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Le dieu du capitalisme est protestant

La mutation de nos sociétés ne suit pas une évolution irréversible ou une séquence logique. Il est pourtant un facteur qui, au cours des siècles passés, semble avoir été corrélé avec l’évolution de nos communautés.

Ce facteur, intimement lié au phénomène monétaire, est la transformation de l’empreinte ecclésiastique dans nos communautés ou, plus exactement, une meilleure délimitation de son influence sur les choses temporelles.

Parmi les nombreux éléments qui affectent nos modèles économiques, j’ai l’intuition que le facteur religieux, issu de la rupture confessionnelle du 16e siècle entre les catholiques et les protestants, avait pu exercer un rôle en arrière-plan des vecteurs de développement. Les communautés protestantes — et surtout calvinistes — débarrassées du blâme moral associé au commerce, auraient contribué à féconder l’économie de marché.

Alors que cette économie de marché fut, dans un premier temps, rejetée par le clergé catholique, les communautés anglo-saxonnes et protestantes intégrèrent le facteur religieux au modèle économique en lui permettant d’épouser les faits de commerce.

C’est dans cette perspective qu’il faut replacer la position dogmatique défendue, des siècles durant, par le magistère de l’Eglise contre le prêt à intérêt, c’est-à-dire l’enrichissement au fil du temps : nul n’est maître du temps, excepté Dieu. Or c’est précisément le rapport à la monnaie, donc au temps qui discrimine les modèles économiques. Le temps, c’est de la monnaie, et l’intérêt n’est rien d’autre que le fruit du temps appliqué à la monnaie.

Le modèle commerçant anglo-saxon, correspondant essentiellement aux communautés protestantes, procède de l’actualisation des bénéfices futurs, tandis que le modèle d’inspiration catholique d’Europe continentale s’est toujours montré hésitant par rapport à la capitalisation des rendements. Dans cette perspective, la Réforme a désacralisé le temps en autorisant le prêt à intérêt. Elle a, en d’autres termes, replacé le prix de la monnaie dans une sphère “a-spirituelle”.

En effet, dans les communautés anglo-saxonnes, la valeur n’est pas historique mais elle est variable puisqu’elle procède de l’actualisation des valeurs futures espérées. L’actualisation exige la formulation d’une distribution de probabilité des valeurs associées aux différents états de la nature, dans le futur. Cette entrée dans le futur est nécessaire pour quantifier les valeurs espérées avant de rentrer dans le présent par un phénomène d’actualisation.

Au regard de la doctrine catholique, le fondement temporel de l’actualisation des sommes posa donc problème, puisque cette dernière exige une prospective des états de la nature. Le vecteur temporel fut différent dans les deux cultes : du passé attesté vers le présent dans les communautés catholiques et latines, du futur espéré et instable vers le présent dans les communautés réformées et anglo-saxonnes.

Selon l’Eglise, le commerce liquéfiait les structures religieuses tandis que la foi les solidifiait. On comprend ainsi mieux pourquoi l’Eglise catholique refusa l’intérêt. Pendant très longtemps, elle considéra que l’intérêt était le profit extorqué de la monnaie prêtée : un “vol du temps” alors que celui-ci n’appartient qu’à Dieu. L’intérêt est proportionnel au capital et au temps couru. Or le temps est une variable fondamentale dans une religion, raison pour laquelle la plupart des anciennes religions monothéistes ont rejeté l’intérêt.

On peut établir un parallèle entre ces vecteurs temporels et les notions de repentance. Le catholicisme est fondé sur la repentance qui ramène aux fautes passées, tandis que le culte réformé est, pour partie, basé sur la notion de prédestination, ce qui exige une preuve par le futur, puisqu’il convient de confirmer grâce au travail qu’on est à la hauteur de la destinée prévue par Dieu.

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