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La question morale de l’euro

L’euro survivra-t-il, dans sa formulation actuelle, à la crise qui transperce ses fondements ? Ma réponse est désabusée et négative. Il y a bien sûr les phénomènes techniques qui sous- tendent cette intuition.

Ils sont connus : la mondialisation, la migration des centres de croissance vers l’Asie et les Etats-Unis, la divergence grandissante entre les économies du nord et du sud de l’Europe, les gigantesques dettes publiques, la fin des Etats-providence qui ne créent plus de richesses et l’aboutissement d’une croissance artificiellement gonflée par l’emprunt.

Ces éléments constituent un gâchis. Pourtant, il y a plus grave : l’absence de projet unificateur, c’est-à-dire de concept supérieur qui, au-delà des valeurs monétaires, suscite une adhésion morale collective.

La confiance dans l’idée européenne s’effrite. Le postulat d’une monnaie unique qui entraînerait une homogénéité des politiques économiques s’avère être un leurre. En fait, la monnaie ne cimente pas les peuples. Au contraire, son uniformisation fait rejaillir des particularités (politiques, culturelles, raciales, etc.) que différentes devises nationales avaient pu, avant 1999, cantonner derrière les frontières de chaque pays. Les régionalismes et les populismes s’affichent d’autant plus facilement qu’ils ne sont plus confinés par la défense d’une devise nationale.

Il ne faut pas s’y tromper : c’est l’élément politique qui est le principal facteur de désagrégation de l’euro. Malgré le fait que les gouvernements individuels évoquent la nécessité d’avancées constitutionnelles, un renouveau des structures communautaires n’a pas émergé. Seul le corps administratif de l’Europe a été renforcé, au risque de l’avoir rendu pléthorique et détestable.

En réalité, les Etats individuels restent plus puissants que les méta-structures européennes. Ils ne sont jamais soumis à un quelconque abandon de souveraineté, consacrant l’approche westphalienne de l’Europe. Les structures européennes ont toujours été escamotées par l’alliance franco-allemande, dont le ciment est la véritable origine politique de la monnaie unique. Les autres pays sont au mieux des passagers clandestins et, au pire, des contingences. Il y a donc une dissociation entre le pouvoir nominal (médiatiquement présenté par les responsables des structures européennes) et le pouvoir réel (effectivement exercé par les Etats dominants). Cela pose de graves questions citoyennes de représentativité politique.

Aujourd’hui, l’Europe croit sauver son économie et sa monnaie dans la vertu budgétaire. Elle les perdra peut-être dans les heurts sociaux. La démarche européenne néglige le facteur social qui peut conduire à des embrasements soudains, sans qu’ils ne soient toujours stériles. L’histoire économique regorge de ces incidents.

Finalement, j’ai une crainte : celle que le dessein européen, porté par des hommes qui avaient conservé la conscience de la guerre, ne se soit essoufflé au profit de nationalismes économiques puissants. Après tout, il n’est peut-être d’Etats que d’intérêts particuliers. Pourtant, les dirigeants européens actuels qui, par manque de grandeur ou opportunisme, ne passeront pas à leurs successeurs le flambeau de Mitterrand et de Kohl, porteront une lourde responsabilité devant l’Histoire.

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