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Le sort enviable du travailleur belge !

Qui est l’extrémiste ? Maurice Taylor, le patron du groupe américain Titan, qui a refusé de reprendre l’usine Goodyear d’Amiens en affirmant que “ses soi-disant ouvriers n’y travaillent que trois heures par jour” ? Ou Arnaud Montebourg, le ministre français du Redressement productif, dont le gouvernement a, selon l’Américain, “laissé les barjots du syndicat communiste détruire les emplois les mieux rémunérés” ?

Leurs accusations réciproques d’extrémisme ont fait sourire, ou grincer des dents, mais elles témoignent avant tout de l’abîme qui sépare les conceptions américaine et européenne de la vie économique. Même si, dans l’un comme dans l’autre cas, on a sans doute affaire à une conception un peu… extrême.

Une dualité semblable se manifeste en Belgique, à une échelle fort différente bien entendu, entre les propos tenus par le gouverneur de la Banque nationale et les leaders syndicaux. Pour le premier, l’effort d’assainissement budgétaire doit se poursuivre, tout comme la modération salariale. Pour les seconds au contraire, l’austérité n’est pas la bonne solution, car elle ne fait que prolonger la crise. Qui a raison ? Peut-être les deux, mais en se situant dans une perspective différente. L’austérité prolonge la crise, c’est vrai, estiment pas mal d’économistes. Mais peut-on s’en passer dans une optique de moyen ou long terme ? C’est un peu comme la grippe : en prenant des médicaments pour en combattre les effets — et non le mal lui-même, puisqu’il s’agit d’un virus — on prolonge un peu la maladie. Les médecins le savent, mais pas toujours leurs patients.

L’évolution récente des économies très grippées s’étant saignées à blanc pour s’en sortir commence pourtant à convaincre. L’Irlande, qui a frisé la banqueroute et où tout a dégringolé, de l’immobilier aux salaires, sera en croissance enviable de 1 ou 1,5 % cette année, dans une Europe toujours en récession. Les exportations grimpent en flèche en Espagne et au Portugal, pays dont la compétitivité s’est spectaculairement améliorée. Un pareil (début de) miracle s’opère même en Grèce, mais oui ! Tout cela au prix, c’est vrai, de ce qu’on pourrait appeler une terrifiante destruction de prospérité. Cette dernière était toutefois en partie factice, et c’est là que réside le noeud du problème et du malentendu. La Grèce, en particulier, avait bâti cette apparente prospérité largement à crédit, en empruntant au reste du monde. Il lui fallait inévitablement payer la note un jour.

Un autre malentendu concerne l’ampleur de cette crise, qui est sur toutes les lèvres. Grâce à une large prise en charge par les Etats, elle n’a en réalité pas été très grave en Europe du Nord, Belgique comprise. Comme l’Allemagne, et contrairement à la France et aux Pays-Bas notamment, notre pays a retrouvé son niveau de produit intérieur brut (PIB) d’avant crise dès la fin 2010. Compte tenu de cette situation enviable, et ainsi mis en perspective, l’effort qui semble à réaliser en matière de compétitivité serait inévitablement désagréable, mais franchement pas monstrueux. De nombreux Européens signeraient même à deux mains. De nombreux Américains aussi, du reste. Car de l’autre côté de l’Atlantique, l’enjeu ne porte pas sur quelques pour cent de pouvoir d’achat. Là-bas, certaines entreprises envisagent d’abaisser la semaine de travail de 30 à 29 heures pour échapper au paiement de la couverture sociale mise en place par l’administration Obama ! Ou bien de s’acquitter des amendes prévues, malencontreusement très inférieures aux charges sociales. Les vilaines pensées de ces patrons “extrémistes” ne relativisent-elles pas fortement les états d’âme qui prévalent dans nos contrées ?

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