Justice: vers un boom de la médiation en 2019 ?

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Par an, 5.000 médiations sont organisées, pour un million de jugements rendus. Pour promouvoir la médiation et, ainsi, désengorger les tribunaux, la loi vient de changer. Désormais, le juge pourra, de sa propre initiative ou de celle de l’une des parties, exiger le recours à la médiation. Reste à savoir si le public saisira cette opportunité.

Tribunaux débordés, salles d’audience embouteillées, etc. On n’apprend rien quand on lit que la justice belge a beaucoup (trop) de pain sur la planche. Quand on s’engage dans une procédure, on se sait promis à de longs mois d’attente avant que l’affaire ne trouve une issue. Toutefois, de nombreux acteurs du monde judiciaire assurent qu’au moins 50% des affaires pendantes devant les cours et les tribunaux pourraient être réglées autrement. La moitié ! Parmi ces voies alternatives aux tribunaux figure la médiation.

Pas limitée aux affaires familiales ou aux règlements de dettes, la médiation peut intervenir dans un champ d’application très large, notamment en business : litige entre associés, entre entreprises, entre franchiseur et franchisé, entre employeur et employé, etc.

En Belgique, le recours à la médiation progresse, mais lentement. Voilà qui devrait lui permettre de se faire plus de place : le 1er janvier 2019, l’article 1734 du Code judiciaire a subi une modification majeure. Désormais, s’il estime un rapprochement possible entre les parties, le juge pourra imposer la médiation, de sa propre initiative ou de celle d’une des parties.

La querelle des oranges

” Pour définir le concept de la médiation, voici un petit conte, plante Maître Pénélope Brochier, avocate et médiatrice au sein du cabinet Alterys spécialisé en médiation. Un matin, deux scientifiques arrivent à leur laboratoire en vue de réaliser des recherches sur les oranges. Chacun dépose son orange à la cuisine et va se préparer. Quand ils reviennent tous deux à la cuisine, catastrophe, il n’y a plus qu’une orange ! Or, chacun a besoin de son orange pour travailler… On dégaine alors les arguments d’attaque et de défense : qui est arrivé le premier, qui est retourné à la cuisine, etc. Mais en creusant un peu plus loin, on va se rendre compte que le travail d’un chercheur devait porter sur l’écorce, tandis que celui de l’autre devait se concentrer sur le jus. Et à partir d’ici, tout est plus simple. C’est une métaphore, mais elle définit bien la médiation : identifier les besoins de chacun et creuser pour trouver des solutions. ”

Concrètement, lors d’une médiation, les parties en litige se réunissent en présence d’un tiers, neutre et indépendant. Ils peuvent être accompagnés ou non de leur conseil (avocat, expert-comptable, etc.). ” On tente de se détacher d’une position en droit, contrairement à ce qui se fait devant un juge, décrit Pénélope Brochier. Ici, on ne plaide pas. On s’attelle à comprendre les parties, leur relation de ses débuts à aujourd’hui et d’éventuelles perspectives d’avenir. Ce focus axé d’abord sur les profils permet aux parties et au médiateur d’avoir une compréhension panoramique de la situation, des personnes qui la vivent et de leurs besoins, en vue de dégager une solution créative et satisfaisante pour les parties. ”

Le rôle du médiateur est d’assurer un cadre dans lequel va pouvoir se dérouler l’échange. Formé à des techniques précises de communication, il pose des questions et encadre la discussion afin de lister les besoins des parties (besoin de liquidités, besoin de reconnaissance, ou tout simplement besoin d’être écouté).

” L’expression des émotions fonctionne comme une purge et permet d’évacuer des micro-conflits au sein du conflit principal, décrit l’avocate. Mais la médiation n’est pas pour autant une discussion de Bisounours. C’est même parfois plus violent qu’un procès, car on vide son sac. En justice, on envoie son avocat pour exprimer des arguments de droit. Lors d’une médiation, on est soi-même dans l’arène. Mais une fois les émotions exprimées, les parties sont apaisées et l’accord est plus facile à dégager. ”

Pénélope Brochier, avocate chez Alterys et médiatrice
Pénélope Brochier, avocate chez Alterys et médiatrice” Dans le cadre d’un litige, les parties se trouvent dans un fossé. Le médiateur va les inviter à collaborer et à se faire la courte-échelle pour en sortir. “© PG

La médiation en business

” Pour citer quelques exemples de recours à la médiation, je pense à un cas où Pierre a vendu un produit à Paul. Paul, insatisfait, en exigeait remboursement. Au final, l’arrangement que les parties ont dégagé était un remboursement de Pierre à Paul sous deux formes, une partie en liquide et l’autre en prestations de la part de Pierre pendant une période déterminée, raconte Maître Brochier. On aurait pu aussi imaginer une commission perçue par Paul sur les futures ventes dudit produit par Pierre à des tiers pour substituer le remboursement d’une dette. Ce type de solution permet d’éviter la faillite du débiteur en manque de liquidités. ”

Très fréquents, les conflits entre (ex-)associés peuvent être apaisés par la médiation. Une fois que le côté émotionnel est mis de côté, on trouve les solutions plus facilement.

Un taux de réussite de 80%

” Quatre-vingt pour cent des médiations débouchent sur un accord, se réjouit Pénélope Brochier. Et les parties sont tellement plus satisfaites parce que la solution ne s’impose pas à elles comme une décision de justice. L’effet juridique final est pourtant le même : l’accord de médiation homologué vaut jugement. ”

Concrètement, quels sont les avantages d’une médiation ? Tout d’abord, c’est une solution rapide : quelques heures de réunion suffisent pour arriver à un accord. Comparé à un délai d’un an ou deux en justice, sans compter la procédure en appel.

Ensuite, c’est une solution économique : les honoraires du médiateur s’élèvent en moyenne à 150 euros de l’heure (à partager entre les parties). Versus des frais d’huissier, de greffe, d’expertise… et les incontournables indemnités de procédure. La médiation est en outre une solution sur mesure, souple et créative, qui répond aux besoins des parties. Par ailleurs, les parties gardent la maîtrise du processus et de la solution. Le médiateur ne tranche pas à leur place, contrairement au juge.

Enfin, c’est un processus confidentiel, alors que les audiences, ouvertes et publiques, peuvent faire l’objet de médiatisation, ce que l’on préfère souvent éviter dans les milieux d’affaires.

Les avocats font de la résistance

Moins chère, plus rapide et plus satisfaisante… Mais pourquoi la médiation est-elle encore si peu répandue ? Blocage dans les mentalités des justiciables, mais aussi de quelques avocats… Dans les rangs des professionnels de la justice, certains accueillent tièdement cette formule. Tandis que certains avocats auraient peur de perdre un business, d’autres, habitués depuis toujours à faire accepter leur point de vue, peineraient à adopter une approche plus ouverte. En revanche, les juges accueillent en majorité favorablement cette nouvelle disposition qui leur donne un rôle supplémentaire : celui d’investiguer.

Quoi qu’il en soit, leurs successeurs qui sont actuellement sur les bancs de la majorité des facs de droit sont biberonnés à la médiation.

83 jours

La durée moyenne de résolution d’un différend par la médiation.

En pratique

Les médiateurs sont obligatoirement formés auprès d’un organe agréé (comme bMediation, l’organe belge de promotion de la médiation) : leur titre est protégé par la Commission fédérale de médiation. bMediation recueille également les demandes de médiation.

www.bmediation.eu

Par ailleurs, un groupement d’avocats-médiateurs organise une permanence gratuite destinée aux entreprises les derniers mercredi et vendredi du mois (10h-12h) au tribunal de l’entreprise de Bruxelles.

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