Le business florissant (et douteux) de l’hébergement des demandeurs d’asile

Des réfugiés entament une grève de la faim dans une église autrichienne, pour protester contre les conditions de vie des demandeurs d'asile. © reuters

Ils seraient près de 280.000 demandeurs d’asile à avoir poussé la porte de l’Union européenne en 2014, selon le Haut-Commissariat aux Nations Unies. Face à la pénurie de logements pour les accueillir, un véritable business du logement d’urgence s’est développé.

L’Union européenne est bien loin d’être la première destination des demandeurs d’asile. La Turquie, à elle seule, en a accueillis trois fois plus l’an dernier. Le Liban, lui, a vu arriver depuis le début de l’année 2015 1,2 million de réfugiés. Cela représente plus du quart de sa population. Seulement voilà, les migrants sont de plus en plus nombreux à choisir l’Allemagne, l’Italie ou encore la Suisse pour poser leurs valises. Dans ce premier pays, le nombre de demandes a, par exemple, augmenté de 60% entre 2013 et 2014. Et le pays peine à trouver suffisamment de logements.

Logés en camp de concentration

Pour remédier au problème, ont été envisagées des solutions pour le moins insolites. A Schwerte, la mairie a proposé à 21 migrants de dormir dans une antenne du camp de concentration de Buchenwald, plus précisément dans les anciens baraquements des soldats SS. Une proposition qui a soulevé l’indignation. Le Zeit explique pourtant que “du point de vue de la ville, il ne {semblait} guère y avoir d’autres alternatives“. On lit dans ce même article que le coût d’hébergement des réfugiés aurait triplé depuis 2011 pour la petite commune de 45.000 habitants.

Les baraquements des soldats SS du camp de Buchenwald, où la mairie de Schwerte voudrait accueillir 21 demandeurs d'asile. - RTR4L9KF
Les baraquements des soldats SS du camp de Buchenwald, où la mairie de Schwerte voudrait accueillir 21 demandeurs d’asile. – RTR4L9KF© reuters

Gymnases, casernes militaires et même loges VIP de l’ancien stade munichois des Jeux Olympiques, Slate dévoile les coulisses d’une pénurie de logements. En Suisse, ce sont des bunkers anti-nucléaires souterrains qui sont réquisitionnés pour accueillir les réfugiés. Ces derniers y vivent dans des pièces sans fenêtre, où l’air est difficilement respirable. “Il y a deux douches et six toilettes pour une centaine de résidents“, confiait à Slate un membre de l’association Agora ayant visité les lieux.

Dans ces hébergements de fortune, les drames sont légion, à l’image de l’incendie du foyer des Tattes, situé aux environs de Genève, fin 2014. Les médias locaux ont fait état d’un mort, et d’une quarantaine de blessés.

Les habitants se mobilisent

Face à l’inaction de certains Etats, les citoyens ont pris le relais et accueillent, parfois contre rémunération, des réfugiés chez eux. L’association suisse Caritas propose ainsi aux familles paysannes d’héberger des jeunes demandeurs d’asile, pour une durée allant de quelques semaines à quelques mois. L’Eglise tente aussi d’aider les migrants, notamment en Grèce et en Italie, pays où son rôle social est fort et assumé.

C'est dans une église de Bruxelles que des réfugiés afghans ont trouvé refuge.
C’est dans une église de Bruxelles que des réfugiés afghans ont trouvé refuge.© reuters

Slate dresse encore un petit portrait du père Riffard, un prêtre français de 70 ans. Dans sa petite église de Saint-Etienne, il loge des dizaines de personnes démunies, dont des demandeurs d’asile. Ironie du sort, il est aujourd’hui poursuivi par la justice, pour infraction au code de l’urbanisme…

Du tourisme à l’hébergement d’urgence

Derrière cet élan de solidarité se cache une autre réalité, celle d’un business florissant qui se construit autour de l’hébergement d’urgence… Faute de places dans les centres déjà existants, les États n’hésitent plus à déléguer à des opérateurs privés. Certains hôtels ont bien compris que cette petite reconversion en lieu d’accueil pourrait leur rapporter gros. En Italie par exemple, le gouvernement et l’Union européenne ont un budget alloué de 700 à 800 millions d’euros par année. Ils reversent aux structures d’hébergement 30€ par jour et par migrant. Les sites promettent en échange un logement décent, des vêtements, de la nourriture, mais aussi des cours d’italien, des soins psychologiques et une assistance légale. Chaque jour, les migrants ont aussi droit à 2,5€ d’argent de poche. Pour certains hôteliers, le calcul est rapidement expédié. C’est le cas, raconte Bilan, de la Villa Mokarta, un ancien établissement de tourisme situé à Salemi, dans l’ouest de la Sicile. L’hôtel connaissait quelques difficultés financières, affichant des taux de réservations inférieurs à 50%. Depuis, sa piscine s’est vidée, les écrans plats ont été retirés et 140 réfugiés ont investi les suites, devenues de véritables dortoirs au confort minimal.

Un nouveau centre pour demandeurs d'asiles, ouvert à Berlin en janvier dernier.
Un nouveau centre pour demandeurs d’asiles, ouvert à Berlin en janvier dernier.© reuters

Des conditions de vie déplorables pour quelques millions d’euros

Ils seraient des centaines dans le pays, selon le ministère de l’Intérieur, à avoir fait ce choix. En France, où ce même système existe, un hôtel lyonnais reconverti a confié à Slate avoir enregistré un chiffre d’affaires de 400.000€ en 2014. Certains en ont même fait leur spécialité, comme Bert Karlsson. Ce propriétaire d’hôtels a signé un contrat avec le Bureau des Migrations Suédois. Son objectif est on ne peut plus clair : il veut “faire de l’Ikea pour demandeurs d’asile“, écrit Slate. L’an dernier, il aurait ramassé la coquette somme de 25 millions d’euros.

Dans ce business évalué à près d’un million d’euros par jour rien qu’en Italie, certains malfrats aux intentions douteuses ont tenté de récupérer leur part de gâteau. Dans la Botte, la mafia aurait la mainmise sur plusieurs de ces sites d’hébergement, dont elle s’accaparerait une partie des fonds. D’autres n’hésitent pas à offrir aux migrants des hébergements miteux, pour dégager plus de profit. L’organisation Caritas a ainsi confié à Slate que “des enquêtes de police ont révélé que certains centres entassaient les migrants dans la saleté en les nourrissant à peine“. Même si ces cas restent aujourd’hui minoritaires, ils n’en demeurent pas moins alarmants.

La tente où vit Aman, postée sur Le Bon Coin.
La tente où vit Aman, postée sur Le Bon Coin.© Médecins du Monde

En décembre dernier, Médecins du Monde avait lancé une campagne pour dénoncer ces abus. Cachée derrière le pseudonyme d’Aman, l’ONG avait posté sur le Bon Coin une petite annonce pour une “cabane insolite dans les bois“. Située en bordure de Calais, cette tente de toile sans eau ni électricité était proposée à la location. Ou presque, puisque pour Aman, demandeur d’asile, cet abri de fortune, c’était son seul toit.

Perrine Signoret

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