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Le surréalisme belge porte un nom : régionalisation

Le surréalisme belge a ses adeptes. Dans le monde cinématographique et littéraire, notamment, il semble plaire. Mais il atteint parfois des limites face auxquelles on ne sait plus trop si on doit rire ou pleurer. Ce surréalisme-là porte un nom : régionalisation (ou confédéralisme, c’est selon).

Doit-on rire, par exemple, lorsque l’on voit le ministre wallon du Budget André Antoine (cdH), filmé par une caméra de la RTBF, les comptes annuels de l’aéroport de Charleroi à la main, appeler un de ses conseillers pour savoir si les 31 millions d’euros de “subsides publics d’exploitation” (c’est écrit noir sur blanc), sont réellement des subsides payés par son gouvernement ? Doit-on rire, surtout, de cette guéguerre entre aéroports bruxellois et wallon, envenimée par l’exil de la compagnie Pegasius Airlines en terre carolo, sous prétexte que le second reçoit des subsides que n’a pas le premier, subsides qui seraient d’ailleurs interdits (ou pas) par l’Europe ?

Doit-on rire lorsqu’on apprend que la Région bruxelloise n’a pas intérêt à remettre des jeunes chômeurs à l’emploi, tout simplement parce que le gain lié à une telle opération (en termes d’allocations de chômage économisées et de cotisations sociales et patronales engrangées) n’égale pas les compensations reçues par Bruxelles du fédéral pour chaque chômeur inscrit dans ses registres ?

Doit-on rire, lorsque l’on lit pour la énième fois dans la presse que la 4G n’arrivera pas (prochainement en tout cas) à Bruxelles, parce que la ministre bruxelloise de l’Environnement Evelyne Huytebroek (Ecolo) a décidé de règles plus strictes que ses collègues wallons et flamands — règles qui semblent d’ailleurs avoir tendance à changer, lorsqu’elles sont transposées de l’oral à l’écrit ?

Si l’observateur rit, le citoyen, lui, pleure. Parce qu’en définitive, ces problèmes créés par le carcan politique belge ne sont pas les siens. Lui voudrait pouvoir voler vers des destinations du monde entier à des prix compétitifs et attend toujours une connexion rapide et pas chère entre Zaventem et Charleroi (encore faut-il pour cela trouver un accord entre la Stib et les TEC). Il voudrait de la 4G du matin au soir, peu importe qu’il habite Puurs et vienne travailler à Haren. Et il voudrait un travail, pas pour améliorer les statistiques d’Actiris ni pour éviter qu’un Flamand ne paie pour ses allocations de chômage (transferts obligent), mais simplement pour vivre correctement.

Et pourtant, l’avenir ne lui promet pas des lendemains moins loufoques. La sixième réforme de l’Etat, dont l’objectif premier était de transférer un maximum de compétences aux entités fédérées, risque en effet de voir le nombre de ces situations aberrantes se multiplier. Aberrantes et coûteuses — l’exemple de la remise à l’emploi à Bruxelles est édifiant sur ce plan, sans compter les heures que passent et passeront les fonctionnaires régionaux sur des questions de concurrence interrégionale, qu’elle soit loyale ou non.

Et alors que les entités fédérées s’interrogent sur les moyens qu’elles devront mettre en oeuvre pour assumer les nouvelles compétences qui leur ont été attribuées, en Europe, la crise de la dette enfle, obligeant la plupart des pays de la zone euro à sabrer dans leurs dépenses publiques. La crise économique persiste, poussant ces mêmes pays à admettre qu’il faut donner plus de pouvoir à l’Europe, non seulement politique, mais aussi économique et budgétaire. C’est peut-être là que se trouve finalement l’aberration : d’un côté on détricote le pouvoir, de l’autre on tente de le rapiécer pour en faire un ensemble plus ou moins uniforme. Pas besoin d’être un(e) couturier(ère) averti(e) pour prendre conscience que l’ouvrage est voué à l’échec. Ou à tout le moins, à un look franchement dépassé.

CAMILLE VAN VYVE- Rédactrice en chef adjointe

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