engendrée tôt ou tard par de tels déséquilibres allait être à la source d’une crise économique majeure.

Il n’y a pas eu de crise du dollar

Il y a bien eu une crise majeure, mais elle n’est pas arrivée par la voie monétaire. Au contraire, le dollar a même joué son rôle de valeur refuge lorsque la volatilité des marchés grimpait en flèche. Il n’y a pas eu à ce stade de crise du dollar. Est-ce pour autant la fin de l’histoire et peut-on oublier les craintes de l’époque ? La réponse serait affirmative si la crise actuelle avait corrigé les déséquilibres qui nous paraissaient si alarmants.

Or, l’accumulation de réserves de changes de l’économie chinoise n’a cessé de progresser, pour atteindre plus de 2.300 milliards de dollars en octobre 2009 selon les derniers chiffres du FMI. A aucun moment durant la crise les réserves ne se sont affaiblies. De plus, après une chute vertigineuse du commerce mondial en fin 2008 et 2009, les exportations chinoises sont revenues en décembre 2009 à leur niveau de mi-2008. Les importations chinoises progressent certes parallèlement, mais le surplus courant de la Chine demeure monstrueux.

Et que dire de l’économie américaine ? Malgré la crise et les pertes d’emplois, la fièvre importatrice s’est à peine ralentie. Avant la crise, le déficit courant américain dépassait 6 % du PIB. Au pire de la crise, ce déficit est redescendu à un peu moins de 3 %, mais il regrimpe déjà.

Sur le plan des déséquilibres globaux, on ne peut pas dire que rien n’a changé (le taux de change effectif réel du dollar s’est d’ailleurs un peu déprécié), mais on est loin de la correction attendue. Les craintes formulées fin 2006 étaient-elles donc erronées, l’économie mondiale serait-elle vraiment capable de supporter de tels déséquilibres grâce au développement de la sphère financière. Ou bien… la crise de change serait-elle encore à venir ?

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