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Le vrai défi de l’euro

En 1999, après 20 ans de crises monétaires, les marges de fluctuations entre plusieurs devises européennes furent resserrées jusqu’à se fondre dans une monnaie commune. L’euro était né.

En 1999, après 20 ans de crises monétaires, les marges de fluctuations entre plusieurs devises européennes furent resserrées jusqu’à se fondre dans une monnaie commune. L’euro était né. A ce moment, les Etats-membres redonnèrent naissance à des accords de Bretton Woods européens, mais dissociés de la parité-or. Ils abandonnèrent leur tutelle monétaire et se dépossédèrent de leur droit régalien de battre monnaie. On constata immédiatement une convergence des taux d’intérêt, l’arrêt des dévaluations compétitives et la facilitation des échanges intracommunautaires.

Pourtant, rares furent les économistes qui décodèrent les prospectives qu’un tel choix entraînerait. L’euro fut et reste un postulat de mobilité des facteurs de production. En effet, à partir du moment où des Etats sont contraints par une monnaie unique sans capacité de dévaluer ou réévaluer leur monnaie nationale, c’est aux facteurs de production, à savoir les hommes et le capital, de se fluidiser afin de se déplacer dans les zones d’emploi et de croissance.

Cette évidence est confirmée par la théorie des zones monétaires optimales, introduite en 1961 par Robert Mundell, prix Nobel d’économie en 1999. Ce chercheur avançait que les pays ont intérêt à former une zone monétaire si la mobilité des facteurs de production (travail et capital) à l’intérieur de cette zone est supérieure à celle qui prévaut à l’extérieur. Dans le cas contraire, les pays concernés ont intérêt à conserver des cours de change flexibles.

C’est à ce niveau que l’euro n’est pas un choix abouti. Les facteurs de désynchronisation sont nombreux : géographies et modèles de croissance antagonistes, absence de fiscalité et de budget fédéral européen, accès divergents aux marchés des capitaux, disparités des systèmes sociaux, mécanismes de pensions hétéroclites, pressions inflationnistes contradictoires, différentiels démographiques, manque de synchronie des cycles économiques, etc.

On en arrive alors au singulier alliage antinomique de la combinaison de la monnaie unique et de la crise financière. On aurait pu imaginer que, suivant la création d’une zone monétaire, le secteur financier et le marché du travail se détendent. Or, c’est exactement l’inverse qu’on a constaté : suite à la crise bancaire et aux besoins financiers des Etats, le secteur financier est replacé sous la sphère publique, tandis que la mobilité du travail reste très faible.

Comment serait-il possible de revendiquer le statut de monnaie de réserve dans un continent dont les systèmes bancaires sont sous quasi-tutelle publique ? C’est d’autant plus vrai que les endettements publics sont tellement stratosphériques que leur résolution devra immanquablement passer par un choix de dépréciation monétaire, c’est-à-dire d’inflation.

En ce qui concerne le marché du travail, les choses sont nettement plus graves. L’Europe est menacée d’un chômage endémique et structurel, lié notamment au manque d’intégration des jeunes, à l’absence de stimulations au recyclage, à l’hémorragie de l’emploi industriel, etc.

Pour réussir la monnaie unique, il faudra résoudre deux problèmes, correspondant chacun à la nécessaire mobilité des facteurs de production. En ce qui concerne le capital, il faudra que les Eta ts desserrent leurs étaux sur le système financier, ce qui passera inéluctablement par une baisse de l’endettement public. En ce qui concerne le travail, il faudra flexibiliser et fluidiser la mobilité internationale des travailleurs, au prix d’une protection plus contenue.

Si ces deux problèmes ne peuvent pas être résolus simultanément, il en résultera immanquablement un risque de désagrégation monétaire, accompagné de tensions nationales qui, comme on l’a constaté récemment en Grèce, Irlande et Portugal, mettent en péril l’homogénéité de la monnaie unique.

En conclusion, le choix de la monnaie unique était excellent, mais la pérennité de la zone euro n’est pas une donnée acquise. Les modèles socio-économiques des Etats-membres ne peuvent pas être les passagers clandestins d’une aubaine monétaire. L’euro s’inscrit dans une exigeante logique d’économie de marché. Il porte en lui un ajustement des systèmes de protection sociale dans leur sens d’une plus grande compétitivité et flexibilité. Pire : il consomme la fin des Etats-providence et des indisciplines budgétaires.

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