Les avocats d’affaires face au Brexit

La City de Londres © istock

Les cabinets anglo-saxons sont sonnés après la victoire du “Leave”. Leurs bureaux londoniens pourraient subir les conséquences d’une perte d’attractivité de la City. D’un autre côté, le Brexit fait surgir de complexes questions juridiques… qui nécessitent l’intervention d’avocats d’affaires de haut de vol.

Le résultat du référendum britannique a jeté la City de Londres dans la perplexité. Le secteur financier, véritable moteur de la métropole, risque de voir son étoile pâlir avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Les banquiers ont des raisons d’être inquiets. Mais ils ne sont pas les seuls à craindre les conséquences du Brexit sur leurs activités. Très connectés à la City, les cabinets d’avocats sont eux aussi sur leurs gardes. Les plus grosses firmes internationales, qui ont leur bureau principal à Londres, scrutent l’impact potentiellement négatif du Brexit sur leurs activités.

Préalablement au référendum, la plupart des grands cabinets d’affaires s’étaient positionnés en faveur du “Remain”, par la voix de 300 avocats expérimentés, rassemblés derrière l’association Lawyers In for Britain. D’ordinaire peu enclins à se positionner dans le débat politique afin de ne pas froisser la susceptibilité de l’un ou l’autre client, les avocats d’affaires ont cette fois mouillé leur chemise pour défendre la place de la Grande- Bretagne dans l’Union européenne. Pour appuyer leurs arguments, ces 300 praticiens ont publié un rapport mettant en lumière les avantages de l’appartenance à l’UE pour le commerce britannique, son industrie, son environnement, pour la libre circulation des biens et personnes, etc. Las. Tout cela n’aura pas eu l’effet escompté.

John Davies, avocat associé chez Freshfields, a joué le rôle de chairman pour Lawyers In for Britain. Jusqu’au soir du vote, ce Britannique qui a ouvert puis dirigé pendant 10 ans le bureau bruxellois du cabinet anglo-saxon, était persuadé que le “Remain” allait l’emporter. “Ce soir-là, nous étions avec les têtes pensantes du gouvernement. Tout le monde était plutôt confiant, se remémore l’avocat avec perplexité. A titre personnel, en tant qu’Européen, je trouve que c’est une grande défaite pour la Grande- Bretagne, poursuit-il. Mais nous allons travailler pour mettre en place ce que l’on pourrait appeler le second best, la meilleure alternative possible.”

Pas de précipitation

Les cabinets d’affaires n’ont pas attendu l’issue du vote pour préparer des scénarios pour permettre à leurs clients de gérer l’après-Brexit. Chez Freshfields, un document détaillé a été envoyé à tous les clients, avant le référendum, leur donnant des conseils juridiques à suivre en cas de victoire du “Leave”. John Davies, partner chez Freshfields, estime que 20 % des clients ont alors mis en place un planning sérieux pour faire face à cette éventualité, 30 % ont pris en compte la problématique de façon relativement générale et 50 % des clients n’ont pas pris de mesure particulière. “Depuis lors, tout a changé, pointe John Davies. Chaque client prépare des plans A, B ou C en fonction des différents scénarios qui sont sur la table. Mais ils ne prendront pas de décision dans l’immédiat. Ce serait prématuré : le timing de mise en oeuvre de l’article 50, qui ouvre la porte à la sortie de la Grande-Bretagne, n’est pas encore connu.”

Au sein des cabinets eux-mêmes, on essaye aussi de temporiser. Aucune décision sur un éventuel désengagement du bureau de Londres ne sera prise dans la précipitation, nous assure-t-on. Mais des nuages bien réels planent au-dessus de la City. S’ils arrosent le secteur financier, ils n’épargneront pas les conseillers qui gravitent autour, au premier rang desquels on retrouve les avocats. Chez Allen & Overy, on reste confiant. Le cabinet d’affaires membre du Magic Circle (appellation qui désigne les plus grandes firmes anglo-saxonnes) estime qu’il est prématuré d’évoquer un impact négatif du Brexit : “La sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne ne nous affectera pas directement, assure Pierre-Olivier Mahieu, partner chez Allen & Overy, en charge du département corporate à Bruxelles. Le seul risque concerne une éventuelle récession en Grande-Bretagne qui pourrait se propager à l’Europe et affecter les transactions internationales. Mais il est encore trop tôt pour dire si le Brexit aura une influence sur le climat économique.”

Menace sur Londres

Reste que le bureau londonien de la firme est en première ligne en cas de contrecoup provoqué par le Brexit. Allen & Overy compte près de 900 avocats à Londres, sur un total de 2.000 avocats au niveau global. Le département bancaire et financier de la firme occupe à lui seul 300 avocats au coeur de la City, ce qui lui confère une place stratégique importante dans le schéma d’affaires du cabinet. Pierre- Olivier Mahieu tient cependant à relativiser : “La force d’un cabinet global comme le nôtre est justement qu’il peut compter sur ses différents départements, dont les activités se compensent les unes les autres. Si les activités diminuent dans un secteur, elles augmenteront dans un autre. Il y a un rééquilibrage naturel”, souligne l’avocat. Les cabinets d’affaires fonctionnent effectivement sur le principe des vases communicants. En période faste, le département des fusions & acquisitions joue le rôle de locomotive. En période de crise, les restructurations d’entreprise sollicitent d’autres compétences, par exemple en droit du travail.

Mais le Brexit fait apparaître une menace d’un autre ordre. La place de Londres comme centre de décision financier semble en danger. Certaines banques réfléchissent à une possible délocalisation. Le consultant PwC évoque même jusqu’à 100.000 pertes d’emplois dans le secteur d’ici 2020. Dans la foulée, les cabinets d’affaires pourraient-ils être amenés à revoir leur position dans la capitale britannique ? “Qu’il vienne de Luxembourg, de Francfort ou de Londres, le travail sera toujours là”, répond Pierre-Olivier Mahieu. Une façon de dire que l’organisation d’un cabinet international comme Allen & Overy peut s’adapter à un déplacement des lieux de pouvoir économiques. L’avocat affirme aussi que l’on surestime l’importance de Londres dans l’apport de dossiers pour les bureaux continentaux de la firme. ” Septante-cinq pour cent de nos dossiers sont générés par le cabinet local, explique Pierre-Olivier Mahieu. Les bureaux belges exportent beaucoup plus de dossiers qu’ils n’en importent. Contrairement à la perception que l’on a parfois de notre organisation, Allen & Overy n’est plus un cabinet anglais, mais un cabinet mondial présent dans 31 pays.”

Un fonctionnement en réseau

Les avocats d’affaires que nous avons interrogés se refusent à enterrer trop vite la City. “La Grande-Bretagne reste la deuxième économie européenne. Ce n’est pas parce que le pays quitte l’UE que sa capitale perd son statut de centre de décision international. Notre cabinet ne va pas décider du jour au lendemain de moins investir à Londres”, assure Bernd Meyring, partner chez Linklaters, en charge du groupe de travail consacré au Brexit au sein de la firme.

L’avocat pointe néanmoins un risque à plus long terme : si l’économie britannique se recentre sur son marché domestique, les structures axées sur le commerce international pourraient subir un impact négatif. Les inévitables complications réglementaires qui suivront le Brexit pourraient également décourager certaines multinationales de réaliser leurs investissements ou leurs acquisitions en Grande-Bretagne. Bernd Meyring prend l’exemple du droit de la concurrence : “Aujourd’hui, le cadre réglementaire européen est assez prévisible, souligne l’avocat. Demain, la Grande-Bretagne devrait mettre en place un nouveau régime, ce qui engendrerait une période d’incertitude. Cela pourrait être la complication de trop qui incitera une entreprise à ne pas réaliser l’opération prévue.”

Si une baisse des activités devait se concrétiser dans la City, les cabinets d’affaires s’estiment néanmoins bien outillés pour y faire face. “Nous fonctionnons en réseau via nos bureaux en Asie, aux Etats-Unis, à Londres, sur le continent européen…, explique Bernd Meyring (Linklaters). Nous sommes très flexibles. Notre boulot consiste à vendre à nos clients le talent de nos avocats. Et un avocat, ça s’exporte.” Selon John Davies (Freshfields), les cabinets internationaux sont capables de rebalancer leurs équipes entre les différentes antennes si les circonstances l’imposent : “Si demain Francfort récupère 5 % du marché financier de la City, nous serons en mesure d’adapter nos équipes en fonction de la demande, quitte à ce que certains de nos spécialistes soient déplacés si besoin est”, assure-t-il.

Opportunistes

Les cabinets anglo-saxons ne se posent (officiellement) pas encore ce genre de question. Le vote vient d’avoir lieu et la route vers la sortie de l’Union est encore longue. Une route parsemée de questions juridiques pointues qui, inévitablement, font aussi surgir des opportunités d’affaires pour les cabinets d’avocats. Le Brexit serait-il finalement une aubaine pour les firmes juridiques ? Il est certain que le référendum a déjà généré pas mal d’activité au sein des cabinets.

Préalablement au référendum, tous les cabinets ont pris les devants et communiqué à leurs clients les changements attendus dans les différents domaines du droit en cas de victoire du “Leave”. Juste après le vote, les questions ont afflué en masse. Les cabinets en ont profité pour mettre sur pied de véritables équipes dédiées au Brexit, réunissant des praticiens spécialisés dans tous les domaines potentiellement touchés (droit bancaire et financier, immobilier, fiscalité, etc.). Ils ont communiqué des dossiers complets sur le sujet, comme Linklaters qui a publié une analyse de la situation en 15 chapitres. Des newsletters et des séminaires ont été organisés tous azimuts. Chez Allen & Overy, le conference call prévu le lendemain du vote a explosé les records, rassemblant plus de 2.000 clients à travers le monde.

Après le premier emballement, les questions se sont fait un peu moins nombreuses. Mais les cabinets entrevoient déjà de nouvelles perspectives liées à la période d’incertitude qui s’est ouverte le 23 juin dernier. ” Historiquement, les cabinets d’affaires se portent bien en temps de crise, observe Bernd Meyring (Linklaters). Dans ce type de circonstances, nos clients cherchent des conseils stratégiques de qualité. Il y a des opportunités à saisir pour un cabinet comme le nôtre.”

On ne peut pas encore réellement parler de nouveaux dossiers liés au Brexit. Il s’agit essentiellement d’une activité de conseil juridique, d’aide à la décision. Mais à l’avenir, la Grande-Bretagne devra remettre en place de nouvelles réglementations nationales et de nouvelles procédures qui nécessiteront l’intervention de spécialistes du droit. En droit de la concurrence, par exemple, une fusion d’entreprises transnationales devra être soumise à l’Autorité de la concurrence européenne et à l’Autorité britannique. “Ces deux procédures en parallèle coûteront environ une fois et demie plus cher en frais d’avocats, estime Bernd Meyring (Linklaters). Mais ce sont globalement les frais de consultance qui augmenteront suite au Brexit.” Les professionnels du conseil s’en sortent toujours.

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